Mettre sa main au feu

À la première controverse, la plupart des personnes sont prêts à mettre leur main au feu pour appuyer leurs dires.

C’est un travers de l’espèce humaine : on veut toujours avoir raison; nous voyons peu qu’un individu aille disputer contre un autre pour le seul plaisir d’avoir tort !

Cette expression fait allusion à une pratique spéciale du haut Moyen Âge : le jugement de Dieu. L’idée en est simple : afin de couper court aux enquêtes toujours ennuyeuses et délicates sur la culpabilité ou l’innocence des personnes, on considérait que Dieu devait savoir, et s’il le voulait bien, agir en conséquence. On s’en remettait donc à Sa grande vigilance, et l’on réglait les différends en imposant des épreuves au cours desquelles, imman­quablement, il reconnaîtrait les siens.

Ces épreuves existaient sous plusieurs formes, D’abord pour les princes, surtout, l’épreuve du feu, qui consistait à tenir sa main dans une flamme sans se brûler, ou à saisir sans dommage une barre de fer rougie, ou toute autre variante. Si l’épreuve était réussie et l’épiderme intact, on déclarait que la noble personne était dans son droit et lavée de tout soupçon. Furetière résume ainsi la situation :

« On dit qu’un homme mettrait sa main au feu, son doigt au feu, quand il propose quelque chose dont il est très assuré ».

Ce proverbe se dit par allusion à une coutume que l’on avait autrefois de se purger d’une accusation par l’attouchement du fer chaud. Cunégonde, femme de l’Empereur Henri de Bavière, se purgea du soupçon que son mari avait contre elle, en marchant les pieds nuds sur 12 socs de charrüe ardens. »

Aux gens de moindre qualité était réservée l’épreuve de l’eau, sous deux formes : eau chaude et eau froide. La première consistait à tremper son bras jusqu’au coude dans une bassine d’eau bouillante. Dans le Roman de Renart, Dame Hersant, la femme d’Isengrin le loup; contrairement à Cunégonde, refuse poliment cet examen. Elle nie l’adultère dont elle est accusée:

Certes, onques n’ot en moi part
 en tel manière n’en tel guise;
 J’en feroie bien un Jouïse (jugement de Dieu)
 en eve chaude ou en feu chaut
 mais esconduire riens ne vaut,
lasse, chaistive, mal ostrue ! (infortunée, née sous un mauvais astre )
que je n’en serai ja creü.

Eau froide : on jetait le suspect pieds ‘et poings liés dans une rivière ou dans un bassin; s’il allait au fond il était innocent, s’il flottait, il était coupable ! Dans le Guillaume de Dole l’opération se fait dans une cuve d’eau bénite : le vilain sénéchal s’est vanté d’avoir couché avec la belle Liënor, uniquement pour détruire sa réputation. On va savoir :

Tuit i vienent, prince et demaine,
et li seneschaus qu’on amaine
Lués droit (aussitôt) qu’il fut laienz entrez
en l’eve qui estoit segniee (bénite)
lués droit , plus tost qu’une coigniee (hache)
s’en vet au fons trestoz li cors,
si que (de sorte que) la bele Liënors
vit qu’il fu sauz, et tuit li autre
qui furent d’une part et d’autre
entor la cuve atropelé (attroupés).
Li clerc en ont mout Deu loé
en lor chanz et en sains soner. (faisant sonner les cloche)

L’épreuve de la croix était nettement moins risquée : elle consistait en un duel aimable où les deux protagonistes se tenaient debout, immobiles, les bras étendus en croix comme des gymnastes prenant leurs distances. Celui qui, pris de crampes, abandonnait le premier la position avait tort. L’autre naturellement grimaçait, mais il avait raison ! De cet exercice décourageant vient, j’en suis persuadé, l’expression baisser les bras.

Si de telles pratiques, hélas abolies vers le XIIIᵉ siècle, étaient encore en usage, je suis sûr que l’on entendrait ici et là moins de vaines promesses et de serments légers. J’en mettrais ma main où l’on voudra!


Claude Duneton – « La puce à l’oreille »-Expressions populaires


2 réflexions sur “Mettre sa main au feu

  1. jjbadeigtsorangefr 19/01/2022 / 17h58

    Prendre des vessies pour des lanternes risque de douloureuses sensations à qui s’y risque.

  2. luc nemeth 21/01/2022 / 11h04

    j’ai souvenir aussi d’avoir lu qu’en ce temps et dans une situation où il y avait le choix entre deux possibles coupables il convenait (la criminologie n’a sur ce point rien inventé) de condamner le plus laid des deux…

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