Les 18-25 ans, ignorés des politiques…

et de plus en plus précaires

[…] « La jeunesse » a-t-elle une chance de faire irruption dans le débat de la présidentielle ? Peu probable, ou alors seulement pour justifier des mesures qui ne la concernent pas, comme la réforme des retraites ou la réduction de la dette, prétendument au nom des « générations futures ». […] Sociologue, enseignant chercheur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, auteur de travaux sur le déclassement et la reproduction sociale, Camille Peugny souligne l’urgence d’une « politique de la jeunesse ». Car son absence criante menace aujourd’hui la cohésion sociale.

Cela a-t-il un sens de parler de « la » jeunesse ?

Non, il faudrait parler des jeunesses, car cette classe d’âge est traversée par de nombreux clivages, liés à l’origine sociale, ethno-raciale, au genre, à l’appartenance à un territoire. L’idée selon laquelle les jeunes constitueraient une avant-garde éclairée sur les questions dites de société (environnement, immigration, mœurs), ne se vérifie pas. […]

En revanche, les jeunes connaîtraient une « marée montante de la précarité » ?

J’utilise ce terme parce que la vague vient de loin. Les natifs des années 1960 ont subi vingt ans plus tard les premiers symptômes d’une dégradation des conditions d’insertion. Cette précarisation n’a cessé de s’accentuer. Les jeunes de moins de 25 ans sont aujourd’hui confrontés à un taux de chômage plus de deux fois supérieur au reste de la population. Pour ceux qui ont un emploi, CDD, stages et contrats aidés prédominent. Surtout, les difficultés rencontrées en début de parcours ne sont pas effacées par la suite. Pour beaucoup de jeunes nés dans les années 1980, qui approchent la quarantaine, une certaine précarisation perdure, comparativement aux générations précédentes. […].

Pourtant, le nombre des diplômés augmente ?

La jeunesse étudiante n’est pas toute la jeunesse. Elle n’en représente qu’une petite moitié ! Cela n’apparaît pas dans le discours dominant, parce que la jeunesse étudiante est « visible ». Notre société est rythmée par des événements qui la donnent à voir : on met en avant les résultats du bac en juin, les coûts de la rentrée universitaire à l’automne. À intervalles réguliers, cette jeunesse étudiante manifeste et se manifeste, ce qui contribue à invisibiliser l’autre moitié de la jeunesse, qui ne s’exprime pas. Le monde étudiant est lui-même atomisé. Les jeunes des classes populaires qui ont accédé à l’enseignement supérieur n’ont pas les ressources économiques et culturelles des enfants des classes supérieures. Arrivent à l’université des étudiants qui sont souvent les premiers de leur famille à faire des études supérieures. La plupart cumulent études et travail. Avec la crise sanitaire, on a vu affluer aux Restos du cœur de très nombreux étudiants soudainement privés de leur emploi. Cela fait douze ans que je fais le métier d’enseignant-chercheur, et je n’ai jamais vu jusqu’alors un tel nombre d’étudiants vivant dans une si grande précarité.

Que deviennent-ils une fois leurs études terminées ?

Les trajectoires qui conduisent des enfants d’ouvriers à traverser tout l’espace social pour devenir cadre ou exercer une profession libérale restent rares. À niveau de diplôme équivalent, les jeunes issus des classes populaires ne bénéficient pas des mêmes emplois, car l’accès au marché du travail dépendd’un capital relationnel très inégalement réparti au sein de la société Occupée à célébrer la méritocratie scolaire, la société française a surtout du mal à regarder la réalité en face : 47 % des enfants d’ouvriers ne sont pas titulaires du baccalauréat. […]

Comment expliquer un tel échec ?

C’est le résultat d’un système scolaire très élitiste, on en a la preuve à intervalles réguliers lorsque les fameuses enquêtes Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) livrent leur verdict. La France est un des pays où les performances scolaires sont le plus liées à l’origine sociale. […]

Quels handicaps ?

Le système français fait peser un poids énorme sur les épaules des familles. Les trajectoires des jeunes dépendent pour beaucoup des ressources qu’ils peuvent mobiliser dans la sphère familiale, notamment pour financer un logement indépendant. C’est injuste. […]

Pourquoi l’indifférence française au sort d’une telle partie de la jeunesse ?

Les classes supérieures ne pâtissent pas de ce système, au contraire. Les enfants de celles et ceux qui prennent des décisions politiques ne fréquentent pas l’université, mais les grandes écoles et les filières sélectives. Or, si on veut vraiment faire progresser la démocratie scolaire, c’est dans les premiers cycles universitaires qu’il faut agir, où étudient les jeunes des classes populaires. L’effort budgétaire réalisé pour ces étudiants n’est pas du tout à la hauteur. […]

Et pour les jeunes qui ne poursuivent pas leurs études ?

Pour eux, une mesure d’urgence est à prendre, c’est l’extension du RSA aux moins de 25 ans. Car aujourd’hui, politiquement majeurs à 18 ans, les jeunes Français ne sont majeurs socialement qu’à 25 ans. On pourrait aussi développer le système de la « garantie jeunes », système qui vient du nord de l’Europe. […]

Pourquoi ces thèmes n’émergent-ils pas dans le débat politique ?

Ce sujet pourrait mobiliser la société. Mais la campagne de la présidentielle semble partir vers d’autres thématiques. […] Si les jeunes Scandinaves sont à ce point optimistes, ce n’est pas par atavisme culturel, mais parce que des politiques publiques leur permettent de l’être, de se construire, de trouver leur place dans la société. La moitié des jeunes Français ne croient pas en l’égalité des chances. La défaillance des politiques publiques leur donne raison.


À lire Pour une politique de la jeunesse, de Camille Peugny, éd. du Seuil, République des idées, 128 p., 11,80 €.


Vincent Remy – Télérama. N° 3758 19/01/2022. Titre original : « Les cadets de nos soucis ». Source (extraits)


4 réflexions sur “Les 18-25 ans, ignorés des politiques…

  1. Sigmund Van Roll 18/01/2022 / 18h50

    En tous les cas , l’avenir des jeunes arrivés sur le marché du travail n’est pas très reluisant 😮‍💨

    • Libres jugements 19/01/2022 / 14h24

      Merci Sigmund pour ton commentaire qui conforte l’article.
      En le postant j’ai pensé à l’un de mes petits fils qui a galéré pendant deux ans à la sortie du collège, avant de trouver d’abord un stage, puis une embauche à son issue comme infirmier hospitalier, alors que le service public en manque cruellement… quel décalage entre les dires gouvernementaux et la réalité.
      Très amicalement
      Michel

  2. jjbadeigtsorangefr 19/01/2022 / 10h41

    Les jeunes sont ignorés par certains politiques, pas tous. les jeunes communistes ont élaboré un programme qui a été discuté et repris dans celui de Fabien Roussel.
    Il comporte des mesures qui permettraient une véritable égalité des chances pour la jeunesse.

    • Danielle ROLLAT 21/01/2022 / 17h43

      Il sera important que les jeunes dont la souffrance, la malnutrition… ont augmenté depuis près de 2 ans se mobilisent, expriment leur ras-le-bol et votent !
      Leur avenir est aussi entre leurs mains.

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