Christiane Taubira

Pour ses détracteurs, côté programme, elle se paie de mots.

Ca y est, elle le sent, la salle est chaude, les militants n’en peuvent plus d’attendre la « caution morale de la gauche », elle va pouvoir saluer son public et recueillir une salve d’applaudissements.

Candidate à la primaire populaire, elle est presque sûre d’être choisie par les militants, vu qu’elle va être quasiment seule en lice.

A vaincre sans péril on triomphe sans gloire, mais elle s’en moque bien, elle va remplir les salles, et c’est bien là l’essentiel.

Des années qu’elle se rode et se gargarise de ses paroles. Elle a montré toute l’étendue de son talent en postant ses voeux sur Twitter, le 31 décembre : on la voit sur scène, un micro à la main, et c’est parti.

Des images de luttes sociales, de révoltes, des sièges de banques ou d’institutions défilent. « Nous buvons et nous danserons sur vos paniques de poltrons, sur vos imprécations rancies, sur vos défaites et vos replis, sur vos angoisses, vos inepties », dit la voix.

De quoi parle-t-elle exactement ?

De qui parle-t-elle, surtout, quand elle fustige les «petits potentats impulsifs, les oppresseurs vifs et instinctifs» ?

Qu’importe, Christiane Taubira est l’incarnation du « beau verbe », du phrasé qui va avec, c’est la femme qui peut réciter Apollinaire ou René Char pendant un quart d’heure, on ne va tout de même pas l’importuner avec de banales questions sur la souveraineté économique, le pouvoir d’achat ou l’opération Barkhane. Ras le bol de tous ces technos qui nous plombent.

La parole avant la politique

De toute façon, on peut y aller en confiance parce que Christiane Taubira est la cheffe du camp du Bien. « Dans ses discours, elle affirme et proclame, dit le Bien et le Mal, exactement comme un politicien américain. Alors qu’un Robert Badinter, autre grand orateur de la gauche, était dans la démonstration et la preuve », rappelle l’un de ses anciens collaborateurs.

Pourquoi y va-t-elle, elle qui a tant de fois déçu ses admirateurs ?

En 2016, un petit groupe de gauche (Dufiot, Hamon, Guedj), qui se réunit au domicile de l’humoriste Christophe Alévêque, rêve à une candidature Taubira ; elle consent à leur rendre visite et à prononcer quelques phrases mais n’y va pas. En 2019, les écolos, les socialistes et Génération.s, le parti de Benoît Hamon, lui proposent chacun une place aux européennes ; elle n’y va pas.

Les mauvais sondages de Jadot et d’Hidalgo donnent la pêche à ses soutiens, mais, surtout, l’arrivée d’Eric Zemmour change soudain la donne. « Zemmour a cogné très fort dès son entrée en campagne, et, pour un certain nombre de militants de gauche, elle est devenue l’incarnation parfaite de l’anti-Zemmour : une femme noire contre celui qui prône le grand retour de l’homme blanc. Elle trouve là un rôle à sa mesure. C’est une posture confortable, et, en plus, ça dispense de réfléchir », s’amuse un ancien ministre socialiste.

Certains n’ont pas digéré la façon dont elle a géré politiquement le mariage pour tous. « On a réussi à mettre trois fois 1 million de personnes dans la rue. On a fait éclore une nouvelle , génération d’extrême droite, aujourd’hui chez Zemmour, en les traitant de fascistes, alors qu’il y avait un travail de conviction à mener », s’agace un député socialiste. Les sympathisants de Taubira ne lui tiennent pas rigueur de ses ambiguïtés sur le vaccin et ne s’intéressent pas trop à ses prises de position passées. C’est dommage, parce que parfois c’est assez marrant. Car la passionaria de la gauche n’a guère caché son penchant affirmé pour le libéralisme.

Pas trop sociale, très libérale

Elle vote en faveur de l’investiture du gouvernement Balladur en 1993 et s’étonne de devoir s’en expliquer. Elle ne voit pas, mais pas du tout, où est le problème. Son programme pour la présidentielle de 2002 est limpide : retraites par capitalisation et baisse de l’imposition des plus riches.

Elle vote contre la loi sur le voile en 2004, alors que son parti, le PRG, vote pour. Explication : le hidjab est « un défi lancé à l’invisibilité institutionnelle de populations refoulées à la périphérie des villes ». Bref, c’est une démarché politique d’émancipation pour les plus vulnérables, rien d’autre. « Tout cela forme un tout cohérent. Taubira défend les « minorités opprimées » et s’est peu à peu éloignée de l’universalisme de ses premières années. On l’entend bien, plus sur cette défense des minorités que sur la question sociale ou sur l’ubérisation de la société », déplore un socialiste.

Au ministère de la Justice, elle ne fait rien pour obtenir des moyens supplémentaires pour les magistrats. Son cabinet vit au rythme des portes qui claquent, des burn-out, des lettres de démission qui s’accumulent. Elle s’en moque.

Sur son compte Twitter, elle parle souvent d’elle, mine de rien. Parfois, elle se reprend, comme le 17 décembre : « Ce qui compte, c’est vous. »

Avoir une amorce de programme, ça compte aussi, un peu.


Anne-Sophie Mercier le Canard enchaîné. 12/01/2022


5 réflexions sur “Christiane Taubira

  1. Matatoune 14/01/2022 / 8h09

    Malgré toute mon admiration pour la femme, l’écrivaine et l’espoir qu’elle réveille pour ma gauche divisée, il ne faut pas se tromper, et cet article le démontre bien, c’est du libéral et peu de social ! 😂

    • Libres jugements 14/01/2022 / 10h40

      Merci pour ce commentaire que je partage pour son réalisme.
      Cordialement,
      Michel

  2. bernarddominik 14/01/2022 / 9h21

    Oui on se demande ce qu’elle fait à gauche.
    Elle est démocrate au sens des Américains.
    Au fond c’est une américaine, certes du sud, loin de Lulla mais proche d’Obama.
    Au ministère de la justice, elle n’a pas brillé.
    Je ne la comprend pas… pourquoi une candidature perdue d’avance?

  3. jjbadeigtsorangefr 14/01/2022 / 10h44

    Votez pour moi, c’est l’essentiel du programme des gens de « goche » qui se présentent.
    Heureusement il reste Fabien Roussel qui fait des « jours heureux » son ambition.

  4. Danielle ROLLAT 14/01/2022 / 22h28

    J’avais été invitée à la cérémonie d’hommage organisée aux Invalides, lors de la disparition de Monsieur Dominique BAUDIS, premier Défenseur des Droits, notre association de retraités étant régulièrement invitée aux réunions du comité d’entente santé, et aux réunions qu’il présidait.

    Je me suis ainsi trouvée à la sortie aux côtés de Madame la Ministre de la Justice, Garde des SCEAUX, avec qui j’ai échangé quelques mots, et à qui j’ai présenté les excuses des Habitants de ma ville natale, suite aux graves insultes proférées par une commerçante de la ville, la presse en avait largement fait écho à l’époque. Elle avait apprécié ce court échange.

    Si Madame la Ministre compte beaucoup d’amis, je doute que Lionel JOSPIN l’invite à sa table régulièrement depuis 2002 et son retrait de la vie politique, les voix de Madame TAUBIRA lui ayant échappé au 1er tour des présidentielles, offrant ainsi le 2ème tour au candidat du FN, et entrainant la large élection de Jacques CHIRAC.

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