Respect !

A ces employées précarisées s’occupant de personnes âgées fragilisées

Alors que la situation sanitaire attire l’attention (à juste titre) sur le le travail indispensable du personnel quasiment réquisitionné dans les établissements de soins, ne perdons pas la notion occupée par un certain nombre d’employés se vouant, se dévouant pour aider quotidiennement des personnes âgées. Il faut les saluer comme il convient, notamment dans ces moments où la solidarité familiale devrait être présente envers nos anciens, souvent nos parents… MC


Combien de vieux en sale état dans dix, vingt, trente ans ? Des projections tablent sur 5 millions de personnes « en perte d’autonomie » en 2050.

Une Cocotte-Minute qui va exploser si rien n’est fait pour prendre collectivement en charge les personnes dépendantes, de plus en plus souvent atteintes de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer. Heureusement, des femmes hyper précaires, super mal payées, totalement déconsidérées, forment les bataillons de ce pan de la silver économie.

Pendant huit mois, Ixchel Delaporte, ex-journaliste à L’Humanité, a été l’une d’elles. Elle en a fait un livre, Dame de compagnie. En immersion au pays de la vieillesse (Éditions du Rouergue), qui raconte son vécu de nouvelle esclave et l’infinie solitude des vieux dans nos sociétés « modernes ».

CHARLIE HEBDO : Le titre de votre livre interpelle. Dame de compagnie, ça a un petit côté suranné et cossu. C’est loin de la réalité de la profession, non?

Ixchel Delaporte : Ça dépend. Et c’est bien toute la problématique de ce métier, qui n’a pas de dénomination spécifique. « Dame de compagnie », « aide à la personne », « aide à domicile », « auxiliaire de vie »… Les appellations sont au bon vouloir de l’employeur, et le travail qu’on y fait aussi.

Par exemple, chez Hélène, la première personne âgée chez qui je suis envoyée, on me demande de l’accompagner à ses rendez-vous médicaux ou au parc, de faire des puzzles…

La famille est aisée et peut se permettre de payer pour offrir un peu de compagnie à cette dame qui perd la tête de temps en temps. Ailleurs, je vais me retrouver à faire le ménage, les courses, à laver les personnes…

Ce qui, dans l’imagination des gens, est considéré comme le « vrai » travail des auxiliaires de vie (ADV). Mais c’est aussi très réducteur, ça occulte la relation complexe et l’intimité qui se tissent entre la personne âgée et son ADV.

Souvent, la personne âgée va plus s’épancher auprès de son auxiliaire de vie qu’auprès de ses enfants. Elle va lui confier des choses difficiles à entendre : son ennui, son mal de vivre, sa souffrance, sa volonté d’en finir…

Cette souffrance psychologique, les ADV la prennent sur leurs épaules, mais ce n’est pas du travail visible. Parce que, finalement, ce qu’on leur demande, c’est de faire le ménage. Or elles font le ménage, mais, en même temps, elles écoutent aussi les problèmes. C’est un métier pénible physiquement et très dur psychologiquement.

C’est aussi un secteur où se croisent des entreprises prospères, des associations à but non lucratif, des services sociaux municipaux… Comment s’y retrouver?

En plus d’une grande diversité des appellations et des qualifications, il y a aussi une grande disparité entre les prestataires de services. Il y a aussi bien des entreprises privées que des centres communaux d’action sociale (CCAS), des associations ou du travail auprès du particulier employeur via les Cesu [chèque emploi service universel, ndlr] .

Pour les employées, cela signifie plusieurs types d’employeurs, plusieurs tarifs de rémunération, pas de convention collective unique, plusieurs forfaits à l’heure, plusieurs types de remboursement des frais kilométriques… Bref, beaucoup de confusion sur leurs maigres droits. Cette disparité se fait aussi sentir entre les départements. Plus il est pauvre, plus les prestations sont minimes.

Vous évoquez un couple coincé dans son appartement. Quelles politiques publiques se soucient des vieux?

Ce couple d’Espagnols était touchant. Elle avait été femme de ménage et était corporellement très abîmée. Lui avait exercé toute sorte de petits métiers. Ils avaient fait tous ces sacrifices pour leurs enfants et pour s’acheter un petit appartement, qui allait devenir leur prison, à cause d’un ascenseur en panne pendant des mois. Ces gens sont des sacrifiés de notre économie et de notre mode de vie.

À quel moment ont-ils pu « profiter » de leur retraite ?

Jamais. Pourtant, on ne peut pas dire non plus que rien n’est fait. Un kiné venait les voir à domicile, par exemple, mais c’est le strict minimum. Si on veut parler d’une vie digne d’être vécue, avec des plaisirs et des satisfactions qui vont avec, alors il n’y a rien pour les personnes âgées dépendantes, sauf à avoir beaucoup d’argent.

Pourquoi ces personnes âgées sont-elles écartées de nos sociétés?

J’analyse ça comme une peur panique d’une société qui se veut dynamique, active, ce qui ne concorde pas avec le temps des vieux.

La vieillesse, ce n’est pas glamour, alors on préfère laisser les personnes âgées en vase clos. C’est une manière d’être dans le déni. Mais j’ai un scoop : on va tous mourir. Et avant, si tout va bien, on va tous vieillir. Plus ou moins bien.

La question de la prise en charge de la grande dépendance est fondamentale. Pourtant, on la confie à des femmes qui gagnent 900 euros par mois.

Des personnes fragiles s’occupant d’autres personnes fragiles, vous imaginez le cocktail ! Cet aspect de la silver économie ne fonctionne que comme ça. Mais quelle est la qualité de cette prise en charge ? Voilà la vraie question.

Justement, mi-décembre a eu lieu à Cannes le festival de la silver économie. Qu’en pensez-vous?

En face des ADV qui plient l’échine pour les aider, les vieux sont considérés comme un marché juteux pour l’économie et la finance. Il y a des banques, des fonds de pension qui investissent dans les Ehpad, des gens qui défiscalisent en y achetant les chambres. Et tout ce beau monde se retrouve régulièrement lors des salons et des festivals.

Mais les décideurs financiers de la silver économie ne sortent jamais de leur entre-soi. Ils n’invitent jamais les premiers concernés à leurs petites sauteries : les employées et les vieux. Ce faisant, ils ne sont pas loin de tuer la poule aux oeufs d’or.

Le métier est « sous tension » parce que les employées craquent. Elles n’arrivent pas à tenir plus de dix ou quinze ans. Personnellement, j’ai passé mon temps à remplacer des gens en arrêt maladie, j’ai eu des ajouts constants d’heures supplémentaires, que j’ai acceptées pour avoir un meilleur salaire, mais au détriment de ma santé.

Dans ce métier, on a le sentiment de ne pas bien faire son travail, de bâcler les tâches qui nous incombent. Mais, en fait, il est impossible de le faire correctement tant que ne sera pas pris en compte (et donc payé – le temps de déplacement entre deux « clients ».

Le fait que ce métier soit quasi exclusivement féminin est-il une explication à cette surexploitation?

Oui. Dans l’imaginaire collectif, on considère que c’est aux femmes qu’échoit la tâche de s’occuper des enfants et des vieux, parce qu’elles auraient naturellement des capacités à prendre soin des plus fragiles. Alors maintenant qu’elles sont (un peu) payées pour le faire, elles ne vont pas venir se plaindre, c’est le message sous-jacent de cette exploitation.

Officiellement, les ADV devraient dire aux petits vieux : « Désolée, mais vous laver ne fait pas partie de mes prérogatives ! » Mais elles savent très bien que si elles ne le font pas, personne ne le fera puisqu’elles sont les seules à intervenir chez ces seniors dépendants.

Comment voyez-vous l’évolution du secteur?

Longtemps, ces femmes ont été isolées. Les syndicats sont très peu présents sur ce secteur éparpillé. Mais cela commence à bouger. Le collectif national La Force invisible vient de se créer par la seule volonté d’une auxiliaire de vie, Anne Lauseig.

En quelques mois, il a rassemblé 6000 adhérentes. C’est un marqueur fort qui, j’espère, va permettre de reconsidérer le métier de ces travailleuses du social.

Pour le reste, je suis plus pessimiste. La loi grand âge et autonomie, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, était censée abonder généreusement le secteur de l’aide à la personne.

Elle a été largement enterrée. Une vraie considération sociale et politique de ce sujet supposerait la création d’un service public d’aide à la personne. Sorte de grosse Sécurité sociale avec une branche spécifique dédiée au grand âge. Mais bien sûr, on ne va pas du tout vers ça.


Propos recueillis par Natacha Devanda – Charlie Hebdo – 22/12/2021


4 réflexions sur “Respect !

  1. Danielle ROLLAT 26/12/2021 / 21h20

    Merci pour cet article qui pointe la réalité de la situation dramatique des personnes âgées et de celles et ceux qui essaient contre vents et marées de leur venir en aide.

    Pour avoir participé à de nombreux forums, réunions au ministère dans le Comité National des Retraités et Personnes Âgées (CNRPA), puis au Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Age (HCFEA), avoir participé auprès de Monsieur LIBAULT chargé de la réflexion et du projet sur la loi sur la prise en charge de la perte d’Autonomie (PA), et pour avoir fait avec le grouper des 9 organisations représentatives de personnes Âgées, des propositions de formation, assurées par l’Éducation Nationale, après avoir constaté que :

      Les prises en charge d’heures par les Caisses de Retraite, dont la mienne fondaient comme neige au soleil,
      Le projet de loi sur la prise en charge de la perte d’Autonomie et pas de la dépendance, comme disent certains… terme très réducteur et péjoratif,
      Après avoir proposé que cette prise en charge soit valable et applicable du 1ᵉʳ au dernier jour de la vie pour prendre en charge le Handicap… nous avons amèrement constaté que cela ne figurait plus à l’ordre du jour, alors qu’il y a urgence et inégalité de traitement territorial.

    La loi du 2 janvier 2002 sur l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) gérée par les départements est injuste et plombe les finances, de même que l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) : Oui à une politique, une seule application sur tous les territoires de la République ! On pourrait aussi évoquer la question de l’Allocation Personnalisée au Logement valable à domicile et dans les résidences autonomie. Je n’ai pas confirmation de son applicabilité dans les foyers de jeunes…
    Au total : vite une loi et des dispositions statutaires pour les Aides à Domicile, vite une formation rémunérée, vite une grille de rémunération et un déroulement de carrière uniques, avec possibilités de mutation.
    Vite une grande loi pour la prise en charge de la perte d’autonomie et les décrets d’application, quel que soit l’âge, afin d’éviter aussi d’assister à la diminution de ressources des personnes relevant du Handicap, qui basculent dans la vieillesse à 60 ans… et perdent quelques avantages financiers. déjà que ce n’est pas lourd…
    La vieillesse et le Handicap doivent cesser d’être considérés comme des budgétivores…

    • Libres jugements 27/12/2021 / 10h31

      Grand merci Danielle pour ces précisions qui portent plusieurs étages de réflexions sur la gestion gouvernementale en même temps sur la rémunération des retraites, les soins accordés, le respect des personnes aidantes, les motivations pouvant apporter un confort-réconfort a celles et ceux, personnes âgées qui ont contribué souvent obscurément a la prospérité de la France et que le système économique actuel, laisse sur la touche.
      Amitiés
      Michel

  2. jjbadeigtsorangefr 27/12/2021 / 11h24

    La prise en charge de la dépendance doit être celle de la Sécurité Sociale du premier jour de la vie au dernier. Le pouvoir actuel tente de créer un monstre qui ne serait pas alimenté par les cotisations sociales mais par l’impôt voire par l’assurance privée pour ceux qui voudraient un peu plus de prise en charge. Il est même envisagé que ce soient les personnes âgées qui financent la dépendance…… Les vautours sont autour du gâteau………………Chassons les en exigeant que ce soit la Sécurité Sociale qui prenne en charge le Handicap quel que soit l’âge et organise son traitement en privilégiant l’humain d’abord.

    • Danielle ROLLAT 27/12/2021 / 21h01

      Oui jean-Jacques ! Je relève qu’il existe déjà aujourd’hui des cotisations volontaires auprès de groupes d’assurance, pour financer notre propre éventuelle perte d’autonomie.. Nous en avions reçu une documentation via notre mutuelle de la fonction publique.. Je crois savoir que cela marche pour les souscriptions.. les vautours sont dans les starting blocks..

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