Étonnante recherche !

Les commanditaires de la « Saint-Barthélemy » ne seraient pas que ceux portés dans les manuels scolaires.

En fouillant les archives, l’historien Jérémie Foa a reconstitué quasiment heure par heure le massacre de la Saint-Barthélemy, en août 1572. Une tuerie plus organisée et moins populaire qu’on ne le pensait, explique-t-il.

[…] Au matin du 24 août 1572, le massacre de la Saint-Barthélemy contre les protestants commence et, en quelques jours, fera plus de trois mille morts à Paris.

Hommes, femmes, enfants sont tués, démembrés et jetés à la fosse ou dans la Seine. Cette histoire, connue dans ses grandes lignes politiques, a désormais des noms et des visages.

 L’historien Jérémie Foa, en compulsant les archives, notamment notariales, a exhumé l’identité et les métiers des tueurs comme des victimes, restituant presque heure par heure le déroulement du massacre. Une histoire au ras du sol, au ras du sang, qui contredit la légende d’une révolte populaire incontrôlée.

Après des siècles d’anonymat, cette passionnante enquête redonne une réalité à cette tragédie dont le Paris d’aujourd’hui a effacé les traces.

Comment situer ces journées de la Saint-Barthélemy dans la chaîne des guerres de Religion ?

Depuis 1562, malgré les édits de pacification qui devaient permettre aux protestants de pratiquer leur religion, […] les huguenots sont victimes de violences physiques, mais aussi symboliques. Les catholiques mènent alors une guérilla judiciaire pour éloigner au maximum les temples huguenots des centres, pour déplacer leurs cimetières, pour priver les protestants de représentation dans les hôtels de ville.

[…] Le massacre de la Saint-Barthélemy ne surgit pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il survient après une décennie de persécutions plus ou moins violentes.

Le mariage de Marguerite de Valois, sœur du roi Charles IX, avec le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, célébré le 18 août 1572, devait signifier la réconciliation entre les deux confessions. Or, dès le 24 août, les massacres commencent.

L’attentat contre l’amiral Gaspard de Coligny, protestant, rebat les cartes. Selon toute vraisemblance, le coup a été commandité par la très catholique famille de Guise qui, pas plus que Philippe II, roi d’Espagne, ne veut d’un rapprochement entre la Couronne et les protestants.

L’attentat est manqué, mais les lieutenants protestants sont furieux et menacent de reprendre les armes. Probablement pour éviter cette nouvelle guerre, Catherine de Médicis décide, dans la nuit du 23 au 24 août, de faire exécuter une vingtaine de chefs militaires huguenots.

Par la suite, le massacre dégénère selon un processus dont il est difficile de savoir s’il a été planifié, souhaité, ou s’il s’agit d’un dérapage, voire d’une révolte contre le roi et ses édits de paix.

La capitale était alors une poudrière, chauffée à blanc par des curés zélés et quadrillée de miliciens qui, depuis une décennie, rêvaient d’en découdre une fois pour toutes avec les hérétiques.

Quand la milice a vu sortir du Louvre des hommes du roi ayant pour mission la mise à mort des « huguenots de guerre », ils ont cru y voir un feu vert à la mise à mort de tous leurs voisins protestants.[…]

Vous parlez de « massacre de proximité »…

Depuis au moins 1568, les miliciens qui assurent la police urbaine et religieuse ont l’habitude de jeter en prison ou d’expulser les protestants de Paris. Dans cette époque pré-bureaucratique, ils connaissent le nom, l’adresse, le visage des huguenots. Car ces miliciens sont des bourgeois élus par leurs voisins, et seuls les voisins sont capables de dire qui va à la messe et qui n’y va pas, qui a fait baptiser ses enfants au temple ou à l’église.

[…] Or ces données conditionnent la réussite du massacre : les tueurs sont efficaces, vont directement à la bonne adresse, entraînés au harcèlement depuis des années ; les victimes sont figées parce qu’elles sont habituées.

D’ailleurs, dans un premier temps, les huguenots anticipent mal ce qui les attend, car ils pensent avoir déjà vécu dix fois ces petites humiliations. C’est parce que la Saint-Barthélemy a pour tous un air de déjà-vu qu’elle « réussit » si bien. Pourtant, derrière la routine se cache quelque chose de radicalement inédit l’été 1572 : au lieu de se contenter des persécutions habituelles à l’encontre des protestants, cette fois-ci, on les passe par le fil de l’épée.

La Saint-Barthélemy est donc, comme vous l’écrivez, « l’inverse d’une révolte populaire » ?

Oui, car les hommes qui à mes yeux sont responsables de la majorité des mises à mort n’appartiennent pas aux catégories populaires et n’agissent pas selon les codes d’une émotion irrationnelle. […]  ils savent ce qu’ils font le soir du massacre lorsqu’ils frappent à la porte de victimes préalablement reconnues. Rien ne serait plus faux que de s’imaginer une foule anonyme se jetant sur des victimes inconnues désignées à sa vindicte. […]

[…]

Pourquoi manger du jambon et des œufs était-il une preuve à charge ?

Il est très difficile de prouver que des gens « croient mal ». Les traces matérielles de leurs pratiques hétérodoxes sont donc très utiles, car elles viennent matérialiser les mauvaises pensées. Manger de la viande ou des œufs en temps de carême — ce qui était interdit par l’Église mais ne l’était pas par les protestants — devenait ainsi une preuve accablante d’appartenance à la religion réformée.

[…]

La vie semblait continuer pendant les massacres…

C’est probablement ce qui m’a le plus choqué au cours de mon enquête. La grande majorité des archives produites au cours des jours de massacre documentent des actes d’une troublante banalité : on achète un immeuble, des rentes, on paie son loyer, on se marie, on met ses enfants en apprentissage, tandis qu’à côté, à quelques pas et au même instant, des hommes et des femmes sont égorgés.

L’interprétation de ces documents demeure très délicate. Peut-on imaginer que des contemporains aient acheté un logement à midi et massacré leurs voisins à 2 heures ? Rien d’impossible, mais la persistance de cette vie quotidienne interroge.

S’agit-il d’une cruelle indifférence des catholiques qui continuent imperturbables de « vivre leur vie » tandis que leurs voisins sont mis à mort ? Ou au contraire, hypothèse plus généreuse, est-ce une façon de ne pas rentrer dans le massacre, une forme de résistance passive ? […]

Quelles ont été les différentes lectures et interprétations jusqu’à aujourd’hui de la Saint-Barthélemy ?

Pendant plusieurs siècles, historiens comme témoins ont été d’accord sur un point : Catherine de Médicis et ses fils avaient prémédité le massacre et étaient responsables des milliers de morts protestants. Les uns déploraient cette préméditation, les autres s’en réjouissaient. Depuis une trentaine d’années, l’image de Catherine de Médicis a été réhabilitée et l’on sait désormais qu’elle était une femme de paix,[…] Il est évident désormais qu’elle n’a pas planifié les massacres de la Saint-Barthélemy, mais qu’elle a été en grande partie débordée par les catholiques radicaux.


D’après un article signé Gilles Heuré – Télérama – Titre original : « Saint-Barthélemy : quand les voisins deviennent des assassins ». Source (Extraits)


2 réflexions sur “Étonnante recherche !

  1. bernarddominik 10/12/2021 / 8h37

    Très intéressant mais on apprend pas qui est réellement derrière cette planification des assassinats. Il y a bien du avoir des listes, des documents, on ne se rappelle pas 3000 noms.

  2. jjbey 10/12/2021 / 9h01

    Tuez les tous et Dieu reconnaitra les siens disait le Comte de Toulouse lors de ses attaques contre des villages supposés hérétiques.
    Un volet intéressant est le devenir des biens de ces victimes.
    On s’apercevra qu’ils n’ont pas été perdu pour tout le monde…………..

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