Lever le mystère des aides publiques au secteur privé.

Des élues et l’Observatoire des multinationales ont lancé ce mardi 30 novembre 2021 une commission pour évaluer et tracer les aides publiques au secteur privé.

Depuis mars 2020 et le début de la crise du coronavirus, l’État a joué le rôle d’assureur en dernier ressort de l’ensemble de l’économie marchande.

Les pouvoirs publics ont ainsi déversé aux entreprises pas moins de 240 milliards d’euros directement, chiffre auquel il faut ajouter près de 300 milliards d’euros de prêts garantis et un montant de près de 200 milliards d’euros pris en charge par les assurances sociales et l’Unédic au titre du chômage partiel. Cette masse considérable a été attribuée au nom de l’emploi, mais n’a fait l’objet d’aucune conditionnalité.

Ainsi, si l’emploi privé s’est bien redressé pour retrouver un niveau proche de l’avant-crise et si les revenus globaux réels des ménages par unité de production en 2020 ont été stables, les entreprises et leurs actionnaires sont les grands vainqueurs de cette crise.

Une partie considérable des aides publiques a fini directement dans leurs poches, déjà bien garnies par la politique fiscale du gouvernement depuis 2018 : selon France Stratégie, le flux de dividendes versés aux ménages français a crû de 9 milliards d’euros en 2018 par rapport à 2017, et ce surplus s’est maintenu en 2019 et 2020, augmentant même d’un milliard d’euros.

Or, début 2021, les chiffres des marges des entreprises, autrement dit, de ce qu’il leur reste une fois leurs coûts fixes payés, étaient sans équivoque : elles atteignaient 35,7 % au deuxième trimestre 2021 selon l’Insee, puis sont retombées à 32,9 %, un niveau néanmoins encore bien supérieur au niveau moyen de 2018 (31,6 %).

Ce 30 novembre 2021, l’association Observatoire des multinationales a publié une note portant spécifiquement sur le CAC 40. Elle souligne que l’intégralité des 40 groupes qui font partie de l’indice phare de la Bourse de Paris a été soutenue par des fonds publics. Et, en parallèle, les dividendes versés par ces 40 groupes ont progressé de 3 milliards d’euros tandis que 6 milliards d’euros ont été réservés à des programmes de rachats d’actions.

Les bénéfices globaux ont progressé de plus de 30 % au premier semestre 2021 par rapport à celui de 2019 et, malgré tout, sept des douze groupes les plus bénéficiaires du CAC ont supprimé des emplois en 2020.

Bref, il y a concrètement un problème d’utilisation de l’argent public qui semble être capté par le capital privé pour son propre compte.

[…]

Deux poids, deux mesures

Pendant que les politiques néolibéraux passent leur temps à traquer les fraudes sociales et à faire pression sur les transferts aux ménages au nom de la « bonne gestion », ils distribuent des centaines de milliards d’euros sans condition et sans contrôle aux entreprises privées. Car, et c’est là le fond de ce qu’il est bien convenu d’appeler un scandale, l’évaluation même de ces aides est un des mystères les mieux gardés de la République. Il n’existe aucun cadre officiel concernant l’examen de la loi de finances pour les connaître et les évaluer.

Là encore, on ne peut que s’en émouvoir. […]

[Reste que], rien n’a été mis en avant pour identifier les subventions, aides, niches fiscales et soutiens au secteur privé. C’est une myriade de mesures réparties sur les deux lois de finances et ainsi invisibilisée.

C’est pourquoi l’Observatoire des multinationales a pris l’initiative d’organiser une commission d’enquête sur les aides publiques au secteur privé.  […]

La commission d’enquête présentée ce 30 novembre 2021 ne sera cependant pas une commission d’enquête officielle, le règlement de l’Assemblée ne le permet pas.

 […] L’objectif de cette commission est de remettre un « livre blanc » sur le sujet début mars pour permettre un débat dans le cadre de la campagne électorale présidentielle.

 […] l’enjeu de cette commission, et ce sera son […]  intérêt majeur,  […]  de mettre au jour le fonctionnement du néolibéralisme, trop souvent identifié dans les milieux politiques à un simple « radicalisme de marché ».

Le travail hautement important d’évaluation du soutien public au secteur privé en régime de croisière va permettre une prise de conscience de la vassalité de l’État par rapport aux entreprises et notamment aux grands groupes.  […]

Il s’agira aussi d’examiner de près la prétendue efficacité de ces aides au regard de l’intérêt général.  […] ces aides profitent-elles à la Nation ? Sur le plan strictement macro-économique, rien n’est moins sûr.

Les évaluations du CIR et du CICE (devenu baisse de cotisation pour 20 milliards d’euros) ont montré des effets relativement faibles sur l’économie française et en tout cas sur l’investissement productif et la recherche.  […]

 […]  la dernière utilité de cette commission réside dans l’analyse de l’évolution récente du capitalisme.  […]

La tâche de la commission sera donc aussi de construire un autre récit, alternatif à celui du néolibéralisme en crise. Certains de ses membres en sont conscients, comme la députée Mathilde Panot qui voit dans ces travaux un « levier important de transformation économique ».  […]

Quant au refus de la majorité et de la droite de s’y associer, il affirme avec évidence une nouvelle ligne de rupture politique dont, là encore, il conviendra de tirer les leçons.


Romaric Godin. Médiapart. Source (extraits)

2 réflexions sur “Lever le mystère des aides publiques au secteur privé.

  1. bernarddominik 04/12/2021 / 8h45

    Aucun doute à avoir l’argent public est distribué sans contrôle aux entreprises alors que l’état se montre tatillon pour les chômeurs et les plus démunis.
    Cet argent se retrouve dans les bénéfices qui sont par ailleurs de moins en moins imposés alors que les tranches d’impôts passent de 11% à 30% pour les classes moyennes.

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