Une lecture analytique d’un essai…

… destiné à une gauche progressiste, visant à : « Sortir de notre impuissance politique »

« Ne vivons-nous pas dans un champ politique tel que l’expression de la dissidence est déjà inscrite dans le système et donc en un sens programmée par lui ? »

C’est par ce questionnement (surprenant par sa forme en ceci qu’il mobilise des expressions dont l’usage est étranger aux mouvements progressistes et à leurs conceptualisations) que Geoffroy de Lagasnerie ouvre son essai Sortir de notre impuissance politique (Fayard 2020).

La relative notoriété médiatique de l’auteur ainsi que le récent tweet (en date du 30 septembre 2020) d’Anne Hidalgo, maire de Paris, jugeant l’auteur « inspirant » (en réaction à un entretien livré sur le plateau de la matinale de France Inter), invitent à porter un regard attentif et critique sur ses travaux.

À première vue, il apparaît que G.de Lagasnerie, sociologue et philosophe mais également militant investi dans les luttes du comité « Justice et Vérité pour Adama » ou encore dans les initiatives de solidarité avec les personnes migrantes, est un incontournable et une personnalité tutélaire de la pensée progressiste contemporaine. C’est cette évidente apparence que nous nous proposons d’interroger, en procédant à la lecture critique de l’un de ses derniers essais, Sortir de notre impuissance politique.

L’idée directrice développée par l’auteur est la suivante : l’impuissance politique que connaissent les forces progressistes à notre époque est choisie, sans toutefois que celles-ci en aient la conscience et encore moins la volonté, davantage que subie. Choisie, inconsciemment et involontairement, au sens où les choix « tactiques » et « stratégiques » des forces progressistes seraient inscrits dans une « mécanique de la défaite ». Vers la fin de l’ouvrage, l’auteur pourra ainsi également parler d’une « auto-dé-puissantisation » (thèse 67) et d’une « auto-mutilation » (thèse 68) de ces forces politiques et sociales.

La puissance politique étant entendue comme puissance d’agir politiquement, en ceci que l’action politique produirait des effets souhaités par ses acteurs ; l’impuissance se comprend inversement comme l’incapacité de l’action politique à produire les effets qu’elle escompte, l’impossibilité pour les sujets des luttes d’être victorieux et de rendre effectives leurs aspirations et leurs revendications (thèse 1).

L’une des caractéristiques principales de cette impuissance politique est qu’elle ne trouverait pas son origine dans une insuffisance quantitative des luttes politiques et sociales (en ceci qu’il n’y aurait pas assez de grèves et de grévistes pour les mener, de manifestations et de manifestants pour y participer…), comme pourraient le penser un certain nombre des acteurs de l’action politique, mais plutôt dans les formes mêmes de l’action politique (thèse 9).

« La réflexion livrée par Geoffroy de Lagasnerie semble se situer en dehors de l’analyse des profondeurs du monde social et de leur dynamique historique. »

L’auteur précise ses vues : les modes de lutte politique et sociale qui nous sont familiers (grève, manifestation, rassemblement…) se sont routinisés à mesure de leur institutionnalisation historique, à tel point que les agents de l’action politique les admettent comme des donnés intangibles de l’agir politique contemporain (thèse 2).

G. de Lagasnerie livre un peu plus loin l’idée-force de son essai, qu’il met en discussion par la suite : l’action politique telle que nous la pratiquons, avec ses modes institués et la « codification » qui les caractérise, ne correspond pas à l’agir politique véritable. Nos pratiques politiques relèveraient davantage d’une mise en scène des luttes, suivant un scénario prédéterminé et vis-à-vis duquel les différents agents ne marqueraient aucune distance critique (thèse 11).

Dès lors, une nécessité s’impose, prioritaire sur toutes les autres, aux sujets politiques en lutte : opérer un « tournant tactique dans notre pensée politique » (thèse 3), afin d’« y faire vivre un moment utilitariste » (ibid.) ; retrouver un sérieux politique par la reconquête de la centralité des objectifs politiques dans les luttes (thèse 12), actuellement relégués derrière ce que, sans pour autant employer l’expression, l’auteur caractérise comme les fonctions récréatives des luttes (où nous chantons, nous dansons, nous nous prenons en photo…) pour leurs acteurs (thèses 11 et 12).

« Identifiant dans l’institutionnalisation des modes de lutte l’origine de l’échec des mouvements sociaux, l’auteur en vient pratiquement à nier leur pouvoir historique à conquérir et établir leur existence, légale et réelle, au sein même de l’espace politique et social dominé par la bourgeoisie. »

Entendons-nous bien avant de discuter plus en profondeur le contenu de l’ouvrage : la conduite d’une démarche d’investigation (auto-)critique et rigoureuse, visant à identifier les origines des défaites politiques et sociales accumulées par le monde du travail, relève de la nécessité impérieuse pour les militants et les cadres de ses organisations.

En effet, il s’agit là d’une indispensable condition intellectuelle au redressement futur des forces « progressistes » qui aspirent à l’élargissement de la démocratie, à la révolution des relations sociales et à la sauvegarde d’un environnement naturel compatible avec la vie humaine. Une autre de ces conditions est l’identification des luttes populaires à une historicité émancipatrice, alternative de celle imposée par le capital, aliénante pour les humains et destructrice pour leur environnement naturel. Ce devenir alternatif de l’humanité, c’est ce que nous nommons, à la suite de Karl Marx, le communisme.

Dans l’essai de G. de Lagasnerie, il ne sera pourtant jamais proposé l’esquisse d’une alternative politique et sociale, qui fait tant défaut aux luttes contemporaines et aux forces qui les mènent. Nous pouvons distinguer ici ce qui nous semble être une faiblesse du travail de G. de Lagasnerie : la disjonction opérée, dans la réflexion théorique, entre les modes de lutte et la visée politique des luttes.

Le lecteur ne pourra que ressentir une forme de frustration intellectuelle, grandissante à mesure qu’il progressera dans sa lecture du livre. À ce stade de notre lecture critique, il nous paraît utile de préciser qu’ici ne sont pas jugées ni discutées la qualité et la sincérité des engagements militants de l’auteur, mais uniquement les idées versées au débat politique des progressistes dans cet ouvrage.

Sans prétention à l’exhaustivité vis-à-vis de Sortir de notre impuissance, et avec modestie, nous proposerons de suivre les trois axes de lecture critique de l’ouvrage suivants :

• l’absence d’un regard sociologique, de la part d’un auteur pourtant sociologue, sur l’objet étudié et sur les conditions historiques et sociales de la perte de puissance politique des forces progressistes ;
• l’inscription des réflexions de l’auteur en dehors d’un espace social déterminé, débouchant sur une pensée métaphysique de l’action politique ;
• la négation de la nécessité théorique dans l’élaboration de l’action politique par conséquent le refus de la praxis révolutionnaire.

Un monde social réduit à l’abstraction

C’est la première observation que nous souhaitions soulever : l’auteur, sociologue de formation et de profession, ne propose pas véritablement au lecteur de réflexion caractéristique du métier de sociologue sur les mutations connues par les sociétés capitalistes depuis les années 1980.

Cette décennie, et la période historique qu’elle a ouverte, est réduite par l’auteur à la seule fabrique des élites néolibérales contemporaines (thèse 27) ou, plus loin dans le texte, à la réussite d’une entreprise d’infiltration et de subversion en profondeur des institutions politiques, économiques et académiques (thèses 53 et 57) et à des luttes politiques victorieuses dont il faudrait reproduire certains des modes d’action (thèses 52 et 53), sans que soient jamais évoquées les transformations profondes des rapports sociaux

Ainsi, le lecteur s’interrogeant sur les relations entre le recul relatif de l’engagement syndical d’un côté, et la persistance d’un chômage massif (ceint par une multitude de situations d’emploi précaire et de modes de mise au travail reposant sur l’emploi indépendant) de l’autre, conservera ses questionnements intacts (et même sans commencement de réponse), en vue d’autres lectures.

N’y sont pas davantage mis en discussion : les liens entre la paupérisation des quartiers populaires – dont nous apprenons que les individus qui les habitent pratiqueraient la « dissidence » du quotidien au moyen de la « délinquance » (thèse 45) – et la dissociation opérée par le capitalisme contemporain entre l’espace urbanisé et la production industrielle ; le rapport entre le recul de l’emploi industriel dans le pays et la tertiarisation de l’activité économique d’un côté, et l’individualisation des relations et des expériences de travail de l’autre, ou encore la fonction sociale que le  « management » (« corporate » comme « new » & « public ») opère dans la mise au travail capitaliste contemporaine et ses effets dissolvants sur les solidarités internes au monde du travail.

« Cette métaphysique politique enferme dans des impasses, certes habilement habillées par des formules toutes d’apparence plus radicale les unes que les autres, pour la pensée comme pour l’action. »

Dans les développements proposés par G. de Lagasnerie, ces aspects majeurs de la restructuration « néolibérale » du capitalisme, vécus quotidiennement et souvent douloureusement par les individus qui les subissent, sont relégués à des contingences les confinant à l’invisibilité théorique.

Pour le dire avec force et symbole : dans la narration de la société et de ses relations de pouvoir proposée par G. de Lagasnerie, ni les plans sociaux subis par les « Conti » ni les suicides des salariés de France Telecom ne semblent avoir de place ; quand bien même les uns et les autres ont marqué durablement le vécu salarié de la subordination aux employeurs, au point de devenir les tragiques références des licenciements collectifs pour les premiers et de la souffrance au travail pour les seconds.

À ce stade de la lecture, nous pouvons déjà faire le constat suivant : la réflexion livrée par G. de Lagasnerie semble se situer en dehors de l’analyse des profondeurs du monde social et de leur dynamique historique. Ainsi, les phénomènes les plus marquants des restructurations néolibérales du capitalisme pour les agents sociaux qui les subissent brillent par leur absence dans les développements de l’auteur, et avec eux, la discussion sur les relations qu’ils pourraient entretenir avec l’impuissance politique des luttes et des mouvements sociaux. Nous allons maintenant nous apercevoir que le vide laissé par l’absence de ce travail d’analyse est rapidement comblé par une pensée métaphysique de l’action politique.

Vers une métaphysique de l’agir politique

Aucun essai politique ne saurait décrire et analyser en profondeur l’ensemble des mutations sociales observées depuis les années 1980. Toutefois, l’essai de G.de Lagasnerie pêche par l’excès inverse : l’absence de mise en perspective sociologique et historique de l’impuissance politique (mais aussi, d’une éventuelle puissance perdue du mouvement social) que l’auteur appelle à dépasser.

Faute d’inscrire l’objet (l’impuissance politique présente et les voies futures de la reconquête d’une puissance d’agir pour le mouvement social) dans une temporalité historique et un espace social bien définis, l’auteur se contente de proposer un ensemble de spéculations métaphysiques, à l’instar de cette discussion sur le recours à la violence dans l’action politique.

« Les rapports de force passés, ayant délimité l’espace politique disponible pour les luttes présentes en repoussant les frontières que lui avaient auparavant assignées les classes dominantes, voient leur héritage politique progressiste totalement démonétisé. »

G. de Lagasnerie commence par juger la question de l’usage de la violence dans l’action politique « obsédante » (thèse 10), avant d’admettre qu’elle exerce une « emprise » (« thèse » n°41) sur les pensées politiques progressistes, sans toutefois renvoyer à des écrits ou des débats militants précis auquel le lecteur pourra se référer pour apprécier la justesse du propos de l’auteur.

Les arguments mobilisés pour opérer une critique radicale de la non-violence, et de son caractère autant illusoire qu’incantatoire, sont parfaitement recevables (thèses 41 et 43). En effet, l’établissement de relations sociales de domination est inséparable de l’exercice de la violence ; la non-violence correspond alors à un choix d’auto-aliénation des moyens de l’action politique.

Cependant, la conceptualisation proposée sur l’usage de la violence, en contrepartie de cette critique de la non-violence, ne paraît pas aussi pertinente. L’auteur refuse de mener la discussion qui s’y rapporte d’un point de vue juridique (thèse 42) ou encore moral/éthique (thèse 43).

La question de la violence est essentiellement politique et le critère permettant d’apprécier sa pertinence est, pour l’auteur, son efficience, à l’instar de toute forme d’action politique (thèse 44), mesurée par comparaison des coûts qu’elle induit pour qui la pratique et des avantages qu’elle permet de retirer.

Un peu plus tôt dans l’ouvrage (thèse 13), l’auteur formule l’hypothèse que ce sont les brefs épisodes de violence qu’ont connus les manifestations parisiennes des gilets jaunes dans les arrondissements bourgeois, qui auraient créé le rapport de forces favorable à la conquête d’avancées sociales (dont le contenu n’est pas discuté ; l’auteur semblant admettre de manière univoque que les mesures annoncées par le chef de l’État le 10 décembre 2018 correspondent à des avancées réelles).

Au moment où l’auteur formule cette hypothèse, il émet également le souhait que nous soyons plus « inventifs », « tactiques » : par exemple, en mobilisant l’argent issu des caisses de grève afin de financer des « actions ciblées » (dont le contenu et les contours resteront mystérieux pour le lecteur) menées par de « petits groupes », plutôt que de l’employer à l’organisation de manifestations de masse…

Par ce vœu, l’auteur offre une nouvelle fois l’occasion de constater que sa réflexion se situe totalement en dehors du monde social et de son mouvement historique. Identifiant dans l’institutionnalisation des modes de lutte l’origine de l’échec des mouvements sociaux, l’auteur en vient pratiquement à nier leur pouvoir historique à conquérir et établir les capacités de leur existence, légale et réelle, au sein même de l’espace politique et social dominé par la bourgeoisie.

Ce que l’auteur caractérise comme l’institutionnalisation des formes de l’action politique – qui offre au mouvement social une panoplie de moyens de lutte (grève, manifestation…) hérités des générations militantes antérieures – correspond avant toute chose à une conquête des luttes passées disponible pour les luttes présentes et futures. C’est une condition absolument nécessaire, mais certainement pas suffisante à elle seule, pour avoir la capacité de connaître davantage de « grèves joyeuses » que de « semaines sanglantes », dans les luttes qui engagent un conflit général avec les détenteurs des moyens de produire et ceux du pouvoir politique.

En y voyant autre chose, et particulièrement l’une des raisons des défaites des luttes sociales, l’auteur prolonge son choix méthodologique – de situer sa réflexion sur les conditions de la puissance et de l’impuissance politiques en dehors des conditions sociales dynamiques dans lesquelles l’action politique se déploie – dans une discussion à portée pratique, parfaitement déconnectée de l’histoire des mouvements sociaux, de leurs débats et de leurs conquêtes.

« Faute d’inscrire l’objet (l’impuissance politique présente et les voies futures de la reconquête d’une puissance d’agir pour le mouvement social) dans une temporalité historique et un espace social bien définis, l’auteur se contente de proposer un ensemble de spéculations métaphysiques. »

Les rapports de force passés, ayant délimité l’espace politique disponible pour les luttes présentes en repoussant les frontières que lui avaient auparavant assignées les classes dominantes, voient leur héritage politique progressiste totalement démonétisé. Les modes de lutte que nous connaissons sont en conséquence totalement disqualifiés par l’auteur, ainsi que le principe même d’une action de masse, qu’il s’agisse notamment de la grève ou de la manifestation.

Ainsi, non seulement Sortir de notre impuissance politique situe la discussion sur la sortie de l’impuissance en dehors du monde social et de l’historicité dans laquelle la puissance s’est construite, mais entend également la mener en faisant abstraction des conquêtes passées (lesquelles déterminent l’espace politique dans lequel la puissance établit ses frontières), sur lesquelles l’auteur porte des jugements de valeur particulièrement dépréciatifs, sans discussion aucune de leur portée historique.

C’est ainsi que nous avons pu caractériser la pensée politique de G. de Lagasnerie, développée dans cet essai, comme une métaphysique de l’action politique. Nous allons maintenant chercher à quelles impasses théoriques comme pratiques, conduit ce qui apparaît, avec clarté, comme une pensée métaphysique de l’action politique.

Une radicalité stérilisatrice pour l’action politique

L’auteur mobilise assez peu de références théoriques pour élaborer et développer sa réflexion : ainsi, nous avons croisé G. Anders (thèses 10, 11, 13, 14, 34 et 43), et nous croiserons, au fur et à mesure de la lecture, P. Bourdieu (thèse 66), H. Marcuse (thèses 7 et 70) ainsi que l’ombre tutélaire de M. Foucault (ne serait-ce qu’au travers de l’emploi du concept de gouvernementalité, rencontré aux thèses 39, 57 et 71).

Le corpus marxiste est pratiquement absent des thèses développées par l’auteur. Le lecteur poursuivant la lecture jusqu’au terme de l’ouvrage pourra y découvrir une citation bien connue de Lénine (thèse 67), affirmant qu’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire, introduisant une critique de « l’aspiration théorique » (thèse 68) des forces progressistes, assimilée à une « autoproduction de la paralysie » (thèse 67).

D’après l’auteur, l’activité théorique exerce des effets démobilisateurs sur les agents sociaux en lutte : parce que celle-ci nécessite de penser des « systèmes de pouvoir » (thèse 67), la théorie propose une « montée en généralité », mobilisant des « catégories vides » (l’auteur cite ainsi « l’État impérialiste », le « capitalisme », le « colonialisme », le « patriarcat »), invocations théoriques permanentes traduites dans la pratique par « l’injonction » à « la convergence des luttes » (thèse 68).

Les luttes sociales s’éloignent alors des « objectifs pratiques » et des « changements possibles » (thèse 67), s’assignent des « cibles inatteignables » (ibid.) au lieu de « pouvoirs locaux, sectoriels » (thèse 68). Cette mécanique implacable que décrit l’auteur déboucherait sur le résultat malheureux suivant : chaque mouvement social, défini comme une « confrontation avec les pouvoirs spécifiques qu’il vise », se perçoit comme impuissant à agir, parce qu’incomplet, tant qu’il ne converge pas dans une confrontation générale, contre un ou des ennemis communs, avec les autres mouvements sociaux existants dans le même temps.

L’auteur approfondit par la suite sa critique de l’activité théorique, en se concentrant, après ses effets pratiques (thèses 67 et 68), sur sa logique intellectuelle même (thèses 69 et 70). Ainsi, ce que l’auteur nomme « l’aspiration théorique à la montée en généralité » voit sa disqualification poursuivie : si des catégories d’analyse comme le capitalisme et l’impérialisme ont été proclamées comme « vides », ce n’est pas uniquement parce qu’elles détourneraient les mouvements sociaux « d’objectifs pratiques », « du changement possible » et des « cibles atteignables », c’est également parce qu’elles relèvent d’une « généralité » et d’une « cohérence » dont l’ère serait close (thèse 69), si tant est qu’elle ait jamais existé, les systèmes de pouvoir étant « éclatés » et l’ayant « toujours été ».

L’auteur en arrive à la conclusion suivante, univoque : il n’y a pas de « centre », uniquement des « systèmes de pouvoir » à briser « un à un », donc pas de « révolution ». Pas de révolution, pas de système et pas de sujet politique unique : ainsi, l’époque où le mouvement ouvrier apparaissait comme « la force révolutionnaire unique » correspondait en vérité à un « moment de censure et de répression des autres mouvements sociaux ».

« À ce stade de notre lecture critique, il nous paraît utile de préciser qu’ici ne sont pas jugées ni discutées la qualité et la sincérité des engagements militants de l’auteur, mais uniquement les idées versées au débat politique des progressistes dans cet ouvrage. »

L’examen attentif de l’histoire du mouvement ouvrier aurait peut-être permis à l’auteur de se dispenser de formuler doctement une affirmation aussi fausse. Au contraire, ce qui caractérise les moments historiques de puissance du mouvement ouvrier, c’est plutôt que cette capacité d’initiative et d’action créait les conditions de l’épanouissement des revendications et des luttes sociales en faveur de la démocratisation de l’État et des libertés publiques ; de la pacification des relations internationales et de l’émancipation des peuples soumis à la domination coloniale ou encore celles, vives et nombreuses, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes comme entre nationaux et immigrants.

À la lecture des derniers développements, nous ne pouvons que constater que cette métaphysique politique l’enferme dans des impasses, certes habilement habillées par des formules toutes d’apparence plus radicale les unes que les autres, pour la pensée comme pour l’action. Parmi celles-ci, citons principalement la négation de la nécessité de l’activité théorique ; et les relations mécaniques établies entre celle-ci et l’activité pratique, exerçant un véritable effet de stérilisation pour la seconde, privée des capacités critiques et heuristiques de la première, comme pour la première, dépossédée de la puissance d’agir et de transformation de la seconde.

Avant de refermer Sortir de notre impuissance politique, permettons-nous une ultime invitation à la réflexion, individuelle comme collective : la sortie de l’impuissance politique n’a-t-elle pas pour indispensable préalable intellectuel et politique la sortie de la métaphysique de l’agir politique et la réhabilitation conséquente de la méthode dialectique et de la pensée matérialiste dans l’élaboration d’une visée émancipatrice pour les luttes politiques et sociales ?


Thomas Bompied. Revue « Cause commune » n° 24 • juillet/août 2021- Source (Lecture libre)

Une réflexion sur “Une lecture analytique d’un essai…

  1. jjbey 25/11/2021 / 18h39

    L’impuissance n’est que relative car changer de système n’est pas l’essentiel des motifs des luttes qui sont livrées tous le jours pas les travailleurs. Ces luttes victorieuses ne font pas la une des journaux télévisés et ce n’est pas dans la presse sauf rares exceptions, qu’elles sont évoquées. La volonté suprême de changement, aspiration souvent individuelle, ne se concrétisera que lorsque la conscience de classe de chacun sera éveillée. Cette prise de conscience de ce que la force des exploités peut entreprendre dès lors qu’elle s’organise (théorie révolutionnaire) peut aboutir par l’action (pratique révolutionnaire) à la disparition du système capitaliste.

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