Un «élu», contorsionniste — Tautologie ?

C’est une histoire française. Une de ces belles histoires de girouette…

Une historiette. Il était une fois un seigneur qui prenait les décisions seul, car il était le seigneur. Ses nombreux vassaux ne connaissaient qu’une position de la jambe, la génuflexion. Et le temps avançait. Pour seigneur Macron, il ne pouvait être question de renoncer au nucléaire, car quel que fût son sentiment profond, il ne pouvait prendre le risque d’incommoder tant de gens en annonçant par exemple (extrême folie) une sortie du nucléaire.

 Et d’un côté, il avait bien raison, car comment gagner une élection en étant courageux?

Bien d’autres motifs étaient à l’oeuvre, on s’en doute.

Le lancement en fanfare des minicentrales, déjà évoqué ici en octobre, montre en tout cas que l’atome sera chaque jour plus sanctuarisé. Hors de tout débat, où l’on verrait pourtant que les antinucléaires ont des arguments.

Les SMR, pour small modular reactors, sont de vraies centrales nucléaires, et ainsi que l’énoncent le lobby et tous ses ventriloques de la presse gavée de pubs pour EDF, «plus économiques et plus écologiques ». On allait le dire.

Mais où placer ces nouveaux chefs-d’oeuvre technologiques ?

Une Mme Christelle Morançais, présidente Les Républicains de la Région des Pays de la Loire, vient d’avoir une idée géniale : mettre une minicentrale nucléaire à la place de la centrale au charbon de Cordemais (Loire-Atlantique), qui doit fermer définitivement en 2026.

Que faire des quelque 330 salariés?

Le maire de Cordemais, Daniel Guillé, est très pour le nucléaire, avec un argument en béton surarmé : « Il va bien falloir continuer à produire de l’électricité avec des moyens pilotables. » Et Mme Morançais, elle aussi pleine de saines et puissantes idées, assure que le dossier est « un enjeu de souveraineté énergétique pour le territoire ».

Et c’est là qu’on rigole encore plus franchement avec François de Rugy, l’homme aux homards, ci-devant grand personnage, et toujours député de Loire-Atlantique, où il guigne encore, sans espoir à court terme, la ville de Nantes.

Attention, il va falloir suivre de près.

Jadis, Rugy était écolo, à la mode Jean-Vincent Placé, mais officiellement du moins. Dans sa jeunesse, il a participé à des manifs contre un projet de centrale nucléaire au Carnet, dans l’estuaire de la Loire. Il n’aimait pas l’atome, qu’il disait.

Le projet sera abandonné en 1997. Rugy est passé à autre chose depuis longtemps.

En 2016, il se présente à la primaire de la gauche pour la présidentielle, et il est encore antinucléaire, lui qui propose une sortie complète de l’atome d’ici à 2040. Comme un quelconque Valls, il promet de soutenir le vainqueur, mais comme c’est Hamon, il se jette dans le pieu de Macron, qui lui refilera la présidence de l’Assemblée nationale. À quoi tiennent de solides convictions, hein?

En 2021, accordant un entretien à L’Obs, il lache : « Quand on regarde les choses rationnellement, on voit qu’il est illusoire de se passer du nucléaire. »

Un homme aussi courageux, aussi transgressif, devrait se féliciter de la belle idée de Morançais. C’est chez lui, après tout. Au premier abord, on ne comprend donc pas pourquoi il vient de déclarer à Ouest-France : « Il ne faut pas se voiler la face. La question de l’acceptabilité politique, sociale et sociétale du projet est importante. Vous imaginez [une minicentrale] en Loire-Atlantique avec l’historique de la lutte contre la centrale du Carnet? Je pense qu’EDF a une bonne mémoire du sujet. Il faut être sérieux : la tendance est à augmenter la puissance des sites nucléaires existants, pas à les multiplier. »

Avouons-le, c’est rigolo. Très.

Rugy a de suite compris qu’un projet de centrale nucléaire en Loire-Atlantique, fût-elle petite, ruinera au passage sa pauvre carrière. Car on repartirait pour des années de bagàrres, au cours desquelles les innombrables trahisons du sieur seraient constamment rappelées.

Dans ces conditions, il ne serait jamais maire de Nantes, même à 92 ans. Or donc, oui au nucléaire, oui au seigneur Macron. Mais là-bas. Encore bravo.


Fabrice Nicolino – Charlie Hebdo – 17/11/2021