Exceptionnelle exception.

Il y a un petit côté gaullien chez Emmanuel Macron. Mais, pas pour le meilleur.

Si le Général était accusé par ses détracteurs de pratiquer le « coup d’État permanent », Macron, lui, donnerait plutôt dans « l’état d’exception sans fin ». Moyennant quoi, il est déterminé à prolonger l’utilisation du Passe sanitaire (qui devait, rappelons-le, disparaître le 15 novembre) jusqu’au 31 juillet 2022. Et, cela va sans dire, de l’état d’urgence qui va avec.

Pour être exact, le projet de loi que doit examiner l’Assemblée nationale cette semaine prévoit de le garder au chaud, au cas où – pas question de se laisser déborder par une cinquième vague, voire une sixième, voire… ad libitum.

Les éléments de langage sont déjà affûtés : « refus d’un désarmement sanitaire », « vigilance », « dispositions potentielles »… D’ailleurs, pourquoi s’en priverait-on, puisque le passe sanitaire, « c’est un atout pour garantir la liberté », a rappelé Élisabeth Borne.

On s’en doutait déjà un peu, la ministre du Travail le confirme : aux yeux du gouvernement, la liberté consiste d’abord à consommer sans entraves. Restent pourtant quelques autres broutilles, comme la liberté d’aller et venir, le droit à l’anonymat, l’égalité entre citoyens, l’accès à la santé et aux services publics, que le passe sanitaire va continuer à malmener allègrement du haut de son QR code. Mais, de toute évidence, cela ne chiffonne pas plus que ça l’équipe de choc de la relance et du provisoire qui dure.

C’est d’autant plus préoccupant que, avec ce nouveau calendrier qui nous emmène au milieu de l’été, il est un autre droit constitutionnel qui risque d’être « Lui » aussi méchamment bousculé : le droit de vote. Car ce projet de loi « portant diverses dispositions de vigilance sanitaire » (on appréciera le flou euphémisant du « diverses dispositions ») enferme deux scrutins, et pas les plus anecdotiques, dans un épais voile de brouillard. Rien de moins que la présidentielle et les législatives.

À l’heure où ces lignes sont écrites, personne au sein de la Macronie n’a jugé utile d’apporter des précisions sur la façon dont s’organiseront ces élections – espérons que le Parlement s’en souciera.

  • Faudra-t-il un « potentiel » passe sanitaire pour accéder à son bureau de vote ?
  • Les citoyens non vaccinés devront-ils se soumettre à un test ?
  • Si c’est le cas, sera-t-il toujours payant ?
  • Déjà que les élections gratuites n’attirent pas les foules, à 44 euros le bulletin de vote, on se dirige vers un taux d’abstention record…

Tout cela serait inédit.

Et surtout, guère compatible avec l’article 3 de la Constitution, qui stipule que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Ce qui inclut, a priori, même les plus givrés des antivax. Quant à l’état d’urgence, il permet au gouvernement et aux préfets de limiter un certain nombre de droits fondamentaux, mais pas d’exclure du droit de vote une partie du corps électoral, fût-il bourré de microbes.

Certes, la Covid-19 a montré depuis son apparition qu’il sait être particulièrement vicelard, et on peut comprendre que les autorités souhaitent garder à disposition des outils législatifs pour faire face à une situation sanitaire qui s’aggraverait à nouveau. Mais, la moindre des choses serait de faire mine d’avoir pensé à certains détails auxquels les démocrates républicains que nous sommes sont bêtement attachés.

S’il est une chose qui frappe tout particulièrement dans la gestion de cette crise sanitaire, c’est la légèreté (et parfois la morgue) avec laquelle la Macronie traite les questions de libertés publiques. Ainsi que la désagréable impression qu’elle trouve ça, au fond, assez confortable.


Gérard Biard – Charlie Hebdo – 20/10/2021

3 réflexions sur “Exceptionnelle exception.

  1. bernarddominik 23/10/2021 / 9h50

    Les élections municipales ont été maintenues malgré la pandémie et l’absence de vaccin et de tests à ce moment-là, résultat 55% d’abstention.
    Il paraît inconstitutionnel l’obligation du pass sanitaire pour des élections, mais le conseil constitutionnel a une lecture très partiale de la constitution, et rien ne prouve qu’ils n’autorisent pas la limitation de l’accès aux urnes.
    Pour les régionales le dépouillement ne pouvait être fait que par ceux ayant le pass sanitaire.
    Mais, il n’y a eu aucun contrôle dans ma commune. N’oublions pas que pour le conseil constitutionnel l’égalité devant la loi n’est pas actée.

  2. jjbey 23/10/2021 / 10h13

    La Liberté, une notion de moins en moins respectée.
    Va-t-on la décrocher de nos édifices publiques?
    Pour mieux l’encadrer, bien sûr!

  3. Danielle ROLLAT 23/10/2021 / 22h09

    Et s’ils tentaient, compte tenu :
    1) des difficultés rencontrées pour constituer les bureaux de vote et les tables de dépouillement lors des dernières élections municipales,
    2) de la faiblesse historique du taux de participation et des scores ridicules ayant permis l’installation de trop nombreux conseils municipaux :
    – de généraliser le vote par machine électronique à l’occasion des présidentielles et législatives ?
    – de remettre en selle le vote par correspondance supprimé depuis des années (je me souviens qu’il existait encore en 1969) ?

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