Connaissez-vous la meilleure politique de gauche de ces dernières années ? Elle s’appelle les 35 heures, à l’origine de créations d’emplois sans précédent. Un résultat indiscutable, et pourtant nié par tant de pseudo-experts que cette vérité dérange.
Coucou, « la » revoilà !
La réduction du temps de travail est de retour dans la bouche de la plupart des candidats de gauche à l’élection présidentielle, et c’est une bonne nouvelle.
Sans surprise, c’est du côté de la gauche de gauche que l’on est le plus clair sur le sujet, le communiste Fabien Roussel et l’insoumis Jean-Luc Mélenchon se prononçant en faveur de la semaine de 32 heures payées 35, qui sera « inscrite dans la loi » selon le député LFI Éric Coquerel. Yannick Jadot est plus prudent, souhaitant simplement lancer une « convention citoyenne sur les temps de travail et la santé au travail ». Pour Anne Hidalgo : « Reposer la question du temps de travail, c’est une évidence », notamment pour permettre à chacun de se former, de s’engager dans une association, s’occuper d’un proche, bref de disposer de la liberté dont bénéficient les classes aisées, sans parler des héritiers qui ne travaillent pas, ou peu, ou seulement quand ils le veulent.
Seule voix discordante de ce côté de l’échiquier politique, celle d’Arnaud Montebourg qui note – et ce n’est pas faux – que les entreprises ne pourront pas à la fois augmenter les salaires et réduire le temps de travail.
Et si la croissance ne créait pas (beaucoup) d’emplois ?
- La réforme des 35 heures était une mesure controversée pour de mauvaises raisons, mais aussi des bonnes : était-ce vraiment une bonne idée d’imposer la même réduction du temps de travail à toutes les entreprises ?
- Comment les petites allaient-elles faire pour s’organiser ?
- Cette réduction du temps de travail sans baisse de salaire, impliquant donc une hausse du coût du travail pour les entreprises, n’allait-elles pas les pénaliser dans la concurrence internationale ?
Pour ma part, je n’étais pas convaincu par cette réforme, qui me semblait trop dirigiste, insuffisamment souple. Maintenant que nous avons du recul, on peut affirmer que les 35 heures ont atteint leur principal objectif, celui des créations d’emplois. Celles-ci se chiffrent à – au moins – 400 000. Cela en fait, de très loin, la politique de l’emploi la plus efficace, et la moins coûteuse pour les finances publiques par emploi créé, qui n’a jamais existé.
Pour comprendre à quel point les 35 heures ont été exceptionnelles, il faut prendre le temps de lire le graphique ci-dessous, qui montre l’évolution de l’emploi total, public et privé, en France, au cours d’une très longue période : 1950–2017. Comme on le voit, le nombre de personnes qui travaillent dans notre pays est passé d’environ 16,5 millions en 1950 à 19,5 millions en 2017. Ceci est le premier résultat.

Maintenant, regardez ce graphique sans a priori.
Que voyez-vous ? Pour ma part, ce que je vois, c’est que, de 1950 à 1993, l’emploi ne progresse pas : il monte certes fortement au cours des années 1960, mais revient à son niveau de départ ensuite. Ce fait est majeur : suite à une très forte période de croissance – pensez à l’énorme accroissement de richesse intervenu en plus de 40 ans, qui inclut la période des Trente glorieuses – l’emploi total n’a pas augmenté.
Comme l’explique ailleurs Michel Husson, la croissance ne crée pas d’emplois, car ceux-ci sont mangés par les gains de productivité (source, par ailleurs, de la hausse du niveau de vie).
C’est le deuxième résultat, sans doute le plus important, et ignoré de la plupart des journalistes, des hommes politiques, et des économistes.
Troisième résultat : il n’y a qu’une seule période de temps au cours de laquelle la hausse de l’emploi est très forte, c’est entre 1997 et 2001. Je vous laisse prendre le temps, en regardant à nouveau le graphique, de voir à quel point cette période est différente de toutes les autres – sur une période très longue, de près de 70 ans. C’est absolument remarquable. Que s’est-il passé à ce moment-là ? Plusieurs choses évidemment, comme la victoire de l’équipe masculine de football à la Coupe du monde 1998, qui a sans aucun doute, par l’euphorie qu’elle a créée, conduit à des créations d’emplois supplémentaires.
Le sidérant succès des 35 heures
Mais le fait majeur de cette période, c’est bien sûr le passage aux 35 heures par semaine. Comme le dit le regretté Michel Husson, brutalement décédé cet été à l’âge de 72 ans, dans l’article qui fournit ce graphique : « On n’a jamais créé autant d’emplois en France que lors du passage aux 35 heures, entre 1997 et 2001. Ce sont 1,8 million d’emplois dans le secteur privé qui ont été créés au cours de ces quatre années : un véritable record historique ».
Michel Husson, qui était sans doute le meilleur macro-économiste de France, celui qui connaissait le mieux les liens entre production, emploi, revenus, et croissance, n’était pas naïf au point de penser que la totalité de cette hausse de l’emploi était due aux 35 heures, dont il estimait la contribution à 500 000 emplois. Mais comment savoir exactement ?
Il se trouve qu’entre 1987 et 1991, la France a connu une croissance de son PIB quasiment identique à celle qui a prévalu entre 1997 et 2001. Ainsi que l’explique Denis Clerc dans sa comparaison entre les deux périodes, les créations d’emplois ont été nettement plus fortes au cours de la deuxième période : 1,8 million, on l’a vu, contre seulement 800 000 entre 1987 et 1991. Le constat est clair : les 35 heures ont créé massivement des emplois.
De plus, Denis Clerc montre que cette politique n’a en rien diminué les profits des entreprises, le « taux de marge » ne diminuant aucunement. Pourquoi ? Parce que des diminutions de cotisations sociales étaient incluses. Mais, pour évaluer le coût net de la mesure, il faut retrancher les recettes supplémentaires de cotisations sociales générées par les emplois créés, et les baisses de dépenses de l’assurance-chômage. Au total, les 35 heures ont coûté à l’État et à la Sécurité sociale 2,5 milliards d’euros. Comme 400 000 emplois ont été créés, cela fait un coût net par emploi de 6 000 euros.
La catastrophe du Crédit d’impôt compétitivité emploi
À l’inverse, le CICE décidé par Macron et Hollande, qui accordait de très généreuses baisses de cotisations sociales aux entreprises, sans aucune contrepartie de leur part bien entendu, a coûté 100 milliards d’euros aux finances publiques, et créé, au grand maximum, 400 000 emplois. Soit un coût par emploi de 250 000 euros. Contre 6 000 pour les 35 heures. 40 fois plus.
Pour comprendre, c’est comme si vous courriez 10 km par jour, grâce à votre régime Hollande-Macron, et que je vous propose les pilules Aubry, qui vous permettent de courir 400 km chaque jour. Cela vous semblerait dingue. Mais c’est pourtant la réalité.
Mais alors, où est allé l’argent du CICE ? Dans les poches des salariés, sous forme de hausses de salaires, et dans les poches des entreprises, dont les profits ont augmenté, et qui les ont utilisés pour gâter leurs actionnaires, et non pour investir. Bref, le CICE est un échec invraisemblable, comme je n’en ai jamais vu, un gaspillage d’argent public – on parle de 100 milliards, hein – absolument sans précédent. Mais ce fait, établi par des économistes on ne peut plus sérieux, n’a jamais fait la Une de la presse. Et, d’un autre côté, si vous interrogez mes collègues, la plupart vous diront, contre l’évidence, que les 35 heures ont échoué.
Certes, cette politique fut très loin d’être parfaite. Son plus gros défaut a sans doute été d’améliorer la vie de certains cadres, qui se sont retrouvés avec 9 semaines de congés payés – et continuent bien sûr de voter à droite – quand, à l’inverse, la vie quotidienne de nombreux employés a été massacrée, à cause de « l’annualisation » du temps de travail, funeste concession aux employeurs et terme bien hypocrite pour dire « vous pourrez bosser certaines semaines 20 h, et d’autres 60, et on pourra vous appeler la veille pour vous demander de venir travailler le lendemain, et même le week-end ».
Mais le fait est là : les 35 heures n’ont quasiment rien coûté aux finances publiques, alors que le CICE, voulu par Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie, a vidé les caisses de l’État comme jamais, et ce avec sans doute moins de créations d’emplois au bout du compte. Un pognon de dingue de perdu, oui.
La gauche peut remercier Michel Husson
Si je peux vous expliquer tout cela aujourd’hui, c’est d’abord grâce à Michel Husson qui m’a appris le fonctionnement de base de l’économie. Son décès prématuré me laisse désemparé. Vous pouvez lire certains de ses textes en libre accès sur le site d’Alternatives Économiques. Et prendre la mesure de cet homme unique en parcourant son prodigieux site, en vous demandant comme je l’ai souvent fait moi-même : mais comment une seule personne peut-elle produire autant de connaissances ?
S’il n’y a qu’une chose à lire de lui, c’est son livre intitulé Le capitalisme en dix leçons (aux éditions La Découverte) illustré par un autre génie, du nom de Charb. Un bouquin qui devrait vous être utile dans les mois et les années qui viennent, tout en vous bidonnant devant les dessins de notre regretté artiste.
Rédigé d’après l’article de Jacques Littauer. Charlie Hebdo Web. Source
Ce qui intéresse le capitalisme, c’est le profit immédiat aveuglant la perception de la réalité économique du système.
Pour tourner le système a besoin de consommateurs solvables et moins le producteur de richesses passe de temps à son travail et plus il consomme d’autres biens comme ceux nés du loisir. Le temps de travail diminué, c’est aussi la productivité augmentée donc plus de richesses produites dans un temps raccourci.
Un meilleur partage des richesses, c’est-à-dire plus de salaire accroitrait encore la consommation et améliorerait la rotation du capital générant ainsi plus de profits.
Mais, les abrutis de système n’ont rien compris et continuent de penser qu’ils ont raison malgré les démonstrations du contraire qui sont sous leurs yeux.
Que n’a-t-on entendu sur les 35 heures ?