Grosses interrogations

« Et si la laïcité pouvait nous mener à une nouvelle spiritualité ? » un questionnement porté par le philosophe Abdennour Bidar…

[Des questions qui n’engagent que lui, mais autant tout lire, tout connaitre… et se faire son idée perso. MC]

Entre le camp des anti-religieux et le muticulturalisme à tout crin, une autre voie est possible, que dessine le philosophe Abdennour Bidar dans son essai “Génie de la France”. Une laïcité apaisée, condition d’une nouvelle spiritualité, qui permettrait de redonner du sens à une époque qui en manque.

Héritier d’une culture familiale musulmane et athée, Abdennour Bidar est depuis des années le témoin privilégié de la grande bataille française sur la laïcité. […] Alors que le principe républicain cristallise les antagonismes identitaires et les disputes politiques, le philosophe ose en faire, dans son dernier livre, Génie de la France, la clé d’un avenir français apaisé. Plus qu’une liberté politique, la laïcité est pour lui une liberté existentielle. Et après l’ère des pouvoirs théologico-politiques, après la sécularisation moderne et ses religions de substitution, Abdennour Bidar lui confie le soin d’ouvrir une nouvelle époque : celle d’une démocratie spirituelle.

  • Votre livre débute par une méditation sur l’esprit français, que vous décrivez comme un double « non » au sacré politique et au sacré religieux…

Pour moi qui aime la France, c’était un exercice important que de me questionner sur l’esprit français — je préfère cette notion à celle d’identité, que je trouve trop statique. Or cet esprit français, historiquement, est celui d’une rébellion, d’une insoumission à toute forme d’aliénation. Mais tous les refus ne sont pas identiques, il y a « non » et « non »… Parce que nous sommes un pays profondément déstabilisé, il s’y développe aujourd’hui un discours qui répand la peur, le rejet de l’autre et la haine. Quand on ne sait plus trop qui on est, on a tendance à se réfugier dans de grandes images défuntes.

On veut ainsi nous faire croire qu’il suffirait de fermer les vannes de l’immigration et de mettre les musulmans au pas pour que la France soit à nouveau la France. Ce n’est pas vrai. En écrivant ce livre, mon intention politique est de dire que nous ne pouvons pas laisser le discours sur la France au seul camp réactionnaire. Il faut considérer notre multiculturalité, non pas comme un simple fait, mais comme une possibilité toujours vivante, toujours offerte, de se rassembler autour de valeurs qui peuvent faire droit et justice à cette diversité, tout en la fédérant dans un fondement et un horizon communs. Comment réussir cette quadrature du cercle : être à la fois un et multiple ?  […]

Vous convoquez la laïcité pour répondre à ce défi, alors qu’elle cristallise les antagonismes, suscitant des disputes parfois violentes…

 […]

“La laïcité fait de l’espace public un lieu où deux libertés, politique et spirituelle, peuvent s’exprimer.”

 […] Assistons-nous à un raidissement de la laïcité, prise au piège d’un sacré républicain ?

Ce qui me désole, c’est qu’elle ne soit plus brandie que comme une arme. Soit une arme républicaniste laïcarde visant à évacuer toute présence du religieux hors de l’espace public ; soit, à l’autre extrême, présentée comme la version française du multiculturalisme : chacun pourrait exprimer sans frein sa différence et sa particularité. La laïcité n’est ni l’un ni l’autre. Elle doit répondre à un double maximum : assurer le maximum de droit d’expression à la diversité, et en même temps le maximum de cohésion autour de valeurs fondamentales. Pourtant, sur le plan collectif, c’est l’inverse : nous faisons de la laïcité un motif de division supplémentaire, d’une manière toujours plus irruptive et désordonnée… J’en suis très inquiet.

Vous proposez donc une issue étonnante : une laïcité spirituelle…

La laïcité nous libère politiquement d’une domination religieuse, aucune religion ne pouvant être en position de faire la loi dans la société. C’est une liberté politique : que vous soyez athée, agnostique ou croyant, vous n’avez rien à craindre de l’État, puisqu’il n’est plus en mesure de vous imposer ou d’interdire quoi que ce soit en matière de conviction existentielle. C’est donc aussi une liberté spirituelle : me voilà moi, être humain, en condition de choisir un sens spirituel à ma vie, sans craindre une loi sacrée. Ma thèse est de faire de la laïcité une opportunité spirituelle en même temps qu’une opportunité politique.


À lire : Génie de la France : le vrai sens de la laïcité, d’Abdennour Bidar, éd. Albin Michel, 19€.


Propos recueillis par Elise Racque – Télérama – titre original : « S’élever par la laïcité » 

Source (Extraits)

2 réflexions sur “Grosses interrogations

  1. Pat 05/10/2021 / 14h29

    Une excellente analyse de la situation, intéressante mais malheureusement, cette proposition nécessite, de parts et d’autres, beaucoup de bonne volonté. Or, il ne me semble pas que l’apaisement soit l’objectif de tous.

  2. jjbey 05/10/2021 / 23h43

    Il a une LOI celle de 1905 et la lire, la comprendre évite toute dérive mystique autour du terme Laïcité. Le chemin pour comprendre ce qu’on voulut faire les législateurs de l’époque pour apaiser le débat entre l’église et ceux qui s’appuyaient sur les valeurs républicaines pour justifier un anticléricalisme forcené demande un minimum d’étude. Il reste que ce texte qui garantit la liberté de croyance et préserve la République des diktats religieux s’impose à tous sans qu’il soit besoin d’y mettre une spiritualité quelconque sauf à changer le sens de ce mot.

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