Toulon ensommeillé, Toulon bétonne, mais Toulon zemmourisé.
À Toulon, devant un public enamouré,Éric Zemmour a entamé la tournée de promotion de son bouquin. Il continue de jouer les coquettes en refusant d’annoncer sa candidature tout en transformant ses rencontres littéraires en shows politiques. Charlie s’est glissé parmi les fans du nouvel homme providentiel.

Vendredi 17 septembre 2021, Éric Zemmour, le bientôt peut-être candidat à la présidentielle, inaugurait le lancement de la tournée de promo de son bouquin La France n’a pas dit son dernier mot, le brûlot égotiste du polémiste d’extrême droite où se retrouve l’ensemble de ses obsessions, à savoir l’invasion migratoire, le féminisme, l’Europe liberticide, le « grand remplacement », le déclin de la France et… son amour pour le Général.

Situé tout près du stade Mayol, tout près de la mer – qu’on ne voit jamais tant les urbanistes ont depuis des décennies salopé la ville -, le palais des congrès Neptune attend d’accueillir la vedette du jour. Pour s’assurer d’avoir une place, il n’est plus temps de s’attarder dans les ruelles de la basse-ville, avec ses vieux immeubles ocre et ses nouvelles boutiques de créateurs pour bobos. En haut d’un escalator en panne, des autocollants à la fleur de lys conseillent : « Lisez Maurras Action française ». Affublés des logos Face-book, Twitter et Instagram, ils sont la preuve qu’on peut être salement royaliste, antisémite et résolument connecté. Ils ont aussi le mérite de mettre dans l’ambiance de la folle soirée qu’on s’apprête à passer.
C’est que Toulon, premier port militaire de France, ce n’est pas rien : la 13e ville du pays est la première à s’être donnée au FN, en 1995, en mettant à sa tête Jean-Marie Le Chevallier. Autant dire que le choix zemmourien pour débuter ici ses « rencontres avec les Français » ne doit rien au hasard.

Fin connaisseur de la politique, de l’histoire et de la composition sociologique de la cité, Zemmour sait qu’il est ici en terrain conquis. «Il aurait tort de se priver », grince Britta, éducatrice spécialisée à la retraite, militante à la Cimade, une association chrétienne venant en aide aux migrants. Rencontrée à la librairie Contrebandes, la sexagénaire «communiste et protestante » poursuit : « Beaucoup de retraités aisés, l’armée et une forte présence des pieds-noirs, c’est une partie de l’explication du vote FN. »

Lors de son monologue du soir, Éric Zemmour expliquera son choix de Toulon par ses souvenirs de vacances enfantines dans le coin, son amour pour les Varois et les pieds-noirs : « Il y en a beaucoup ici, je suis un des leurs. » Applaudissements nourris de ceux qui, selon Zemmour, possèdent une prescience, une connaissance quasi intime du «monde arabo-musulman », « une sensibilité particulière» qui, les premiers, leur a fait comprendre le danger de « l’invasion migratoire ».
Toulon, pour Zemmour l’historien, c’est évidemment plus Bonaparte que Jean-Marie Le Chevallier, auquel le polémiste ne fera aucunement référence durant sa prestation scénique.
Il est vrai que les quatre mandats municipaux successifs d’Hubert Falco, ex-LR séduit par le macronisme, ont progressivement effacé le passage calamiteux de l’équipe frontiste. « C’était des amateurs pitoyables. Parfois c’en était presque émouvant », se rappelle Gilles, un professeur de sciences, militant libertaire, en relatant des réunions municipales qu’il suivait pour le journal associatif et anti-fasciste Cuverville. Un titre (« cul-vers-ville ») qui fait un clin d’oeil à la statue dédiée au génie de la navigation, un colosse qui trône à poil sur le port, quasi sous les fenêtres de l’hôtel de ville, et montre son cul à tous les élus.
La presse d’alors faisait régulièrement état du conflit qui opposait le maire Jean-Marie Le Chevallier à Gérard Paquet, alors directeur du théâtre de Châteauvallon (l). C’est aussi l’époque où le journal municipal Le Toulonnais se faisait l’écho de sacrés scoops. Pour les dingos en roue libre de la mairie, la Fédération des oeuvres laïques n’était pas un mouvement associatif mais « une secte maçonnique de lutte contre le catholicisme ». En 1995 encore, l’équipe de Charlie « sautait sur Toulon » pour la réalisation d’un hors-série du même nom.
Rappeler la bêtise crasse du FN et la dangerosité de ces gens-là n’est pas tout à fait inutile. Mais, presque trente ans plus tard, « le constat est amer », admet Gilles. Le FN est devenu un parti « respectable », et la venue de Zemmour, prévue au programme des Entretiens de l’été, ne soulève ni objections ni mobilisation.
Malgré l’avalanche de propos racistes, la pensée rance et les casseroles judiciaires que se trimballe le bateleur de CNews, la gauche, les associations, les syndicats sont en léthargie. « Ici, ce qu’on entend le plus, c’est : « Je m’en bats les couilles. » Les Toulonnais, soit ils adhèrent à l’extrême droite, soit ils se réfugient dans l’indolence », poursuit le militant, que l’on devine un peu fatigué.
Finalement, contre toute attente, vers 19 h 30, un petit groupe de contestataires du meeting politique d’Éric Zemmour – pardon, de la présentation littéraire de l’écrivain – commence à siffler, à huer, à balancer des « Fachos !» à la ronde. La foule, qui se masse sur la place du palais des congrès, riposte en entonnant une Marseillaise, car l’heure est à la défense de la patrie !
Dans l’introduction de son bouquin, le polémiste se réfère à Victor Hugo et ses Choses vues pour livrer à son tour ses pensées fulgurantes. Après le grand Victor, « c’est mon tour », note tout en modestie le petit Éric.
En poireautant dans la foule qui se presse devant les portes du palais des congrès, l’envie nous prend d’imiter Zemmour qui imite Hugo.
Des « choses vues et entendues » chez ses partisans, ça donne d’abord : une foule importante, avec autant de vieux que de jeunes, de femmes que d’hommes. Les « Blancos », comme dirait Manuel Valls, y sont majoritaires. Le « grand remplacement » n’est pas à l’ordre du jour partout. Encore que, avec le bronzage qui se décline sur les vieilles peaux varoises, on ne peut jurer de rien. On y voit les looks d’étudiant en droit de Génération Z, ces activistes qui collent frénétiquement des affiches à l’effigie de leur héros.
On remarque qu’une croix de Lorraine chez un jeune loup cohabite avec une fleur de lys portée en pendentif chez une quinquagénaire. Il y a encore ceux qui, n’ayant pas encore leur bréviaire en main, espèrent pouvoir l’acheter pour, in fine, obtenir une dédicace du maître. La petite sauterie d’une heure et demie de monologue, avec un gribouillis en guise de dédicace, coûtera 41,90 euros et de longues heures de patience. Quand on aime, on ne compte pas.
Dans la foule, il y a encore le stratège politique qui chuchote avec des airs de conspirateur, disant que ce n’est pas le tout de gagner, il faut encore avoir les quelque 500 députés pour gouverner. Juste derrière, un Provençal qui a forcé sur l’after-shave raille les assistés qui ont «du jus de shit dans les veines ». Puis, pour que «la France redevienne la France », souffle à sa voisine qu’il faudrait « passer certains quartiers de Marseille au napalm ».

Quand la forêt de caméras et de micros se fait trop pressante, les sympathisants de Zemmour disent en aparté leur mépris de la corporation journalistique… dont leur héros est pourtant l’un des membres les plus visibles. Mais il ne faut pas confondre celui qui « dit la vérité », qu’on « empêche de parler » via le CSA et la 17e chambre correctionnelle et l’émission Quotidien, de Yann Barthès, ou Charline Vanhoenacker, de France Inter, qui griffonne des O et des B sur les affiches de Génération Z et affuble l’idole de ces jeunes de moustaches hitlériennes. Qu’importe, pour certains, cette effervescence médiatique, qu’elle soit pro- ou anti-Zemmour, est le signe qu’il se passe quelque chose. Ils y voient un possible remake du coup pendable qu’a réussi Macron en 2017: dézinguer les partis, ringardiser Marine Le Pen, rafler la mise présidentielle.
Zemmour aura-t-il l’étoffe d’un chef d’État? Rien n’est moins sûr, mais le petit bonhomme aux grandes ambitions ne semble pas douter plus que ça. Il ponctue sa venue à Toulon de références historiques, sur Napoléon, de Gaulle ou encore Chateaubriand. Écrasé dans son fauteuil, jambe droite battant sans cesse la mesure, il dégage toujours quelque chose de trouble.
Polémiste cinglant, beau parleur, il semble finalement mal à l’aise avec lui-même. « C’est un trublion, mais ce n’est ni un homme politique ni un battant, glisse, malicieux, Gérard Paquet, l’homme de culture désormais à la retraite. Dans tous ses débats, il parle à la table. Il ne regarde pas les gens dans les yeux. Aucun politique ne peut faire carrière s’il n’a pas la tête haute. » Le lendemain, en meeting encore plus survolté, à Nice, Eric Zemmour se pavanait sur scène pendant quarante minutes, regardant droit devant lui… Elle apprend vite, la bête de scène.

Natacha Devanda – Charlie Hebdo- 22/09/2021
1. Opposant déclaré au FN, Gérard Paquet, cofondateur de Châteauvallon, a refusé les subventions municipales. Il a été licencié en 1997.
Habituellement, tous les offices de tourisme vantent leur ville chargée d’Histoire.
À Toulon, c’est plutôt l’Histoire qui est chargée. Et ce dès la période révolutionnaire.
Septembre 1793 : le baron d’Imbert, monarchiste acharné, livre la flotte française aux Britanniques. En un jour, Toulon, plus grand port de guerre de la Méditerranée, bascule dans la contre-révolution.
À Paris, alors que la Terreur pointe le bout de ses tranchants, la chute de Toulon s’apparente à la plus haute des trahisons. La Convention expédie 30 000 soldats (l’armée des « Carmagnoles »), avec à leur tête Bonaparte, qui libère la ville le 17 décembre 1793. Marquée au fer rouge de l’infamie, elle devient alors « la ville qui trahit ». Et ce n’est qu’un début.
Novembre 1942: un amiral royaliste ordonne le sabordage de la flotte française dans ta darse de Toulon. Il avait le choix : ordonner le départ de ses bâtiments de guerre pour rejoindre la flotte alliée outre-Méditerranée ou se saborder.Il choisira la seconde solution. Plusieurs commandants de sous-marins lui ont désobéi, choisissant de rallier l’Afrique du Nord pour reprendre le combat. Des héros.
Au XXe siècle, la trahison peut aussi surgir des urnes. Quelques maires communistes et socialistes tenteront bien de laver l’honneur de la démocratie avant, pendant et après le Front populaire, mais ils seront balayés par des élus fascistes ou populistes.
Jusqu’au fatal 18 juin 1995, jour où le frontiste Jean-Marie Le Chevallier s’empare de Toulon. Une tache sur la ville. Et une nouvelle trahison. Monsieur Zemmour, bienvenue chez vous!
Claude Ardid – Charlie Hebdo- 22/09/2021
Toulon c’est mon enfance passée entre le mont Faron et la darse vieille (le port).
Autrefois socialiste (le Bellegou rose très pâle) que les marins ont remplacé par Arrecks un maire centriste sur le papier mais très à droite ami de la pègre locale, puis les scandales l’ayant chassé remplacé par don Premier adjoint le Dt Trucy, collègue de classe de mon oncle, et arrive Le Chevallier et son équipe de bras cassés du FN, remplacé par Falco, ancien maire de Pignans, arrivé là par la grâce de Chirac.
Tous ces maires n’ont eu de cesse de bétonner, même des monuments historiques comme les forts d’Artigues et de Ste Catherine ont été remplacés par du béton.
Quant au front de mer il n’a pas échappé à la spéculation. Triste sort.
Dans la vieille ville le mégalomane Falco à laissé son nom partout « Hubert Falco à fait ceci à fait cela » comme si à Toulon le maire était le seul maçon le seul paveur le seul à savoir crépis un mur… Triste destin d’une ville que Vauban avait entourée de superbes fortifications.
Toulon qui avait tout pour être la perle de la méditerranée provençale.
vite de l’Air…