Les saveurs du pain

Les 35 000 boulangers de France et de Navarre attendent la décision comme… du pain bénit.

Sauf que les boulangers adorent abuser des additifs : moins de qualité, mais plus de fournées !


Cet automne, si tout va bien, la baguette « de tradition française » devrait faire son entrée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Annoncée en mars par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, la candidature auprès de l’Unesco a été servie dorée sur tranche aux médias par la présidente du comité de soutien pour le classement de la baguette, la sénatrice Catherine Dumas (LR) : « C’est un peu l’ADN de la France qui est mis à l’honneur de cette façon.

De quoi faire oublier que, l’an dernier, lors de la Coupe du monde de la boulangerie, organisée tous les quatre ans, c’est la Chine qui a raflé la médaille de la meilleure baguette, devant le Japon et le Danemark (la France pleurnichant au pied du podium…)

En fait, la fameuse « tradi », avec son cahier des charges aux petits oignons fixé par décret, limitant à quatre le nombre d’ingrédients autorisés (eau, farine, sel et levure ou levain) et obligeant le boulanger à la pétrir et à la cuire sur place, est l’arbre (à pain) qui cache la forêt : elle ne représente que 20 % des 10 milliards de baguettes que nous engloutissons chaque année. L’occasion d’aller regarder de plus près ce qui se passe dans le fournil… Tout ce qui, dans une boulangerie, n’est pas estampillé « tradition » a souvent peu à voir avec le pain d’antan.

Des grumeaux dans le fournil

Premier grumeau ? La qualité de la farine. La plupart des artisans boulangers raffolent des farines ultra-raffinées, c’est-à-dire passées par une opération de blanchiment qui élimine certains composants. Normal, elles sont plus faciles à travailler.

Sauf que la baguette affichant une mie très blanche est privée d’ingrédients bénéfiques pour la santé : éléments minéraux, vitamines et fibres.

Ainsi, quand une farine à l’ancienne, de type 110, contient 1 % de minéraux, sa version ultra-raffinée, la T55, en recèle deux fois moins.

Un degré de raffinage que le boulanger, qui n’y est nullement obligé, se garde bien d’indiquer au consommateur. Par ailleurs, plus la farine est raffinée, plus elle est riche en sucre. D’autant que les « levures à levée rapide », également ajoutées, augmen­tent encore l’index glycémique.

Douceurs chimiques

D’autres astuces chimiques (inoffensives) cassent quelque peu le mythe du pain naturel à la française. Parmi ces « corrections meunières » (sic), l’ajout d’acide ascorbique, censé rendre la pâte plus élastique et empêcher le pain blanc de s’oxyder trop vite ; le monostéarate de glycérol, qui renforce la capacité de la pâte à supporter un excès de fermentation et diminue le cloquage de la croûte de pain ; la lécithine de soja, qui, tout à la fois, renforce l’onctuosité de la mie et permet de prolonger la conservation ; ou encore l’assaisonnement en gluten, qui facilite la « pousse du produit », comme on dit dans le jargon.

Sans compter que, pour recharger en goût une farine anémiée (qui donne un pain fadasse) et augmenter au passage le poids de leur baguette, la plupart des boulangers y vont franco de la salière. Résultat : alors que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), compte tenu des charmants effets de l’excès de sodium sur l’hypertension et les maladies cardio-vasculaires, recommande de ne pas dépasser 18 voire 16 grammes, le pain français titre à 24 grammes de sel par kilogramme de farine.

Dès 2002, pourtant, la profession boulangère s’était engagée à réduire (en cinq ans) le taux de sel à 18 grammes par kilo de farine. L’objectif n’ayant pas été atteint, les boulangers avaient réenfourné en 2015, jurant cette fois de descendre a 19 grammes. La promesse a été tenue par… 30 % d’entre eux comme l’a sévèrement relevé, en septembre 2018, la Commission d’enquête parlementaire sur l’alimentation industrielle. Reste que, là encore, le boulanger n’est aucunement tenu d’indiquer la quantité de sel saupoudrée.

Le meunier, son fils et nous

Dominée par quatre groupes minotiers fournissant à eux seuls la moitié de la farine, l’industrie meunière française a eu vite fait de proposer aux boulangeries des « solutions de panification » (autrement dit des prémélanges (ou prémix)), réduisant la durée du pétrissage et du levage, et permettant de fabriquer le pain en trois heures au lieu des six à douze heures requises en tradi. Autant de fournées gagnées !

Nombre de boulangers ont cédé à cette facilité pour augmenter leur rendement. Ils se contentent d’acheter tous les mois aux grands moulins des sacs contenant une « base farine » farcie d’enzymes, d’additifs et d’arômes. Ces préparations standardisées donnent des produits uniformisés, faciles à confectionner, mais « pas terribles pour les papilles », s’agace un «vrai » artisan boulanger, qui s’échine à faire lui-même ses pains de A à Z.

Faudrait pas que l’Unesco ait l’impression d’être roulée dans la farine…


Info sur le Gluten

C’est une poudre jaune qui rapporte 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel à l’industrie amidonnière française… L’essentiel des 170 000 tonnes de gluten sorties chaque année des usines tricolores est acheté par la meunerie, qui la saupoudre dans ses farines pour optimiser et accélérer la panification.

C’est là que le bât blesse : les protéines du blé recèlent déjà suffisamment de gluten. Nul besoin d’en ajouter dans la farine pour faire lever la pâte.

D’autant que les variétés modernes, génétiquement sélectionnées pour générer de hauts rendements, flirtent déjà avec les 12 % de gluten, contre 7 % au début du siècle dernier.

Mais, comme il faut toujours contracter davantage le temps de fermentation et de pétrissage de la pâte, la poudre jaune est de plus en plus utilisée.

Et tant pis si les scientifiques soupçonnent cette « overdose » de gluten d’aggraver l’intolérance alimentaire dont souffrent aujourd’hui 6 % des Français.

Aujourd’hui, les boulangers ont le droit d’assaisonner leur farine avec autant de gluten qu’ils le souhaitent. Leur fixer une limite, ça ne mangerait pas de pain !


Christophe Labbé – Le Canard Enchainé – 01/09/2021

3 réflexions sur “Les saveurs du pain

  1. bernarddominik 05/09/2021 / 14h48

    Le premier problème est l’absence d’information sur la composition réelle du pain.
    Le second est la manière dont est notée la baguette par les goûters internationaux, car en l’absence de norme tout est permis.
    Ainsi en mettant des copeaux de chêne dans le moût les Américains ont obtenus des vins mieux notés par les « experts ».

    • Libres jugements 05/09/2021 / 16h33

      Vrai pour l’appréciation.
      Toutefois, ce qui fait tiquer c’est les divers adjuvants, raison pour lequel nous devenons des consommateurs de produits fraudâtes qui nous mènent vers diverses maladies dont l’obésité est le plus visible dans la population « dite » développée, quant aux différents cancers…

  2. Danielle ROLLAT 05/09/2021 / 17h09

    Le métier a évolué avec l’offre et la demande.
    Les premières fournées de mon enfance sortaient vers 6 heures, la dernière en fin de matinée.
    Aujourd’hui, les baguettes sont cuites sous nos yeux, dans la boutique, jusqu’à 18 heures, pour servir du pain chaud et frais, aux salariés qui sortent du travail, après une heure de transport. Il a certes les « adjuvants » mais également la demande de l’usager, qui consomme essentiellement du pain frais du jour… et on peut voir derrière les supermarchés, des conteneurs à ordures ménagères remplis de pain, qui aurait pu être écoulé, à un moindre prix… gâchis aussi ici.
    Nostalgie pour nos ancêtres paysannes et ma belle-mère, qui cuisaient leurs pains, et quelques douceurs, dans un four à bois une fois par semaine ou quinzaine, avec de la farine confectionnée par le meunier du canton, avec le blé des fermiers… c’était du bio avant l’heure.

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