On dépasse les bornes…

Le bon vieux moteur thermique est condamné à disparaître en 2035, mais, en attendant, les infrastructures de l’alternative ne suivent pas.

Les automobilistes n’auront bientôt plus que leurs essieux pour pleurer ! Le 13 juillet, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a proclamé la fin des voitures à moteur thermique en 2035. Le 5 août, le président américain, Joe Biden, a embrayé sur une annonce pétaradante : en 2030, la moitié des véhicules vendus aux Etats-Unis ne devront plus rejeter de carbone (électriques, hybrides rechargeables ou à hydrogène). La course aux watts est lancée !

A un train de limace

En France, les constructeurs automobiles ont mis du temps à prendre le virage, mais les voilà qui enfoncent le champignon électrique ! Sur son site Internet, Citroën vante la « conduite silencieuse » et le « zéro gramme de CO2 émis » de sa C4 100 % électrique, tandis que, chez Renault la citadine Zoé « électrise votre quotidien ». Peugeot, de son côté, célèbre l’« autonomie » de 340 km de son modèle e-2008, qui « permet de parcourir aussi bien de courtes que de longues distances ». Nouveaux propriétaires de cette voiture proprette, les Niçois Norbert et Cécile ont déchanté, fin juillet, lorsqu’ils ont voulu se rendre à Avignon. Théoriquement, la citadine devait effectuer ce trajet non polluant de 260 km sans s’arrêter. Le rêve ! Mais c’était à condition de ne pas rencontrer de bouchons et de se passer de clim… A court de jus, la caisse verte s’est retrouvée à plat en plein trajet. Au lieu des trois heures programmées, sept heures ont été nécessaires pour arriver à bon port. Pour la prochaine fois, une voiture à pédales ?

Selon une enquête dévoilée par Ipsos le 22 juillet, un actif sur deux compte passer à l’électrique d’ici cinq ans. La crainte de la « panne sèche », toutefois, freine encore les ardeurs vertes. L’objectif de « 100 000 bornes (de recharge) d’ici à 2022 », fixé par les ministres Barbara Pompili et Jean-Baptiste Djebbari en octobre 2020, n’est toujours pas atteint.

Désert électrique

Favorable au développement de la mobilité électrique, l’association Avere-France, de son côté, a dénombré 42 028 points de vente ouverts au public. Seules 164 aires d’autoroute (sur 364), cependant, sont équipées en bornes de recharge rapide (50 kW), permettant de relancer en vingt à trente minutes les 600 000 bolides électriques actuellement en circulation.

Si certains axes, comme l’autoroute du Soleil (A6), sont plutôt bien desservis, la Normandie, la Bretagne et le Nord se révèlent moins bien lotis (« Challenges », 28/7). Les propriétaires de voitures Tesla ne rencontrent pas ce type de difficulté : dans l’Hexagone, ils peuvent s’alimenter gratis à l’un des 800 points de charge qui leur sont réservés. Elon Musk, le pédégé de Tesla, songe d’ailleurs à ouvrir ce réseau — moyennant finance, évidemment — aux détenteurs de bagnoles d’autres marques !

Fraîchement rebaptisé, le pétrolier TotalEnergies met le turbo pour combler le retard dans le maillage. « Nous projetons d’ouvrir des chargeurs ultrarapides tous les 150 km d’ici à 2023 », avance l’un de ses porte-parole. Le producteur d’or noir cible aussi les bornes des villes : après Londres et Amsterdam, il s’est vu attribuer, pour dix ans, la concession de recharge des véhicules à Paris. Total a déjà converti sa station-service de la Défense au tout-électrique. Si on n’a plus de pétrole, on a encore des idées…


L’Ami Citroën une amie déjantée

Sur le créneau des voitures électriques sans permis, accessibles dès l’âge de 14 ans, la Citroën Ami a démarré à fond la caisse. Lancé en avril 2020, le quadricycle à moteur, qui ne dépasse pas les 45 km/h, s’est faufilé entre ses concurrents Aixam, Ligier et Microcar. Son charme lourdingue de voiture autonome n’y est pas pour grand-chose. La voiturette biplace dispose surtout de deux atouts : son prix (6 900 euros) — le plus bas du segment — et sa prise électrique normale (220 volts), qui permet de recharger le bestiau en trois heures sans avoir à se soucier de trouver une borne électrique.

Disponible chez Fnac-Darty, la microvoiture a toutefois connu de beaux ratés, listés par les membres d’un groupe Facebook : problèmes d’étanchéité, châssis qui se dessoude, véhicules livrés introuvables, serrures défectueuses. En février, tous les exemplaires vendus ont été rappelés par le constructeur, et plusieurs véhicules ont été rendus à leurs propriétaires rayés, salis, voire endommagés.

La direction de Citroën n’a pas daigné envoyer le moindre courrier d’explication aux Amigos, et le service clients fait la sourde oreille. « Hormis le temps d’immobilisation, la garantie constructeur a bien fonctionné », se défend un porte-parole de la marque aux chevrons.

A croire que l’on a les Ami que l’on mérite…


Odile Benyahia-Kouider – Le Canard Enchainé – 18/08/2021