Tranche de vie au grand air

Du côté du mont Mézenc – Photos MC – Reproduction interdite.

De belles évocations

Les premières chaleurs se déversaient de nouveaux à travers les villages et les bourgs, suaves et moelleuses le matin, lorsqu’en traversant les jardins, on n’avait pas l’impression d’avoir quitté son lit, et qu’on sentait la jeunesse appelée dans le sang par ce ciel immense, ouvert au monde entier et à toutes ses promesses – mais chaleurs troubles, sensuelles dans le faux été de l’après-midi ; déprimantes, même, comme si l’arôme chaud et pimenté du trottoir d’asphalte, respiré depuis une fenêtre, promettait une aventure vouée par avance à la solitude et à l’attente vaine.

Quelles promesses attendent de ses bourgs mortels, de ces montagnes de silence ? Quelle aventure, espérée dans la touffeur bourdonnante de l’après-midi, toutes persiennes closes, prostrés dans la pénombre comme une vieille séquestrée, imaginant les gestes, les balbutiements, le souffle rauque de l’amour, avec l’amère et irrévocable certitude que rien au monde ne vaut son gâchis ou ses mécomptes, et surtout pas la sécheresse orgueilleuse du penser ou de l’expérience.

Autour de la petite ville aux toits plombés sous la lumière droite, le regard n’accrochait aucune coulée de verdure, pas un arbre neuf, ni la moindre pelouse rafraîchie, lumineuse : rien que cette pelades jaune des pentes, la forêt décharnée, la ferraille des buissons inhabités, dans ce pays exaspérant qui mettait plus longtemps que les autres à trouver le printemps, et le cueillait trop tard, comme un fruit blet, tant sa pauvreté, la rustrerie de son climat le mettait même à la traîne des saisons.


Jean Carrière – « L’épervier de Maheux »

3 réflexions sur “Tranche de vie au grand air

  1. bernarddominik 12/08/2021 / 9h10

    Une vue très juste de ce haut plateau ardéchois qui jouxte les sources de la Loire. Le Gerbier des joncs le Mezenc le lac d’Issarles

  2. bernarddominik 12/08/2021 / 9h14

    Lorsque mon beau père était prof de français à Manosque il a bien connu Jean Carrière dont il a fait la correction de l’épervier de maheux.

    • Libres jugements 12/08/2021 / 9h45

      Bonjour Bernard, j’habite pas très loin des lieux lozèrois que décrit Jean Carrière (grand conteur qui nous manque).
      J’ai cherché le lieu ou pouvait se trouver le hameau narré
      Ce n’est pas la première fois que depuis sa parution je lis et relis ce texte… sans être mon livre de chevet, il ferait partie des livres emportés si je devais m’isoler de quelques manières avec l’œuvre de Giono, Fernand Braudel, Diderot, etc…

      Cordialement
      Michel

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