France 24 traite avec une infinie délicatesse certains de ses journalistes à l’étranger, exposés à la guerre et aux dangers ! Telle est la conclusion de la justice, qui vient de donner raison à deux d’entre eux.
Dès son lancement, en décembre 2006, la chaîne de télé publique (qui se veut la voix de la France dans le monde) a mis en place un réseau international de correspondants multi-vitesses : certains chanceux sont employés en CDI, d’autres sont payés à la pige au coup par coup ; d’aucuns, enfin, sont priés de créer une société de production et d’envoyer des factures de «prestations de fourniture de contenus éditoriaux », ce qui permet à France 24 d’échapper aux cotisations sociales, congés payés et autres vulgarités.
Correspondant permanent à Casablanca depuis 2006, Jean-Marie Lemaire (dont « Le Canard » a parlé, en 2013) a dû passer un contrat commercial renouvelable avec France 24 — son seul client, qui lui garantit un minimum de chiffre d’affaires.
Mobilisable du jour au lendemain, il est envoyé en Libye au printemps 2011, en pleine guerre civile. Lors d’une embuscade, trois rebelles anti-Kadhafi sont tués à ses côtés. Lui reçoit une balle dans la jambe ; rapatrié à bord d’un bateau militaire, il est transféré à l’hôpital Percy.
Victimes oubliées
Et puis, surprise ! la DRH de France 24 l’informe par mail que la couverture de ses frais d’hospitalisation sera plafonnée et que les soins à venir (trois passages sur le billard, une prothèse de la hanche) ne seront pas payés.
Motif : puisque Lemaire n’est pas salarié, il ne s’agit pas d’un accident du travail. Or le malheureux n’est pas couvert par la Sécu. CQFD.
Pire encore, France 24 diminue progressivement le montant des contrats et lui supprime, en 2013, son chiffre d’affaires garanti. La palme de l’élégance revient cependant à l’adjoint du directeur de l’information, qui lui reproche ses « jérémiades permanentes ».
Vos gueules, les éclopés !
Le 2 juillet dernier, les prudhommes lui ont reconnu la qualité de salarié en CDI depuis 2006 et ont condamné France 24 à lui verser des rappels de salaire. Une décision que la chaîne, jointe par « Le Canard », va contester en appel car elle la juge « inexécutable ». Classe, non ?
Pas de bol : le 6 mai, à la suite d’une autre procédure engagée par une correspondante en poste dans plusieurs pays arabes, France 24 a perdu face à la cour d’appel de Versailles.
Pigiste de 2007 à 2012, puis contrainte de créer sa propre boîte en 2013 et finalement embauchée en CDD en 2018, la journaliste aura, jusqu’à ce que le tribunal lui reconnaisse la qualité de salariée, connu la plupart des formes de précarité existantes — sauf l’intérim !
80 % de précaires
Les deux jugements donnent des sueurs froides aux dirigeants de France 24 : une directrice adjointe de l’information a reconnu que « de nombreux reporteurs envoyés à l’étranger, ou déjà sur place, n’[aient] eu d’autre choix que de créer une société de production. La consigne énoncée par la direction de France 24 était de faire passer le plus grand nombre de journalistes rémunérés à la pige en statut de boîte de production. Cela alors que les tâches effectuées restaient exactement les mêmes, celles de journaliste sur le terrain ». Merci, le service public !
En 2012, déjà, un article du « Canard » évoquait la situation de ces correspondants. La direction de la chaîne s’était alors engagée devant le comité d’entreprise à favoriser leur insertion.
Bilan ? En 2020, la direction de France 24 reconnaît avoir eu recours à « 998 correspondants, dont 796 pigistes et 202 ayant une société de production ou étant employés par une société de production (…), toutes nationalités confondues ».
Un triomphe social !
Jérome Canard– Le Canard Enchainé – 21 juillet 2021
Merci au « Canard »…
Solidarité avec les journalistes concernés… de ce que je croyais un établissement public, pratiquant un code de bonne conduite…
Pour les établissements publics, le code de bonne conduite actuel est guidé par la loi du fric.
Ce n’est pas la première fois qu’un établissement public est condamné pour usage abusif de CDD voire de contrats dits « d’usage » …