La bio peut nourrir 9 milliards des nôtres.

J’avais juré sur la Sainte Vierge, la semaine passée, que je ferais un article rempli de belle espérance et le voici. Citons pour commencer le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : « Selon une étude menée par des scientifiques du CNRS, un système agroalimentaire biologique et durable, respectueux de la biodiversité, pourrait être mis en place en Europe. » Pas mal, mais pas suffisamment précis.

Ces scientifiques viennent de publier une étude qui contredit tout ce que les lobbies de l’agro-industrie nous serinent du matin au soir (1). En effet, ces chercheurs estiment qu’en 2050 on pourrait nourrir l’Europe entière avec une agriculture exclusivement bio, tout en continuant à exporter des céréales.

Quels seraient les leviers permettant d’atteindre pareil éden?

Ils sont trois.

Un, diminuer la consommation de viande, ce qui est déjà en route.

Deux, appliquer les principes de l’agro-écologie, en insistant sur les rotations de cultures et les légumineuses, fixatrices d’azote.

Trois, renoncer aux zones ultra spécialisées, comme la Bretagne, de façon à pouvoir utiliser au mieux les déjections animales.

Ainsi, sans l’ombre d’un doute, on atteindrait une diminution très forte de nos émissions de gaz à effet de serre. Ainsi reviendraient les oiseaux, les insectes, les cours d’eau où se baigner, la beauté du monde ordinaire.

Reste ce menu problème : ont-ils raison ?

Ce n’est certes qu’une étude isolée au milieu d’un tourbillon de grossière désinformation. Car même si ce travail peut et doit être éventuellement critiqué, il n’y a aucun doute que BASF, Bayer-Monsanto, Syngenta, la FNSEA, les grosses coopératives agricoles, tant d’autres ont un intérêt matériel et, soyons généreux, psychologique, à défendre un système destructeur de la vie. Au fait, est-ce bien une étude isolée ? Eh bien non, les gars et les filles, mille fois non. Je n’ai cessé depuis des lustres de traquer les signaux heureux dans ce domaine si décourageant, et ils existent.

Pour mieux comprendre, précisons que la FAO, cette agence de l’ONU en charge de l’alimentation et de l’agriculture, a soutenu depuis sa naissance – en 1945 – l’agriculture industrielle. Mais elle a ses dissidents, qui se battent à l’intérieur, et les 3 et 5 mai 2007, poussée au cul par la marche du monde à l’abîme, la FAO a bien été obligée de réunir à Rome une conférence internationale sur le sujet. Ce fut un hymne extraordinaire à l’agroécologie. Extraordinaire. J’en extrais ceci : « Une conversion planétaire à l’agriculture biologique, sans défrichement de zones sauvages à des fins agricole et sans utilisation d’engrais azotés, déboucherait sur une offre de produits agricoles de l’ordre de 2 640 à 4380 kilocalories par personne et par jour (2). » Et cela : « En moyenne, le rendement des cultures biologiques est comparable à celui des cultures conventionnelles (2). » En moyenne, et j’ajoute pour les sceptiques, en moyenne mondiale.

Le 8 mars 2011, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, publie un rapport stupéfiant qui explique comment l’agroécologie est capable de doubler la production alimentaire mondiale en dix ans (3). Le 14 novembre 2017, la revue Nature Communications publie une solide étude selon laquelle il est possible de nourrir le monde avec la bio en 2050, soit 9 milliards d’habitants (4). Comme celle du CNRS. En avril 2018 enfin, nouveau symposium de la FAO après un premier, réuni en 2014. Son président, Braulio Ferreira de Souza Dias, y assure que « l’agroécologie offre de nombreux avantages dont une meilleure sécurité alimentaire et une meilleure résilience, est capable d’améliorer les moyens d’existence et de stimuler les économies locales, de diversifier la production et les régimes alimentaires, de promouvoir la santé et la nutrition, de protéger les ressources naturelles, la biodiversité et les fonctions écosystémiques ».

La conclusion? Sans soulèvement de la société, il ne se passera rien.

Sans une révolution démocratique, rien.


Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo – 14/07/2021


  1. cell.com/one-earth/fulltext/S2590-3322(21)00289-X?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS259033222100289X3Fshowall%3 Dtrue (en anglais).
  2. fao.org/3/j9918f/j9918f.pdf
  3. srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308 a-hrc- 16-49 agroecology_fr.pdf
  4. nature.com/articles/s41467-017- 01410-w (en anglais).

2 réflexions sur “La bio peut nourrir 9 milliards des nôtres.

  1. raannemari 21/07/2021 / 19h35

    L’inertie mortifère des con-sommateurs ne présage rien de bon pour l’avenir, et pourtant des solutions existent, mais bien peu sont d’accord de changer leur mode de vie égoïste.

  2. jjbey 21/07/2021 / 21h34

    Et si on changeait de système tout simplement la loi du fric remplacée par la raison et les richesses créées profitant à ceux qui les produisent.

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