… en jargon populaire, ne jamais « P… plus haut que son C… ! »
L’identité, en France, c’est compliqué. Pas facile de changer de sexe. Indécent de vouloir changer de « race ». Mais surtout, il est inconcevable de s’affranchir de sa classe.
Dans le monde social, la licorne, l’animal impossible, c’est le transfuge de classe. Il vient de là, probablement, ce sentiment prégnant que nous vivons dans une société bloquée. Chacun intériorise la contrainte de classe, et c’est ainsi qu’elle parvient à nous gouverner tous.
Sans doute est-ce parce que nous sommes le pays de Bourdieu : en France, les frontières entre classes passent pour de véritables murailles. S’agit-il d’un vestige du système aristocratique ? Du signe que nous demeurons marxistes ?
L’idée du mépris de classe se rencontre dans bon nombre de romans, depuis Le Rouge et le Noir, de Stendhal, jusqu’aux récits autobiographiques d’Annie Ernaux. Ce penchant si français se traduit par une intense activité éditoriale sur le sujet.
C’est la sociologue Rose-Marie Lagrave qui raconte dans son autobiographie comment l’enfant d’une famille nombreuse impécunieuse est devenue professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) : «Avec ceux de haute extraction, mais pas comme eux, j ‘ai acquis une plus grande aisance sociale, sans toutefois me sentir à l’aise dans cet entregent qui soulignait ma gaucherie. »
Ou les sociologues Nicolas Renahy et Pierre-Emmanuel Sorignet qui tentent de comprendre les jugements moraux, conséquences de ces rapports de domination, tel le « mépris de classe ».
Mais cette obsession n’est pas seulement un sujet d’analyse universitaire, c’est la forme idéale du « récit de soi ». Édouard Louis est devenu une star en racontant à quel point il venait de loin, de chez les prolos homophobes, quand bien même ces derniers rejetaient en bloc le portrait que l’on avait fait d’eux.
De même, chaque politique se voit comme un transclasse, bonne manière de faire valoir son héroïsme et sa compréhension du peuple. Nicolas Sarkozy imaginait son engagement comme une revanche sur l’humiliation sociale d’être un enfant de divorcés à Neuilly-sur-Seine, quand Emmanuel Macron explique qu’il est un petit provincial venu de sa région pour réussir l’ENA.
Bientôt, c’est sûr, l’un des enfants Pinault évoquera la honte sociale de ne pas être de la famille de Bernard Arnault. Le transfuge de classe est devenu l’équivalent français du self-made-man : une prouesse, incontestablement, mais aussi une tache que de multiples lavages sociaux ne parviendront pas à effacer complètement.
Aux États-Unis, la tache est largement compensée par l’attrait pour les vainqueurs. Personne ne reprochera à Sam Wallon, fondateur de Walmart, ses origines sociales. En revanche, en France, tout le monde renverra un Pierre Bérégovoy ou, plus près de nous, un Jean-Luc Martinez, futur ancien président-directeur du Louvre, à leurs origines modestes. Le destin des transfuges, c’est cela : parvenus à l’âge d’homme, leur vie faite, les voici réduits à remplir en permanence une fiche demandant la profession du père et de la mère…
La voilà, cette force étrange qui pousse chacun à se croire enfermé dans son milieu d’enfance et des déterminismes intériorisés. C’est pour cela que l’on peut ensuite se glorifier d’avoir simplement mené une vie d’adulte, faisant ses choix librement, en se pensant comme un enfant transgressif victorieux d’avoir terrassé ses peurs sociales. Les classes demeurent en France, à la manière de prisons mentales.
Comme disait le vieux Marx, il serait temps, non plus d’expliquer le monde, mais de le transformer.
Guillaume Erner – Charlie Hebdo – 30/06/2021 (titre original : « Le plafond de classe »
On reste toute sa vie prisonnier de son enfance, de sa culture. Je me rappelle ma gêne, invité chez des bourgeois, à table, de ne savoir tenir la fourchette dans la main gauche et le couteau dans la droite, mon incapacité à choisir entre les 3 couverts le bon pour chaque plat, restait les 2 verres, là j’avais compris que le plus petit était pour le vin. Mais là façon de parler reste aussi une marque de classe. Seules quelques rares exceptions sortent de leur milieu. Je l’ai vu pendant mon service militaires, les « de » ne se mêlaient pas aux autres, et même en travaillant de nuit 12 heures côte à côte, on échangeait que pour les nécessités du travail sur l’ordinateur, alors qu’avec les autres gueux de mon espèce on picolait plaisantait riait de blagues de bas étage.
Belle observation qui explose dès lors qu’on se fout du regard de l’autre et que l’on considères les murailles construites par les autres qui se veulent supérieurs comme des chiffons de papier. Aborder l’homme comme il est d’où qu’il vienne et établir un rapport purement humain évite de se confiner dans des complexes inutiles et nuisibles à toute relation. Il n’y a que deux catégorie de personnes dans ce monde capitaliste les exploiteurs et les exploités. Se reconnaître n’est pas facile tellement les cartes sont brouillées et revendiquer son statut d’exploité est un premier acte vers la libération de ce système.
Je ne peux que recommander la saine lecture des livres de mes amis Monique et Michel Pinçon-Charlot, (Michel et moi sommes tous 2 natifs des Ardennes.., sociologues et anciens directeurs de recherche au CNRS, qui ont largement écrit sur les « grandes fortunes » « dynasties familiales et formes de richesse en France », « sociologie de la bourgeoisie » « les ghettos du gotha » notamment.. et « le Président des riches » .
Ils participent souvent à des débats, un régal, lorsqu’ils expliquent « les ressorts d’une politique systématique en faveur des nantis : bouclier fiscal, abattements et exonérations en tout genre, dépénalisation du droit des affaires.. éléments visibles d’une guerre des classes au service de l’aristocratie de l’argent ».
Nous ne jouons pas dans la même cour effectivement.