Dans notre série « étudions la novlangue contemporaine », cette semaine, je vous propose une suite de mots que j’ai peine à qualifier de phrase : « Un psychologue n’ayant pas l’expertise requise peut contractualiser avec la plateforme à la condition de prévoir une période d’accompagnement à la pratique professionnelle par la plateforme selon un format varié ».
J’ai trouvé ce joyau à la page 3 de l’arrêté du 10 mars 2021 « relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues mentionnée à l’article R. 2135-2 du code la santé publique ».
Je l’ai pourtant lu entièrement, ledit arrêté, et lentement, mais je n’ai pas tout compris. Si les modalités sont un peu obscures, ce qui est clair, c’est que les psychologues vont entrer un peu plus profondément dans le marché de la mise au pas des enfants et du coaching de leurs parents.
La pédopsychiatrie publique, qui proposait un accueil et des soins de proximité non payants, avait déjà été largement détricotée. Mais avec cet arrêté du 10 mars, le gouvernement ne fait même plus semblant d’assurer un service public pédopsychiatrique a minima : il annonce maintenant clairement que l’État ne mettra plus les moyens pour soigner décemment les enfants (qu’ils soient autistes ou pas, là n’est plus le problème).
La question n’est même plus la guerre entre freudiens et antifreudiens : avec cet arrêté, tout le monde passe à la même moulinette de la marchandisation. Les « plateformes » et les algorithmes vont se charger d’orienter les enfants et les Parents vers le privé. « Plateforme », en novlangue, cela signifie destruction des institutions d’accueil existantes.
Le gouvernement lamine un service public de plus. Tout en constatant qu’avec la pandémie « la santé mentale des Français » s’est aggravée (le nombre de tentatives de suicide d’enfants a été multiplié par deux en un an), le ministère de la Santé nous dit en même temps qu’on peut aller se faire voir dans le privé, ou attendre un an pour obtenir un rendez-vous dans ce qui reste du public.
Quelle que soit leur obédience, les psychologues sont maintenant officiellement privatisés, précarisés, réduits à des prestataires de services, et en même temps, il leur est imposé, pour être homologués par la « plateforme », de se former à tout un tas de techniques nord-américaines, aux intitulés si hétéroclites qu’on dirait une parodie (le rédacteur de l’article s’est contenté de faire des copier-coller d’Internet, sans même prendre la peine de les traduire ni de les lire).
Je vous cite quelques items des « Programmes d’intervention » à destination des enfants et des familles : le PRT, pour Pivota( Response Treatment; le Pact, pour Preschool Autism Communication Therapy; l’Entraînement aux habiletés parentales de type Barkley ; la Guidance parentale dans les stratégies d’ajustement (coping); Incredible years; Positive Parenting Program (triple P). Tout le reste est à l’avenant : une soupe de sigles et de termes en franglais listant des techniques qui, pour certaines, sont déjà passées de mode outre-Atlantique.
Selon Françoise Dolto (qui n’était pas franchement d’ultra-gauche), celui qui s’engage à écouter les enfants est révolutionnaire.
Autres temps, autres moeurs, aujourd’hui, les patients et les psys de tous horizons vont connaître la vertigineuse révolution de l’ubérisation (1).
Yann Diener – Charlie Hebdo – 09/06/2021
1. Plusieurs requêtes auprès du Conseil d’État ont été lancées contre l’arrêté du 10 mars, et une manifestation est prévue en juin prochain (appeldu10juin.com).
Les maladies psychologiques ont toujours été traitées avec dédain. Anormaux, dingues… tous à l’asile comme si cela ne se soignait pas.
Freud a mis un grand coup de pied dans cette foutue pensée et ce n’est pas fini.
Pour progresser il faut des établissements et des professionnels, des chercheurs… cela coûte un pognon de dingue… alors…
La santé est devenue une vache à lait. Et la vache doit donner de plus en plus de lait. Après les labos les plateformes ou des pseudos psychiatres vous écouteront pour quelques euros la minute. Tout est bon pour faire de l’argent, gageons qu’après la retraite blackrock va investir dans la santé, celle de son portefeuille bien sûr.