Et si l’on arrêtait les plantations d’épicéas ?

Un mal affreux ronge les arbres. Les épicéas, pour être précis.

Parti du Grand-Est – Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne -, le grand massacre s’étend désormais à la Normandie, à la Bourgogne, à la Franche-Comté, aux Hauts-de-France, à l’Auvergne, et ne s’arrêtera pas. Le responsable s’appelle Ips typographus, l’un des nombreux scolytes. Ce coléoptère très petit (de 2 à 7 mm) pond ses oeufs sous l’écorce, après avoir creusé des galeries qui finissent par tuer les arbres par milliers. Par millions.

Ils deviennent ce que les forestiers appellent des « dépérissants » : les aiguilles vertes brunissent, puis tombent. Dans ce Grand-Est d’où tout est parti, 1,8 million de mètres cubes d’épicéas auraient perdu tout ou partie de leur valeur commerciale en 2020, essentiellement à cause du scolyte.

L’affaire est grave, car des forêts entières sont en train de disparaître. Certaines photos font mal aux tripes. Mais un collectif belge d’une haute qualité (Forêt & Naturalité) estime qu’il s’agit là d’une occasion historique : « La crise actuelle offre une opportunité sans précédent pour remodeler le paysage forestier, dans une optique plus respectueuse de la nature, en tirant les leçons des erreurs du passé. Est-il possible d’envisager une véritable révolution sylvicole capable d’assurer une redistribution des bénéfices générés par la forêt à la société dans son ensemble (1) ? »)

Tous les forestiers, quelles que soient par ailleurs leurs divergences, savent que le dérèglement climatique va bouleverser la forêt, en modifiant (il le fait déjà) la répartition spatiale des espèces.

Un seul exemple : le hêtre, habitué au frais, devrait progressivement quitter nos plaines. Mais le climat et les sécheresses à répétition stressent considérablement les arbres, tous les arbres, et les rendent bien plus fragiles.

En France (rappelons que le document est belge), les propriétaires privés tiennent 74 % de la surface forestière. Le reste appartient aux communes ou est géré par l’Office national des forêts (ONF), lancé dans une course folle à la rentabilité financière immédiate.

Dans une tribune publiée fin 2020, la filière privée décrit « une épidémie sanitaire aussi grave, pour nos massifs forestiers, que la Covid l’est pour notre population (2) ». Elle propose d’exporter les épicéas « scolytés » vers la Chine et réclame une dérogation pour pouvoir utiliser des pesticides comme l’insecticide Forester.

De son côté, l’ONF répond comme d’habitude par des mesures techniques (coupes sanitaires, détection précoce, lutte contre la prolifération des insectes), mais laisse désormais s’exprimer des points de vue différents.

Un certain Damien Galland, cadre de l’ONF, estime par exemple que pour « assurer la pérennité de la forêt, il sera nécessaire d’envisager le remplacement des épicéas par des peuplements plus mélangés qui auront une plus forte résistance aux maladies, aux parasites et donc au dérèglement climatique ».

Sans surprise, le document belge va dix fois plus loin. En posant pour commencer cette question : « Faut-il vraiment que la société dans son ensemble couvre les pertes d’investissements risqués ? La culture d’épicéas doit en effet être considérée comme telle : un investissement à risque. De surcroît lorsque ces pratiques sont contraires à l’intérêt général et néfastes pour l’environnement. » En France, les plantations d’épicéas (équivalentes aux champs de maïs) ont été accélérées après 1946 sur décision politique, via le Fonds forestier national. Il ne faut pas chercher plus loin l’une des causes du drame en cours.

Et s’il ne fallait rien faire ? Et s’il suffisait de quelques mesures d’accompagnement comme la fin des monocultures d’arbres et l’abandon des essences exotiques ? On lira et relira cette défense inattendue du coléoptère meurtrier : « Le scolyte de l’épicéa serait-il en réalité plus bienfaiteur que ravageur? Sans aucun doute d’un point de vue écologique. »

Pour les auteurs du texte, il faut miser sur la régénération naturelle des forêts pour les rendre aptes aux défis qui nous attendent. L’heure des choix.


Fabrice Nicolino – Charlie Hebdo – 09/06/2021

  1. foret-naturalite.bé/le-scolyte-de-lepicea-crise-ou-opportunite pour-une-meilleure foret
  2. lopinion.fr/edition/economie/monsieur-president-republique-ne-laissezpas-technocrates faire-229870

5 réflexions sur “Et si l’on arrêtait les plantations d’épicéas ?

  1. bernarddominik 11/06/2021 / 9h31

    Il faut faire d’un mal un bien. L’idée est excellente mais peut-être que l’ampleur des forêts d’épicéa implique aussi un traitement phytosanitaire.

  2. clodoweg 11/06/2021 / 15h31

    Pour lutter contre les dégâts que le réchauffement climatique impose aux forêts une seule solution ; Planter des palmiers.

    • Libres jugements 11/06/2021 / 16h27

      Cela sous-entend que le réchauffement climatique est inéluctable…
      Oui, peut-être, mais avant de constater des zones désertiques avec palmiers en France, peut-être peut-on penser à une prise de conscience française et internationale faisant en sorte de réduire nos productions de pollution.
      Cordialement
      Michel

  3. clodoweg 12/06/2021 / 0h47

    Je plaisantais Michel !
    Mais, oui, je crains bien que le réchauffement soit inéluctable, la « Transition écologique » me parait devoir représenter un coût colossal dont il faudra bien prendre conscience après avoir pris celle du réchauffement.
    Qui va payer ?

    • Libres jugements 12/06/2021 / 9h34

      J’avais bien compris la plaisanterie l’ami, il n’y a pas de problème.
      Cela pourrait se faire dans quelques centaines d’années si justement tout le monde se désintéresse de la planète et laisse faire.
      Cordialement,
      Michel

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