Citoyens : Avant de vous rendre aux urnes les 20 et 27 juin.

Dans une société fragmentée par la violence du système capitaliste, comment ceux qui en subissent les conséquences peuvent-ils se retrouver ?

Les responsabilités du syndicalisme

Par Catherine  Perret – Syndicaliste

Contrairement à ce que beaucoup ont voulu faire croire, les classes sociales n’ont pas disparu, bien au contraire. La récente pandémie a mis en lumière tous ces travailleurs et travailleuses si essentiels à notre bien-être et à la pérennité de l’économie. Pour la plupart, elles et ils font partie des classes populaires aux fins de mois difficiles. La crise sanitaire a révélé ainsi le nombre exponentiel de salariés pauvres, d’exclus du travail, de jeunes en grande précarité.

Pour beaucoup, le chômage partiel a réduit une part vitale de rémunération. La perte de l’accès à un job d’étudiant, pour certains, ou le non-renouvellement d’un contrat souvent précaire, pour d’autres, les ont, pour la majorité d’entre eux, plongés dans la misère. Souvent, ils ont été confrontés à un très grand isolement, à la difficulté de faire valoir leurs droits car c’est dans les quartiers les plus populaires et les territoires ruraux également frappés par la pauvreté qu’on observe la disparition de la plupart des services publics.

À ces inégalités économiques et sociales s’ajoute une grande précarité sanitaire. Elle est encore plus apparente aujourd’hui, face au coronavirus, mais, depuis longtemps, nombreux sont ceux ou celles qui doivent renoncer aux soins, soit par manque d’argent, soit parce qu’ils vivent dans des déserts médicaux.

Ainsi, la période que nous venons de traverser donne de grandes responsabilités au syndicalisme pour recréer du lien avec un salariat isolé, malmené, précarisé et souvent encore très éloigné de l’action collective.

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Lutter ensemble pour le droit au travail et une société qui ne laisse personne sur le bord de la route, c’est faire revivre « les jours heureux » (du CNR pas celui des promesses macronienne). C’est aussi un enjeu de cohésion sociale de nature à éloigner les masses populaires de la tentation du chacun-pour-soi et de la division prônée par la droite et l’extrême droite. 

Un appel aux droits face à la précarité

Par Denis Merklen Sociologue, université Sorbonne-Nouvelle Paris-III

Le premier iceberg à se détacher de la banquise de la classe ouvrière fut ce que nous appelons aujourd’hui « les banlieues », ou « les cités ». Rupture qui a inauguré un temps de fragmentations, où le dernier grand événement a été donné par le mouvement des gilets jaunes.

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Une terrible force centrifuge s’abat depuis un demi-siècle sur le monde populaire, faisant éclater cette unité que tant d’années et de peines, de luttes et de générations ont façonnée.  […]

La segmentation montre aussi une dispersion des idées, des revendications, des sentiments d’injustice, une immense difficulté à identifier un ennemi commun. La bourgeoisie et le capital semblent loin, intouchables, sans lien avec le quotidien.

D’autres adversaires semblent à portée de main : la mairie, qui gère les équipements collectifs ; la gauche libérale, caviar ou de gouvernement ; le RN pour certains mais pas pour tous ; les migrants pour d’autres ; l’Europe ; le racisme et le colonialisme encore ; l’industrie et la consommation de masse qui épuisent la planète ou, bien là, un patriarcat difficile à saisir en tant qu’ennemi du groupe.

Dur à imaginer des dynamiques unitaires […] aussi bien que nous sommes incapables de donner un nom d’identité, comme on disait « travailleurs ». Même « le peuple » ne marche pas, le signifiant est vide ou usurpé par l’extrême droite.

Les ennemis, en revanche, sont bien alignés derrière des tactiques qui donnent l’impression d’un programme ficelé. À la réforme du Code du travail, suivront celle des retraites et celle de l’assurance-chômage ; à la privatisation de l’énergie et du rail, on enchaîne avec la fin de la fonction publique et du statut de fonctionnaire ; après la réforme du bac, celle de l’université par transfert de ses coûts sur le dos des familles des étudiants…  […]

Les classes populaires sont acculées à définir leurs priorités à partir de l’agenda de réformes établies par l’ennemi. Les organisations politiques de gauche doivent mettre les classes populaires au centre de leur réflexion, de leur programme et de leur action. Sans classes populaires mobilisées, point de gauche.

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De l’urgence à repolitiser le travail

Par Sophie Béroud et Martin Thibault Sociologues et auteurs

Largement invisibilisées dans le champ politique, les classes populaires ont ressurgi ces dernières années à la faveur de mobilisations comme celle des gilets jaunes ou celle contre la réforme des retraites, mais également pendant la crise sanitaire, quand l’économie a été resserrée sur les seules activités dites essentielles.

Derrière la surreprésentation des médecins dans les médias pendant le premier confinement, on a largement dissimulé qu’ils étaient quasiment les seuls parmi les catégories supérieures à occuper leur poste sur site. Quand tout s’arrête, en effet, et que le télétravail se généralise, seuls 2 % des ouvriers y ont recours, contre près de 60 % de cadres et professions intermédiaires (Insee, 2020). Il est apparu à ce moment-là évident que, loin des discours sur une hypothétique « moyennisation » de la société, nous demeurons très largement dans une société de classes populaires où ouvriers et employés occupent près de la moitié des emplois et constituent des rouages essentiels de notre économie.

Ces salariés ont été très largement mobilisés dans des secteurs dits essentiels, permettant de soigner ou de se nourrir comme la santé, l’aide à domicile, la logistique, la grande distribution, mais aussi plus largement les services publics. Très sollicités et durablement exposés au virus dans des conditions sanitaires souvent indignes, ils ont payé un lourd tribut à l’image de la surmortalité dans les départements les plus populaires comme la Seine-Saint-Denis, où le télétravail était impossible pour le plus grand nombre.

La crise sanitaire a alors fait apparaître nettement que l’utilité sociale de l’emploi est bien souvent inversement proportionnelle au niveau de rémunération et d’exposition à la précarité de ces « premiers de corvée », d’un coup très applaudis, y compris par ceux qui font d’ordinaire l’apologie de la « flexibilité » de l’emploi et du démantèlement d’un droit du travail protecteur.

Non seulement les classes populaires sont surreprésentées dans ces professions, mais ce sont particulièrement les femmes qui occupent ces positions sociales très souvent peu considérées, mal rémunérées et très exposées aux politiques d’austérité. 97 % des aides à domicile sont des femmes, près de 90 % des aides-soignants et 88 % des infirmiers…

Dans la grande distribution, elles sont également très présentes, à l’image des caissières, particulièrement précarisées et soumises au temps partiel subi. Ce sont également des secteurs peu protégés collectivement, où les syndicats peinent à exister en raison des stratégies patronales de répression et de discrimination, de conditions d’emploi peu favorables à l’engagement et de l’éclatement des collectifs de travail.

Cela n’a pas empêché une large partie de ces salariées de se reconnaître dans le mouvement des gilets jaunes, où elles ont pu partager l’expérience des dominations quotidiennes et de la précarité financière. 

L’un des angles morts du mouvement des gilets jaunes, mais qui relève pleinement du syndicalisme, est l’urgence de repolitiser le travail, à savoir dépasser les logiques de fragmentation des collectifs de travail, d’individualisation des situations, de renforcement du contrôle managérial.

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Remettre les problèmes concrets au centre

Par Stéphanie Roza Professeure de philosophie

 […] nul ne peut prédire quand surviendra vraiment la fin de la crise sanitaire, et personne ne peut garantir que l’avenir ne réserve pas d’autres mauvaises surprises sur le plan sanitaire.

 […]  à ce tableau déjà sombre s’ajoute  […] récemment des meurtres d’une violence inouïe qui ont marqué l’opinion : des adolescents roués de coups ou assassinés, etc.

Nous nous trouvons donc dans une situation inédite et lourde de dangers. Les démagogues de toutes les extrêmes droites ne vont pas manquer d’exploiter l’angoisse générale en montant une partie des classes populaires contre l’autre.

Le Rassemblement national et les éditorialistes de la droite dure surenchérissent déjà contre l’immigration, qu’ils accusent d’occuper les emplois des Français et d’être la principale responsable de la violence.

De leur côté, les islamistes instrumentalisent cette propagande pour mener la leur, cherchant à convaincre les musulmans de France qu’ils ne seront jamais considérés comme des citoyens comme les autres et qu’ils doivent rester entre eux.

La marge est étroite pour dessiner d’autres perspectives, à une époque où la gauche apparaît divisée et focalisée sur des questions sociétales qui, à elles seules, ne lui permettront pas de gagner la faveur des classes populaires.

Il faut un changement de cap, et remettre les problèmes concrets du peuple au centre des préoccupations. Ces problèmes : l’emploi, les salaires, l’accès aux soins, mais aussi la sécurité, parce que les classes populaires, contrairement à d’autres, n’ont pas les moyens de se barricader dans des quartiers protégés, que les caissières et les femmes de ménage doivent pouvoir entrer et sortir de chez elles sans crainte à toute heure, que leurs enfants doivent pouvoir grandir à l’abri des trafics.


Pierre Chaillan. Titre original : « Précarité, inégalités, discriminations… Quel combat les classes populaires ont-elles à mener ensemble ? #1… et #2 »

 Source (Extraits)