E. Varlin : Connaissez-vous ?

[…] La lecture d’un de ses textes les plus retentissants (que l’on trouve dans Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, publié aux éditions Libertalia) suffit à se convaincre de l’intérêt qu’on doit lui porter, en ces temps de soulèvements sociaux et de répression politique.

Il l’a prononcé en 1868, devant le tribunal, alors que lui et huit de ses compagnons membres de l’Association internationale du travail (AIT, la 1ère Internationale) étaient condamnés à des peines de prison pour avoir soutenu financièrement les grévistes du bâtiment à Genève.

“Mettez le doigt sur l’époque actuelle…”

Ses mots (dont on lui fait crédit même s’il s’agit d’une œuvre commune dont il est le porte-parole) nous frappent encore comme un grand coup de surin en pleine poitrine : « Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. (…) Mettez le doigt sur l’époque actuelle, vous y verrez une haine sourde entre la classe qui veut conserver et la classe qui veut reconquérir ; vous y verrez une recrudescence des superstitions que l’on croyait détruites par le XVIIIe siècle ; vous y verrez l’égoïsme effréné et l’immoralité partout : ce sont là des signes de la décadence ; le sol s’effondre sous vos pas ; prenez-y garde ! »

L’avertissement adressé au régime policier du Second Empire résonne avec l’époque – et ce n’est sans doute pas un hasard si les Gilets jaunes se sont réunis sur la butte Montmartre, où fut déclenchée la Commune, le 23 mars 2019. […]

“Le Mont des Martyrs n’en a pas de plus glorieux”

Peu de gens se souviennent sans doute de ce fils d’une famille paysanne né en 1839 à Claye-Souilly, en Seine-et-Marne. Il fut pourtant l’un des héros de la classe ouvrière naissante – « la personnalité la plus remarquable de la Commune », « l’âme de toutes les grèves, de toutes les manifestations », écrit de lui Jules Vallès, pourtant son adversaire parmi les meneurs de l’insurrection parisienne. « Le Mont des Martyrs n’en a pas de plus glorieux », abonde l’historien communard Lissagaray, en référence à la butte Montmartre où Varlin finit sa vie, lynché par la foule et fusillé par les Versaillais le 28 mai 1871, dernier jour de la Semaine sanglante. Il venait de défendre une dernière barricade rue de la Fontaine-au-Roi.

Varlin  […] « Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail », écrit Jacques Rougerie.

Membre de la première heure de l’AIT en 1865, il se consacre entièrement à organiser la solidarité ouvrière à travers les premières chambres syndicales, les caisses de résistance et la propagande en faveur du « socialisme collectiviste ou communisme non autoritaire », selon ses propres termes. Ce n’est pas pour rien si, le 26 mars 1871, il fut élu au conseil de l’assemblée municipale par trois arrondissements parisiens – le 6ème, le 17ème (avec 81 % des voix) et le 12ème (avec 86,9 % des voix). « C’est le Paris ouvrier principalement qui vote pour lui », note Rougerie. Il le lui rend bien.

“L’ère moderne fera son temps”

Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Église et de l’État, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. […]

Après avoir défendu désespérément Paris contre les Versaillais, et s’être opposé à l’exécution d’une cinquantaine d’otages, rue Haxo (20ᵉ), il est fait prisonnier et exécuté à Montmartre le 28 mai 1871, à 31 ans. […]

Entretenir son souvenir, c’est raviver la flamme de son aspiration à un monde plus juste. […]


Mathieu Dejean. Les Inrocks. Titre original : « Pourquoi il est important de se souvenir d’Eugène Varlin, militant ouvrier et communard ».

Source


Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, éd. Libertalia, 488 p., 18 €

Eugène Varlin, aux origines du mouvement ouvrier, de Jacques Rougerie, éd. du Détour, 224 p., 19,90 €

5 réflexions sur “E. Varlin : Connaissez-vous ?

  1. clodoweg 28/05/2021 / 0h15

    Lynché par la foule…
    J’aurais aimé avoir plus de détails.

    • Libres jugements 28/05/2021 / 9h14

      Bonjour,
      Pour répondre a la question, il faut acquérir bon nombre d’ouvrages consacrés a la commune et se faire un avis perso sur cette période.
      En ce qui concerne Eugène Varlin je n’ai repris que ce qui est le plus souvent évoqué-relaté dans la majorité des livres d’historien et ceci est diversement interprété par certains récits (mais qui ne sont pas majoritaires -du moins de ceux que j’ai lu sur le sujet une bonne 20 ene). Difficile d’en conseiller un ! Tous apprennent un peu.
      Cordialement,
      MC

  2. Patrick Blanchon 28/05/2021 / 6h43

    Mettez le doigt sur ☝🏾 l’époque actuelle , je l’aurais pas dit comme ça… il était poli ce gars là!

  3. raannemari 28/05/2021 / 19h33

    Le dimanche 28, vers trois heures de l’après-midi, écroulé sur un banc rue Lafayette, près de la place Cadet, IXe arr. il fut reconnu et dénoncé. Le lieutenant Sicre l’arrêta et, par les rues Rochechouart, de Clignancourt, Ramey, le conduisit jusqu’à la rue des Rosiers — aujourd’hui rue du Chevalier-de-la-Barre — à l’état-major du général Lavaucoupet. Varlin déclina son identité, mais se refusa à toute déclaration. Une foule hurlante, qui l’avait accablé d’injures et de coups durant son transfert, attendait sa victime qu’on adossa à un mur. Aux cris de : “ Vive la République ! Vive la Commune ! ” Eugène Varlin mourut comme il avait vécu, “ superbe de courage ” (témoignage du général Percin qui assista à la scène).
    https://maitron.fr/spip.php?article24876

  4. jjbey 28/05/2021 / 23h55

    Les révolutionnaires paient de leur vie les idées qui remettent en cause le système. La bourgeoisie accapareuse ne saurait tolérer la moindre concession et parler de protection sociale à une époque où la semaine de quarante heures faisait partie des rêves mérite bien la peine de mort.

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