Supputation pour 2022 – Un « Programme de gauche présidentielle » !

Quarante ans après l’élection via du programme commun PS-PCF et l’élection de François Mitterrand, la gauche sans programme unie,  est dans la panade. Il n’est pourtant pas compliqué de proposer des mesures progressistes, bonnes pour tous, y compris les entreprises.

Le 10 mai 1981, j’avais 6 ans (le rédacteur de l’article). Il y avait des amis à la maison, j’ai vu mes parents heureux comme rarement. Ils ont chanté, crié, sablé le champagne en voyant le visage de François Mitterrand s’afficher lentement, ligne après ligne, sur la vieille télé en noir et blanc et trois chaînes de tous les Français de l’époque.

Il est faux de dire que la gauche n’a rien fait. Forte hausse du salaire minimum, des allocations sociales, réduction du temps de travail, nationalisations… La gauche de 1981 a agi. Mais, dès 1982, c’était foutu, pour une bête histoire de contre-temps : tandis que le gouvernement socialo-communiste français accroissait le pouvoir d’achat des ménages, tous nos concurrents directs, à commencer par l’Allemagne et les États-Unis, en prise avec la forte inflation de l’époque – plus de 10 % par an – faisaient l’inverse.

Les Français se sont donc rués sur des produits… allemands, tandis que le made in France perdait en compétitivité, les hausses de salaires se répercutant en hausse de prix. Dès 1982, tous les voyants sont au rouge : inflation élevée, déficit public, déficit commercial et le chômage qui ne baisse pas. À l’époque, Jacques Delors et Michel Rocard ont raison : les entreprises françaises sont en train de crever sous le poids conjugué de la hausse du prix du pétrole – chocs de 1973 et de 1979 – et des augmentations de salaires.

Tout pour le profit

La priorité doit donc être donnée à la « restauration des profits des entreprises ».

J’insiste : dans une économie de marché comme la nôtre, et bien avant Maastricht et l’euro, les entreprises ont besoin de faire des profits. Là, elles n’en faisaient plus. C’est l’immense paradoxe des années 1970 : cette époque, qui marque le début de la fin des Trente Glorieuses, et plus généralement de la perte de pouvoir des salariés, est aussi celle où le partage des richesses se déforme le plus en faveur de ces mêmes salariés.

Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, il existait deux trucs bizarres, heureusement disparus depuis : le plein-emploi, et les syndicats.

Même si la France connaît son premier million de chômeurs dès 1976, la capacité de résistance de nombreux salariés est encore très forte, notamment dans l’industrie. La CGT peut donc demander des hausses de salaires, et, […] les obtenir.

Se met alors en place la « boucle prix-salaires », ou « spirale inflationniste » pour les amateurs de sensations fortes : la hausse des salaires entraîne celle des coûts de production, que les entreprises répercutent sur leurs prix de vente. Mais, face à cette baisse de leur pouvoir d’achat, les salariés demandent, et obtiennent, des hausses de salaires. Et c’est reparti pour un tour…

Deux éléments dans cette histoire expliquent pourquoi le retour de l’inflation, en tous cas celle des biens de consommation courants, n’est pas possible aujourd’hui. D’une part, le chômage de masse fait que les salariés sont très contents de travailler gratuitement (stages payés une misère quand ils le sont, heures supplémentaires jamais payées, apprentis surexploités, etc.).

D’autre part, les prix n’augmentent pas tout seuls, il faut que quelqu’un le décide. Si Renault pouvait augmenter le prix de sa R5, c’est parce que Peugeot faisait de même avec sa 205, et Citroën avec sa 104. Et, surtout, parce que ces trois entreprises couvraient à elles seules l’essentiel du marché français. Aujourd’hui, la concurrence mondiale, désormais au coin de la rue, et même au bout d’un clic, empêche les entreprises françaises d’augmenter leurs prix.

Persister, c’est se tromper

Mais, comme l’ont mis en lumière les travaux de Michel Husson, Dominique Plihon, ou Gérard Duménil et Dominique Lévy, la hausse des profits est allée beaucoup trop loin. Dès 1986, la part des profits dans la richesse nationale (la valeur ajoutée) retrouve son niveau des années 1960. Il aurait absolument fallu s’arrêter là. Mais c’était impossible, car les politiques de « modération salariale », qui rendaient les salariés seuls responsables du chômage (s’il y avait du chômage, c’est parce que les salaires étaient trop élevés, et uniquement pour cela) étaient mises en œuvre partout.

C’était à qui baisserait le plus son « coût du travail », y compris par les diminutions de cotisations sociales, qui allaient se traduire par des baisses de pensions de retraite, de remboursements de frais médiaux, ou d’allocations chômage. Et donc la part des profits dans la valeur ajoutée est montée, montée, montée… Ce fut le début des folles années 1980, de la célébration de la thune, de Bernard Tapie, de Michael Douglas dans le film Wall Street (1987) beuglant « la cupidité, c’est bien !  » (greed is good).

Mais, la contrepartie, ce fut la persistance du chômage de masse. Car à qui vendre ses voitures, ses meubles et ses jouets si les salaires stagnent ? Depuis cette période, l’économie française n’est jamais sortie de cette situation de croissance très faible, faute de pouvoir d’achat suffisant distribué aux ménages. C’est le cas de toutes les économies occidentales. La crise de 2008 a exactement les mêmes origines, le versement par les banques américaines, fortement aidées par la dérégulation décidée par Bill Clinton, de prêts à des ménages sous-payés pour qu’ils puissent, artificiellement, continuer à consommer. Jusqu’au krach.

Aujourd’hui, la pauvreté est le principal problème de notre pays, comme l’a montré par exemple les Gilets Jaunes. Il est nécessaire d’accroître les salaires de millions de gens dans notre pays. Comment faire ?

Un peu d’écologie, un peu de démocratie

La première chose à faire, évidente, est la transition écologique. Même si elle ne changera rien à l’avenir de la planète, elle réduira notre dépendance à l’égard des monarchies pétrolières, créera des millions d’emplois qualifiés, utiles et intéressants. Et elle nous fera à tous un grand bien sur le plan psychologique, et même moral, parce que nous ferons enfin ce que nous savons que nous devons faire : isoler tous les bâtiments, remplacer la voiture (même électrique) par des transports en commun partout où c’est possible, passer à une agriculture 100 % biologique, etc.

La deuxième, c’est de partager, à égalité entre dirigeants et salariés, le pouvoir dans les entreprises. Les travaux du sociologue Thomas Coutrot, qui dirige les enquêtes du ministère du Travail, ont en effet produit deux résultats très importants.

  1. Le premier, c’est que la plupart des gens souffrent dans leur travail, qui les rend souvent malades.
  2. Le deuxième, c’est que le manque d’autonomie, de contrôle, de pouvoir de décision dans son travail alimente un retrait de la vie civique : pas d’engagement dans les associations, forte abstention aux élections, ou vote pour le Rassemblement National.

Partager le pouvoir au sein des entreprises est donc un impératif sanitaire et démocratique. Comme le rappelle l’économiste Olivier Favereau, l’entreprise est le premier lieu de vie. Il est par ailleurs faux, sur le strict plan juridique, de penser que l’entreprise appartiendrait à ses actionnaires (dans le seul cas des sociétés cotées en Bourse). Elle est, au contraire, un objet politique partagé, qui doit être investi par tous. Ce qui serait d’ailleurs dans l’intérêt bien compris des entreprises qui ont de plus en plus de mal à recruter des jeunes diplômés pour bousiller la planète, spéculer sur les marchés ou vendre des trucs inutiles.

Je pourrais vous en faire des tartines, vous vous en doutez bien. Il y a, par exemple, de nombreuses pépites dans le Programme commun de 1972, qu’il serait temps de découvrir (ou redecouvrir). Mais ces perspectives sont, un poil clivantes, comme on dit à la télé.

À l’inverse, il me semble que les deux impératifs présentés ici (entamer la transition écologique, partager le pouvoir dans les entreprises) joints à la nécessité de restaurer nos services publics, pourraient faire l’objet d’un accord assez large au sein de notre pays meurtri.


Jacques Littauer -Charlie Hebdo – 12/05/2021.

11 réflexions sur “Supputation pour 2022 – Un « Programme de gauche présidentielle » !

  1. bernarddominik 14/05/2021 / 8h58

    Bien vu. Mais je pense que la première limite à l’emploi ce sont les charges, quand un salarié reçoit 100 € le patron paie 150 €. Avec la CSG la gauche a mieux réparti le poids du social mais, alors qu’elle aurait du entraîner une baisse des charges elle n’a eu qu’un faible effet sur les comptes sociaux.
    Pourquoi ? Je suis convaincu que l’étatisation des comptes sociaux a en réalité permis à l’état d’augmenter son train de vie. La gauche a toujours refusé de transférer sur la tva une partie des charges sociales, ce que font pourtant beaucoup de pays, le résultat en est l’affaiblissement de la production nationale face aux importations. Seul Lemaire l’avait dans son programme, qu’il a rapidement oublié pour adopter le point de vue de Macron en échange d’un maroquin. Je reste convaincu que Miterrand a signé des accords secrets avec Kohl qui favorisent l’industrie allemande en échange de la PAC, ce qui s’avère un miroir aux alouettes car aujourd’hui l’Allemagne a gagné sur les 2 tableaux.
    Et nos énarques n’ont pas la « niaque » pour défendre leurs pays, ce sont des comptables même pas capables d’équilibrer les comptes de l’état. Il faudrait de lourd sacrifices pour les milliers d’énarques casés dans des agences inutiles, sinon à pondre des rapports pour la poubelle.

    • Libres jugements 14/05/2021 / 15h56

      Bonjour Bernard,
      Mes connaissances en matière de charges salariales ne sont pas bien grandes.
      Par contre, ce que j’ai bien retenu, c’est qu’il y a une différence notable entre les charges prélevées sur le montant de la paie d’un employé et le montant des charges payées par un employeur sur ce même salaire.
      Certes l’employeur expédie une somme totale aux différents organismes, mais c’est une erreur de dire que ce total est payé par les seuls employeurs. Indiquer qu’un salarié coute tant a l’employeur sans diminuer la participation de l’employé est donc une erreur.
      Voila, voila
      Amitiès
      Michel

    • Le Jardin Secrêt De Marguerite 14/05/2021 / 17h30

      Je ne crois plus aux politiques j’n ai assez de les voir mentir de façon éhontée… où allons nous ?
      Amitiés
      Marguerite

  2. bernarddominik 14/05/2021 / 18h02

    Bonjour Michel, certes le salarié paie des charges le brut c’est 20 à 30% de plus que le net. Mais en plus du salaire brut le patron paie des charges salariales qui représentent environ 50% du brut. Quand un salarié a 100€ de brut il n’en perçoit que 70 ou 80 (suivant sa tranche de salaire) et le patron a payé 150€. Si on enlevait ces 50€ cela permettrait de baisser le coût du salariat et permettrait une baisse des coûts de.production et faciliterait l’embauche. Mais en plus de ces 150€ le patron paie des taxes et des charges en fonction de la masse salariale, par exemple le 1% logement, la partie pour le CE, la taxe sur la formation… tout ça se rajoute aux coûts de fabrication et sont des freins à l’embauche. Je ne dis pas qu’il faut tout supprimer, mais il y a des choses à revoir à moins de se satisfaire de la disparition des emplois de fabrication.

  3. bernarddominik 14/05/2021 / 18h18

    Oui encore un détail: baisser les charges sur le brut, c’est ce que Macron a fait en faisant payer cette baisse par les retraités. Ces baisses n’impactent pas le coût de la main d’oeuvre, et n’ont pas d’effet sur l’emploi et la compétitivité. Les plus bas salaires ne sont pas dans la fabrication mais dans la distribution
    La fabrication implique un degré minimum de formation. Donc réajuster les bas salaires est tout à fait possible mais la question est: quel impact sur les prix de vente? Pour moi le principal problème c’est le chômage et la balance commerciale. Un pays qui importe plus qu’il n’exporte s’appauvrit et un pays qui s’appauvrit ne peut augmenter le niveau de vie de ses citoyens

    • Libres jugements 14/05/2021 / 21h05

      Non… mais suis fautif… ai fait une erreur sur mon adresse mail
      mcgrospierres@gmail.com
      Il y a avait un point entre le s et @
      Mes excuses. D’autres part je suis absent jusqu’à demain début de soirée.
      Amitiés
      Michel

  4. Danielle ROLLAT 18/05/2021 / 21h40

    Les charges patronales comme les charges salariales ont pour but notamment de financer les retraites, l’assurance maladie, l’assurance accident de travail, les allocs, autrement dit les 4 branches de la Sécu.
    Si le Patronat a énormément contesté, il a hélas obtenu de larges exonérations de cotisations, qui à ma connaissance n’ont pas été compensées… et on nous bassine avec le trou de la Sécu.. Par ailleurs, l’Etat employeur ne cotise pas pour la retraite de ses agents titulaires, dont les retraites sont prises en compte sur le budget du pays… Cela peut aussi expliquer les dégraissages auxquels nous avons assisté, dans la Police, les Tribunaux, l’Equipement, les Hôpitaux, le changement de statut des PTT, d’EDF-GDF par exemple. En même temps, on assiste depuis plus de 10 ans à un gel des salaires, à une TVA élevée, à l’augmentation de la CSG sur les retraites supérieures à 2.000€, et à une diminution programmée des allocations chômage, alors que d’autres se goinfrent avec les aides publiques, le CICE… et licencient..

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