La libre concurrence, c’est bon pour les manuels de fac

Aux États-Unis, pays friand de formules idiotes, on dit « le ciel est la limite ».

Autrement dit : en dessous, tout est possible. Mais voilà que le ciel n’est plus la limite. Lui aussi a été privatisé. SpaceX a obtenu l’exclusivité du méga-contrat de 2,9 milliards de dollars avec la Nasa pour retourner sur la Lune, dernière station avant Mars(1). D’habitude, la Nasa choisit deux fournisseurs, histoire de s’assurer en cas de défaillance de l’un d’entre eux. Mais là, non : Elon Musk a tout raflé. La libre concurrence, c’est bon pour les manuels de fac, Bruno Le Maire ou l’Union européenne. La réalité du capitalisme, c’est le monopole, la rente.

Chez nous, c’est l’assureur bénévole Axa qui a été choisi pour garantir les 2 000 satellites artificiels qui tournent au-dessus de nos têtes. Or ces petites choses craignent les collisions, ou deviennent des débris qu’il faut suivre. Jusqu’à présent, le Bison futé de l’espace, c’était l’US Air Force. Maintenant, ce seront des assureurs aux dents longues qui, évidemment, ont fait appel à une jeune pousse, la start-up SpaceAble (2). Car derrière tout cela, il y a Internet : grands philanthropes, Elon Musk (SpaceX) et Jeff Bezos (Amazon) veulent installer des « constellations de satellites » afin de permettre à l’humanité de se connecter depuis n’importe quel coin de désert, de banquise, ou même la Creuse.

Pour Julien Cantegreil, fondateur de la start-up recrutée par Axa, «avec les constellations, l’espace va connaître en un temps record ce qui s’est passé dans le transport aérien depuis la découverte de Clément Ader ». Une catastrophe sans pré­cédent, qui réjouit l’imbécile. Pour lui, «si on envoie dans l’espace des dizaines de milliers de satellites au cours des quinze prochaines années, il faut absolument que l’Europe puisse avoir des données spatiales critiques, certifiées et sûres ». Le gars ose nous parler de l’Europe, alors que c’est sa boîte, au nom débile, qui va tout faire comme elle veut.

On parle beaucoup des rêves de nos enfants, en ce moment. Je ne sais pas à quoi il est bon qu’ils rêvent, et ce n’est pas à moi de le dire. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils et elles ont intérêt à rêver les yeux bien fermés. Parce que s’ils les ouvrent, ils ne pourront bientôt plus les poser sur aucun endroit dépourvu du mot « pognon » en énormes lettres clignotantes. Déjà en 2017, une entreprise japonaise voulait faire de la Lune un panneau publicitaire (3). Le projet n’a pas abouti. Mais on peut faire confiance à Elon et à Jeff pour y parvenir «en un temps record ».


Jacques Littauer. Charlie hebdo. 28/04/2021


  1. «La Nasa attribue à SpaceX le contrat pour aller sur la Lune» (Les Échos, 16 avril 2021).
  2. «Axa sélectionne SpaceAble pour renforcer ses assurances spatiales» (Les Échos, 20 avril 2021).
  3. «Cette start-up japonaise veut installer un panneau publicitaire… sur la Lune » (Numerama, 25 décembre 2017).

Une réflexion sur “La libre concurrence, c’est bon pour les manuels de fac

  1. jjbey 05/05/2021 / 11h21

    Et si tout ce qui se fait n’était que possibilités offertes aux plus fortunés de se mettre à l’abri.
    Cela me rappelle une île : Saint Barthélémy, un gros porte-avion fixe de 7 km de long où les négriers nantais vivaient loin des plantations où les esclaves produisaient leur fortune.
    Ils ont fini par se multiplier entre eux. Il en reste beaucoup de dégénérés…

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