Serge Le Quéau n’arrête pas de lever des lièvres.

« L’agro-industrie fait sa loi en Bretagne et n’accepte pas la contestation ».

Après cinquante ans de pratiques syndicales en terre bretonne, Serge Le Quéau parle d’expérience.

L’homme, aujourd’hui retraité, nous reçoit dans le petit local de l’Union syndicale Solidaires, à Saint-Brieuc. La même adresse qui, dix ans plus tôt, accueillait des salariés de Nutréa, une filiale de Triskalia, victimes du dichlorvos, un pesticide produit par Bayer.

Un drame humain dû à la rapacité du géant industriel. « Non contente de spéculer sur les cours des céréales, la coopérative n’avait rien trouvé de mieux, pour faire des économies d’électricité et optimiser ses profits, que de couper la ventilation dans les bâtiments qui stockaient des milliers de tonnes de céréales », explique le syndicaliste. Dans les silos, la fermentation favorise l’apparition de charançons et autres bestioles. Pour sauver les stocks, Triskalia arrose ses lots avec l’insecticide Nuvan Total, interdit depuis 2007.

« Autour des bâtiments, sur le site de Plouisy, c’était Tchernobyl. Et les gars ont développé un tas de maladies invalidantes, ils se réveillaient parfois en pissant le sang. Ils sont venus me voir car la CFDT, le syndicat majoritaire, avait refusé de s’occuper d’eux… pour ne pas nuire à l’emploi et à l’image de l’entreprise », raconte-t-il. Sa tentative de négocier à l’amiable avec Triskalia se solde par un échec. « Pour avoir une chance de gagner, il fallait médiatiser l’affaire. »

Les victimes acceptent.

Et Serge Le Quéau va faire les choses en grand. Conférence de presse, collectif de soutien, avocat spécialisé (Me Lafforgue, qui avait fait condamner Monsanto), il se démène et se transforme, avec l’aide des salariés victimes des pesticides, en enquêteur acharné, refaisant les enquêtes de la gendarmerie, de l’inspection du travail et de la Mutualité sociale agricole.

Rien ne tournait rond dans ces dossiers.

« La MSA d’Armorique (la Sécu agricole) fait pression sur les médecins pour que l’accident du travail soit requalifié en maladie. Le médecin de la MSA déclare des incapacités de travail ridicules n’ouvrant aucun droit à indemnisation. Quant à Nutréa, elle a essayé de faire certifier, heureusement sans succès, par un garde-chasse que les alentours de l’usine étaient sains. »

A l’automne 2020, il découvre qu’un des assesseurs (1) du pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc [ex-tribunal des affaires sociales, ndlr] est aussi membre sociétaire de Triskalia. Un autre travaille chez Groupama, l’assureur qui, avec le Crédit mutuel, entretient des liens financiers et organiques très étroits avec Triskalia. « En principe, dans ces cas-là, les assesseurs doivent se déporter pour laisser la place à des confrères. »

Verdict du Tass : rejet de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Réaction de Serge Le Quéau : courrier au président de la cour d’appel pour signaler un conflit d’intérêts et saisine d’Anticor, l’association anticorruption.

La bataille continue.


Natacha Devanda. Charlie hebdo. 14/04/2021


  1. Les assesseurs des Tass ne sont pas des magistrats professionnels. Les affaires passent devant des pairs mais tout conflit d’intérêts est bien sûr interdit, comme le stipule la charte d’éthique des assesseurs.

2 réflexions sur “Serge Le Quéau n’arrête pas de lever des lièvres.

  1. jjbey 18/04/2021 / 23h16

    La pourriture est partout, elle gangrène toutes les institutions. Ce système doit disparaître et faire place au gouvernent du peuple pour le peuple.

  2. Danielle ROLLAT 19/04/2021 / 21h31

    Aux fourches, Citoyens !

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