Darmanin, l’art de « caser » du poulet

En garantissant des postes de flic à des élus amis, il sème des graines pour la présidentielle.

Les flics l’ont baptisée « la Foire aux poulets » : il y a trois mois, leur ministre s’est lancé dans un frénétique tour de France des commissariats.

Objectif ? Cajoler ses amis politiques et mettre dans sa poche, à un an de la présidentielle, des élus LR Macron compatibles, grâce à la promesse du président candidat de créer 10 000 postes de policier et de gendarme durant son quinquennat (1).

La distribution des flics (1 145 en 2021) en fonction de la carte électorale est, Place Beauvau, une vieille tradition, que Gérald Darmanin réactive avec délectation.

Le 22 mars 2021, en visite au commissariat de Châteauroux (Indre), le ministre de l’Intérieur promet à son ami Gil Avérous, le maire (LR) de la ville, l’arrivée de 18 agents. A peine remonté en voiture, il fait un crochet par le commissariat de Tours (Indre-et-Loire) pour annoncer un renfort de 33 policiers, comme le lui avait personnellement demandé Philippe Chalumeau, député LR-EM du coin. Trois jours plus tard, à Bordeaux (Gironde), nouveau cadeau : cette fois à Thomas Cazenave, farouche opposant LRM au maire écolo, qui brigue la présidence du département : 140 nouveaux poulets bientôt dans votre agglomération !

Le coeff. secret de Beauvau

Le 29 mars, le Père Noël en bleu marine écrit à son « cher Sébastien » (comprenez : Sé­bastien Lecornu, le ministre des Outre-mer) pour lui annoncer « une augmentation de 16 policiers, dont 5 dès le mois de mai », dans son fief de Vernon (Eure). La bonne nouvelle est aussitôt tweetée par l’intéressé. Une pause ? Que nenni ! Le 7 avril, voilà Darmanin à Orléans (Loiret) — une terre à prendre aux élus LR où il proclame le recrutement de 38 flics pour le département. La veille, notre bienfaiteur filait dans les Yvelines, à Sartrouville, avec dans sa hotte « 16 policiers en plus d’ici à septembre ». De quoi ravir la députée locale LR-EM Yaël Braun-Pivet, également présidente de la commission des Lois, alliée précieuse en matière de textes aux petits oignons pour la police.

Une curiosité : le saupoudrage des postes au gré des déplacements du ministre est effectué sans que personne à la Direction générale de la police nationale en soit averti. « C’est comme le lancer de grains de riz dans les mariages, on ne sait pas sur qui ça va tomber, s’amuse un commissaire en sécurité publique. Si, par chance, le commissariat fait partie des villes étapes, on sait qu’on aura droit à un coup de peinture avant la visite du ministre. »

Pour prétendre à des renforts, le commissariat doit, en théorie, afficher un « effectif sous référence », calculé en fonction de critères divers : taux de criminalité, démographie, niveau des violences urbaines, présence d’un club de foot ou d’un tribunal, etc. Difficile, donc, de répartir les effectifs avec partialité… Sauf que ce savant calcul, établi Place Beauvau, est modulé par un « coefficient de pondération » secret, qui permet de tout faire ou presque.

Dans le poulailler, l’actuel tour de France des commissariats fait caqueter. « Depuis Sarkozy, on n’avait pas vu un ministre de l’Intérieur qui instrumentalise autant la police », assure un préfet. Dernière trouvaille en date : les « villages témoins ».

Inventé par le cabinet de Darmanin, ce concept a été présenté il y a deux semaines aux pontes de la Place Beauvau et de la Préfecture de police. L’idée est de mettre le paquet en hommes et en moyens sur trois zones sensibles (la Goutte-d’Or, à Paris, le quartier Lille-Sud et Villefontaine (Isère), au sud-est de Lyon) pour les transformer en vitrines de l’action de la police et y faire défiler, d’ici à la présidentielle, le maximum de journalistes.

Y en a sous la casquette, chef !


Didier Hassoux et Christophe Labbé – Le Canard Enchainé – 14/04/2021


(1) Pour que cette promesse soit tenue, 2 461 postes de flic et de gendarme devront être créés en 2022.

3 réflexions sur “Darmanin, l’art de « caser » du poulet

  1. bernarddominik 16/04/2021 / 20h57

    La corruption est une des mamelles de cette république. La seconde? C’est la mafia des énarques qui confisqué le pouvoir

  2. jjbey 17/04/2021 / 8h55

    Corruption, disons aussi népotisme pour compléter le tableau.
    Tout est bon dans le cochon …

    • Libres jugements 17/04/2021 / 9h54

      À n’en pas douter, adoubé le terme « corruption » a certains comportement, dépend du camp dans lequel on est.
      De tout temps les élus politiques au pouvoirs de n’importe quel parti, ont privilégié : mairie, région, au niveau de l’État.
      En fait, ceux qu’ils entendaient « se mettre dans la poche » en vue des prochaines élections et dites-moi quel est l’édile qui refuserait une subvention (qu’il attend depuis des années parfois).
      Nous ne disons pas que c’est normal, simplement que cela a toujours existé, aussi pour notre part éviterions-nous de parler de corruption.
      Juste un avis comme un autre

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