Justice sociale à la façon Bolloré…

Face à des comportements seigneuriaux, nous pouvons comprendre que certaines personnes rêvent du retour d’une justice expéditive »genre » révolutionnaire type 1789, face aux privilèges et privilégiés actuels.

Depuis 2013, le milliardaire s’acharne sur une intermittente virée pour avoir réclamé son dû.

Huit ans après avoir fait irruption sur le plateau de « Touche pas à mon poste ! », chez Cyril Hanouna, pour dénoncer le recours abusif aux contrats précaires du groupe Canal Plus, Sophie Tissier n’en a toujours pas fini avec les tribunaux. Et, vu les moyens judiciaires déployés par les sbires de Vincent Bolloré, on imagine que cette mère célibataire au RSA représente une sacrée menace pour le milliardaire et son empire !

Virée du jour au lendemain, en mai 2013 — Cyril Hanouna, le défenseur des opprimés, n’a curieusement pas bougé le petit doigt —, l’intermittente est d’abord déboutée devant les prud’hommes de Nanterre. Mais, en mars 2016, changement radical : devant la cour d’appel de Versailles, les juges requalifient en CDI les multiples « contrats d’usage » de Sophie Tissier, qui a passé trois ans dans les arrière-cuisines du groupe Canal. Sur leur lancée, ils lui accordent même 139 159 euros au titre des rappels de salaires et diverses indemnités.

Méthode de Guignols

Intolérable pour les avocats du richissime Bolloré qui, illico, déposent un pourvoi devant la Cour de cassation. En juillet 2017, cette dernière rend un arrêt mi-chèvre mi-chou : si elle confirme que l’intermittente était bien en CDI, elle estime que Sophie Tissier doit prouver qu’elle est bien restée à la disposition du groupe Canal pendant les périodes dites « interstitielles » (entre deux CDD). Retour programmé devant la cour d’appel de Versailles le 28 mai 2018, soit cinq ans (déjà) après son limogeage…

Entre-temps, Bolloré, finaud, ouvre un deuxième front judiciaire contre l’insolente. Ses avocats, acharnés, se mettent à accuser Tissier d’avoir menti sur ses activités lors des fameuses périodes interstitielles. Le 22 janvier 2018, ils déposent une plainte (au pénal, cette fois) pour « escroquerie au jugement ». Taïaut !

La jeune femme, paniquée, décide de quitter son avocat pour une célébrité du barreau, William Bourdon. Las ! trois jours avant l’audience devant la cour d’appel de Versailles, le 25 mai 2018, ce dernier lui écrit pour lui faire part de son pessimisme quant au volet prud’homal de l’affaire : « Nous allons rédiger un peu en catastrophe (sic) des conclusions qui ne seront pas très longues pour essayer de limiter les dégâts, sans grande chance. » C’est bon de se sentir soutenu…

Le plus fort : au moment où Bourdon rédige ses conclusions enthousiastes, la plainte pénale de Bolloré pour escroquerie au jugement est classée depuis plus d’un mois — une décision rendue le 25 avril 2018 !

L’avocat a visiblement oublié de vérifier l’info, tout occupé qu’il était à modérer les demandes de sa cliente devant la cour de Versailles.

Mauvaise pioche. Cette fois, la requalification en CDI est confirmée, mais l’intermittente ne se voit plus attribuer que 15 000 euros d’indemnités ; elle doit donc en rembourser 124 000 à Canal Plus. Un vrai sketch des « Guignols » !

Fin du feuilleton judiciaire ? Que nenni !

En janvier 2019, le porte-avions Bolloré lance une nouvelle attaque pour escroquerie au jugement contre la pirogue Tissier, par le biais, cette fois, d’une citation directe devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

Un an plus tard, le 28 janvier 2020, Canal et Bolloré sont une nouvelle fois déboutés. Rincée, ruinée, l’ex-intermittente se résout à se retourner contre Bourdon pour récupérer les 124 000 euros envolés… Et à porter plainte, également, contre Canal, pour dénonciation calomnieuse. Des procédures toujours en cours… comme le reste, d’ailleurs.

Le groupe de Bolloré reste en effet dans sa logique : il a fait appel du jugement du 23 janvier 2020 en sa défaveur devant le tribunal de Nanterre. En juin prochain, Tissier devra encore une fois comparaître devant la cour de Versailles…

Après « Baron noir », la prochaine série de Canal pourrait s’appeler « Robe noire ». Bolloré a déjà le scénario !


Jérôme Canard – Le Canard Enchainé. 24/03/2021

2 réflexions sur “Justice sociale à la façon Bolloré…

  1. jjbey 25/03/2021 / 8h49

    Monnaie courante pour le patronat, les procédures dilatoires sont multipliées et les dispositions du code civil sanctionnant les abus de recours ne sont que rarement appliquées et peu dissuasives pour ceux qui ont les moyens de se payer des flots d’avocats. « Le criminel tenant le civil en l’état » une plainte portant sur les mêmes faits suspend l’action au civil. Par exemple tu as été viré sans cause réelle et sérieuse mais ton ex patron porte plainte pour menaces et le procès prud’homal est suspendu en l’attente de la purge de la plainte pénale…..ça peut durer longtemps. La justice des hommes reste imprégnée des considérations de classe et la procédure sensée protéger et mettre à égalité les parties reste dans les faits favorable aux riches.

  2. Danielle ROLLAT 25/03/2021 / 16h42

    « ..Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».. écrivait La FONTAINE dans les animaux malades de la peste…
    Visionnaire ?

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