Ce n’était pas vraiment ce qu’elle s’imaginait. Jeune ingénieure de 23 ans, Maëlle P., nage entre deux eaux: elle n’est plus étudiante, n’est pas encore salariée, et ne touche aucune aide de l’État.
Diplômée de l’Insa Lyon en génie mécanique en 2020, elle aurait naturellement dû s’insérer dans un marché du travail dont le taux de chômage (3,5 %) en France restait il y a encore un an presque résiduel (1). Sauf que le Covid est passé par là et que le plein emploi dans l’ingénierie, c’est fini, surtout pour les jeunes inexpérimentés qui déboulent sur un marché du travail à la peine.
Maëlle P. se remémore ces derniers mois avec la légèreté de celle qui en verra d’autres. Tout juste rentrée d’un échange international à Stockholm le 14 février 2020, elle aura eu à peine le temps de trouver un appartement à Lyon et d’entamer son stage de fin d’études (« dans une entreprise qui développe des prothèses médicales, une opportunité incroyable») que tout s’est arrêté. Son stage est décalé.
Deux mois de pause à vivoter dans sa coloc, sans rémunération. Et lorsqu’elle retourne au bureau d’études en mai, l’adaptation est rude : « Je suis timide, je n’ai pas eu le temps de trop connaître mes collègues. Niveau intégration, avec la distance des gestes barrières, c’était vraiment difficile ». Elle comprend aussi que ce passage dans la vie active ne la conduira pas à une embauche, alors que l’enchaînement stage-CDD-CDI est d’ordinaire la combinaison reine chez les ingénieurs (souvent même engagés avant leur diplôme en poche…)
Lorsque Maëlle quitte son statut d’étudiante en octobre, personne ne l’attend. « Nous sommes nombreux à n’avoir toujours rien trouvé, on se soutient. » Certains ont cherché une échappatoire en s’inscrivant dans de nouveaux cursus universitaires. D’autres passent entretien sur entretien, ou actualisent leur CV et fouillent Linkedln toute la journée.
Maëlle fait partie de ceux-là: « C’est frustrant. Je multiplie les démarches, mais il n’y a pas d’offres. On nous demande de l’expérience mais il n’y a personne pour nous en offrir une première ! »
Formée pendant cinq ans à Lyon puis sur le campus d’Oyonnax par un établissement qui figure au top 5 des classements annuels des écoles d’ingé françaises, la jeune femme déchante un peu : « Forcément, on se dit qu’après l’Insa, ce sera facile de trouver un boulot, très bien payé ». Après tout, n’est-ce pas ce que vendent les écoles sur leurs plaquettes de présentation?
En janvier, après un premier round de candidatures spontanées restées sans réponses, le vent tourne (un peu) quand elle s’inscrit à l’Apec (Association pour l’emploi des cadres). Elle bénéficie alors d’un accompagnement destiné aux primo-entrants, pour redéfinir son projet, savoir se présenter, et « réseauter ». Du jour au lendemain, des boîtes de conseil la contactent. Mais au bout du compte, le constat reste le même : « Pour l’instant, il n’y a pas de mission pour moi. »
Maëlle se dit que ça pourrait être plus simple. Qu’il lui suffirait d’élargir ses recherches, par exemple dans le domaine de l’énergie où elle voit beaucoup d’offres passer, plutôt que de se cantonner au milieu médical. Elle se pose des questions, s’en excuse presque.
La jeune ingénieure fait pourtant des concessions. À force d’entretiens décevants, elle revoit ses prétentions salariales, sa « fourchette basse », comme elle dit. Et accepte maintenant de partir loin.
Philosophe, elle se dit que l’année passée lui a au moins apporté cela: « Après un an à vivre presque confiné, on a appris à communiquer différemment. Alors je me rends compte que si je ne suis pas dans la même ville que mes amis, ça ira. »
Marion Michel – Telerama N°3714 – 17/03/2021- Titre original « Nous sommes nombreux a ne rien trouver ».
- Enquête de l’association Ingénieurs et scientifiques de France publiée le 23 juin 2020.
Le masque tombe, diplôme ou pas seul le profit compte et ces jeunes diplômés, victimes comme tous les salariés de ce système animé par des rapaces.
Certains s’endettent pour poursuivre des études… quelle tristesse, et quelle rage !!