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La réunion se tient à l’Hôtel-Dieu du Puy-au-Velay, le 4 avril 2016. Quatre mois plus tôt, Laurent Wauquiez a été élu président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce jour-là, dans son fief de Haute-Loire, dont il a été maire de 2008 à 2016, il réunit sa nouvelle majorité pour un séminaire destiné à fixer la feuille de route de la mandature.
Selon des enregistrements sonores que s’est procurés Médiapart, Laurent Wauquiez y présente ce jour-là une méthode : l’utilisation des fonds publics de la Région(3 à 5 milliards d’euros par an) pour favoriser l’implantation locale de la droite et, in fine, sa réélection.
[…] C’est Laurent Wauquiez qui résume la méthode présentée ce jour-là aux quelque 112 nouveaux élus : « Il y a des territoires, par rapport aux priorités que peut avoir la majorité, qui n’ont pas forcément vocation à être arrosés. »
Le sous-texte est limpide : les subventions régionales doivent aller en priorité aux collectivités de droite ou, à défaut, à des collectivités que la droite veut conquérir. […]
Pendant plusieurs dizaines de minutes, Laurent Wauquiez et Ange Sitbon (ce dernier ex-cadre du LR, spécialiste de la carte électorale vient de rejoindre le conseil régional. Il y occupe un rôle flou, mais central dans le système Wauquiez) décryptent les résultats des élections régionales. Tout y passe : les difficultés dans le sud de l’Isère, « le trou de Grenoble », le bon report des voix du Front national au second tour (« 15 à 20 % » auraient choisi la liste de droite malgré la qualification du FN)… Et la méthode décrite plus haut est rapidement déclinée en illustrations concrètes.
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[Dixit] Laurent Wauquiez enchaîne sur le mauvais résultat de LR à Villeurbanne : « Le problème, c’est que je n’aime pas trop les équations, explique le nouveau président de région. Parce qu’en même temps, on n’a pas forcément l’intention d’arroser Villeurbanne, qui a été arrosée de façon délirante sous le mandat de Queyranne. Donc il va falloir qu’on trouve une bonne méthode de travail, là-bas. »
Cette « méthode de travail », […] repose sur un principe [résumable] ainsi : toutes les subventions de la région doivent passer au filtre politique. […] Les conseillers régionaux de la majorité se sont vu pour beaucoup attribuer la responsabilité d’un territoire. Un rôle nouveau de conseiller régional « référent » par lequel transitent les projets d’aménagement des municipalités qui sollicitent l’aide de la Région. […]
En juillet dernier, le conseiller régional de droite Philippe Langenieux-Villar décrivait par exemple sur sa page Facebook : « Je vais disposer d’un peu plus de 500 000 euros supplémentaires pour aider les investissements des communes du Grésivaudan [une vallée de l’Isère – ndlr]. Un soutien pour accompagner les nouveaux (et anciens) maires au moment du vote de leurs budgets. »
Ce ne sont toutefois ni les élus référents, ni les fonctionnaires des différents services de la région qui ont le dernier mot sur la répartition des subventions. Le cœur du pouvoir se situe à Lyon, dans le bureau d’un homme, qui jouxte celui du président : Ange Sitbon.
Officiellement, ce dernier a été embauché comme coordinateur de la délégation générale à la « relation aux élus et aux territoires ». Un poste parmi d’autres au sein d’une administration régionale qui compte 96 autres chefs de service.
Officieusement, Ange Sitbon est un pilier de la Région, un très proche de Laurent Wauquiez. Un de ses cinq agents les mieux payés, aussi : 9 000 euros par mois. Dans un rapport publié à l’automne 2019, la Chambre régionale des comptes jugeait sévèrement la situation « atypique » d’Ange Sitbon et prévenait la Région que son salaire pourrait être jugé « disproportionné » par la justice.
« Une prise de guerre, ça se paie », justifiait un proche de Laurent Wauquiez dans La Montagne en 2019. Et Ange Sitbon est incontestablement une belle prise : chargé des élections pendant dix ans au siège de l’UMP (devenue LR), il est considéré comme un des meilleurs spécialistes français de la carte électorale. « Ange est vraiment très doué là-dessus », glisse d’ailleurs Laurent Wauquiez à ce fameux séminaire.
À l’Hôtel de Région, son importance est capitale, comme le racontait Mediapart dès 2017. Un témoin nous résume ce que tous nos interlocuteurs décrivent : « Tout passe par lui. » Depuis 2016, les subventions et les investissements les plus importants transitent par cette singulière délégation générale. Les élus de l’exécutif ont pris l’habitude de lire, dans les documents internes que le cabinet du président leur fournit, des annotations signées « AS ».
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[…] … deuxième collectivité de France, l’Auvergne-Rhône-Alpes dispose d’un budget qui avoisine aujourd’hui les 5 milliards d’euros annuels. Elle a des compétences propres, comme le développement économique, les transports ou l’entretien des lycées. Mais elle fait aussi office de guichet financier et distribue des millions d’euros tous les ans aux collectivités, aux entreprises, aux associations… Elle a lancé en ce sens un certain nombre de labels : les contrats ambition région, les pactes régionaux ou le bonus ruralité – tous destinés à financer les projets des collectivités.
Pour chapeauter tout cela, Ange Sitbon s’est entouré d’une demi-douzaine de collaborateurs, recrutés en tant que contractuels. Une situation peu commune alors que la loi oblige les collectivités à prioriser le recrutement de fonctionnaires. Autour du « délégué général » travaillent aujourd’hui, selon nos informations, trois secrétaires (dont l’une est adjointe au maire de droite de Saint-Didier-en-Velay, en Haute-Loire) et six chargés de mission, dont au moins cinq ont un profil très politique :
- Aurane Reihanian, le président des Jeunes Républicains (le mouvement de jeunesse de LR), ancien attaché parlementaire puis conseiller sécurité de Laurent Wauquiez
- Nicolas Pauzie, délégué régional des Jeunes Républicains, ancien communicant de Laurent Wauquiez
- Grégory Sansoz, délégué LR dans le Rhône et référent local de la « Droite sociale », le mouvement de Laurent Wauquiez
- Maryll Guilloteau, adjointe au maire LR du 2e arrondissement de Lyon et fille de Christophe Guilloteau, le président LR du conseil départemental du Rhône
- Romain Lefebvre, président de la fédération LR de l’Allier, adjoint au maire LR de Montluçon
Sollicité par Médiapart, le cabinet de Laurent Wauquiez rétorque : « Ce qui compte dans l’action d’un agent régional, c’est l’exercice de sa mission. […] Chaque agent a le droit, dans sa vie privée, de se présenter à un mandat. »
Le fonctionnement de ce service, que l’opposition apparente à un « cabinet fantôme », interroge aussi. « Avec Sitbon, rien ne laisse de traces, raconte une source dans l’administration régionale. Pour dire oui ou non à une subvention, il laisse un post-it sur un dossier. S’il faut s’expliquer, il le fait à l’oral. […] »
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Fin décembre, l’AFP révélait que le Parquet national financier (PNF) avait ouvert en septembre 2020 une enquête après un signalement d’Anticor au parquet de Lyon. […] … cette enquête porterait […] sur la « cellule Sitbon » et vise des faits présumés de détournement de fonds publics.
Sollicité, [les instances ARA indique] « ne disposer d’aucune information » sur l’enquête du PNF et « attend sereinement ses suites éventuelles ». […]
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Électoralisme…
Près de cinq ans après, la méthode présentée lors de ce séminaire s’est largement traduite en actes. Médiapart a épluché les comptes administratifs de la Région et comptabilisé l’intégralité des subventions (191 millions d’euros) directement attribuées à près de 2 400 communes en 2017, 2018 et 2019.
Ce qu’il en ressort est éloquent. En Auvergne-Rhône-Alpes, l’habitant d’une commune dirigée par la droite a reçu en moyenne 24,5 euros de la Région entre 2017 et 2019 – c’est près de deux fois plus qu’un habitant d’une commune de gauche (13,3 euros).
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La répartition des fonds régionaux n’est pas toujours une conséquence binaire des clivages gauche-droite. Il s’agit parfois de reconquérir des territoires. Alors que la droite dirigeait depuis 2014 la majorité des villes du département de l’Ardèche (24 sur 33) et bien que la présidence du département soit « de gauche uni » autour du PS , Laurent Wauquiez LR a été battu par J.J. Queyranne, PS au second tour des régionales (39,5 % pour les alliés du PS contre 36,9 % aux alliés du LR, le FN arrivant troisième).
Alors, pendant tout son mandat, la Région a massivement financé les communes ardéchoises. Après la Haute-Loire, le département a été le deuxième réceptacle des subventions régionales (avec 56,9 euros par habitant en moyenne). Les robinets ont fonctionné à plein régime : 800 000 euros pour un complexe culturel à Roiffieux, 677 000 euros à Aubenas, 500 000 euros à Bourg-Saint-Andéol, 447 000 euros pour une école à Ucel…
Sollicitée pour commenter ces chiffres, […] l’entourage de Laurent Wauquiez, explique : « Sur l’ensemble du mandat qui s’achève, les politiques de subvention sont équilibrées » et « sans lien avec l’appartenance politique des élus ».
D’après : Ilyes Ramdani et Donatien Huet – Médiapart – Titre original : « Argent public: comment Laurent Wauquiez arrose les siens ». Source (Extrait)
Cette répartition est un véritable problème depuis longtemps qui mine la démocratie. Il faudra bien trouver une solution car droite ou gauche, chaque élection alternant les pouvoirs, ces arrangements dans la gestion des budgets sont devenus un sport illégalement règlementé.
Les collectivités territoriales s’administrent librement sous contrôle préfectoral…Compte tenu des purges subies ces dernières années, avec la baisse des subventions, les effets de la suppression progressive de la taxe d’habitation, l’incidence de la taxe professionnelle, la hausse des besoins sociaux, monter un budget équilibré sans trop peser sur la pression fiscale relève de l’acrobatie… Les uns ont un peu plus de souplesse et d’autres moyens : le conseil départemental de mon département économise plus de 500 millions par an, en rechignant sur la solidarité… et préfère les opérations de prestige…Idem au niveau de la région,… les constructions de lycées attendront, la restauration scolaire est confiée au privé.. Ca permet de dégraisser les effectifs… C’est d’une tristesse..
Quelle chance nous avons de payer les militants de Wauquier uniquement occupés à sa réélection…
Au moins on sait où passe notre pognon.
Et ce ne sont pas des emplois fictifs…
Ceci étant dit, des reproches « presque » similaires de « distributions financières très sectorisées » en vue de réélection, étaient prodiguées par l’équipe précédente de Jean-Jacques Queyranne.
Dans la situation Wauquiez c’est surtout le rôle obscur de Sitbon qu’il faudra analyser si demain la région change d’étiquette.
Amitiés
Michel