Le milliardaire breton avait négocié avec le Parquet national financier un plaider-coupable assorti d’une simple amende de 375 000 euros, dans une affaire de corruption en Afrique. […]
Le tribunal judiciaire de Paris a refusé, vendredi 26 février, de valider la procédure de plaider-coupable qui avait été négociée entre le milliardaire breton et les procureurs, afin de solder une enquête judiciaire ouverte en 2012 sur la corruption présumée par Bolloré de deux présidents africains, en échange de la prolongation de la concession portuaire du port de Lomé. Voir Lien « Bolloré aux manettes de scandales » https://librejugement.org/2018/04/27/bollore-aux-manettes-de-scandales/
Vincent Bolloré avait réussi à négocier une amende de 375 000 euros, alors que le délit de corruption, qu’il a reconnu à l’audience, est passible d’un maximum de dix ans de prison. La présidente de la chambre correctionnelle, Isabelle Prévost-Desprez, a jugé que cette peine était insuffisante au vu de la gravité des faits et de la personnalité éminente de Vincent Bolloré, 17e fortune de France, qui contrôle le groupe Vivendi, ses filiales Canal+ et CNews, le groupe de communication Havas et un empire logistique en Afrique.
Le dossier sera donc retourné aux juges d’instruction. Il leur appartient désormais de renvoyer ou non le milliardaire, qui est mis en examen, devant un tribunal correctionnel, en vue d’un procès public.
Sollicités par Mediapart après l’audience, Vincent Bolloré, son avocat, Me Olivier Baratelli, et les magistrats du PNF se sont refusés à tout commentaire.
C’est la première fois que le tribunal désavoue ainsi le Parquet national financier dans le cadre d’une telle procédure de plaider-coupable. D’ordinaire, l’audience de validation est une simple formalité. Me Baratelli, l’avocat de l’homme d’affaires, se félicitait, en entrant dans la salle d’audience, d’une issue « extrêmement satisfaisante » : « Vous ne voyez pas les sourires à cause du masque mais on peut les deviner. »
Mais rien ne s’est passé comme prévu.
À la suite de sa mise en examen en avril 2018, Vincent Bolloré avait dénoncé par communiqué des « accusations infondées ». Il a finalement préféré plaider coupable et négocier une sanction avec le Parquet national financier plutôt que de risquer de perdre un procès qui aurait pu avoir de graves conséquences pour son groupe.
Lorsqu’une entreprise est condamnée pour corruption, elle se voit en effet privée du droit d’obtenir des marchés publics dans plusieurs pays. Comme l’explique un proche du dossier, « cela aurait porté un coup très dur au groupe Bolloré », dont l’activité logistique, notamment en Afrique, repose en grande partie sur des concessions.
Cela tombe bien : depuis la loi Sapin 2 de 2016, les entreprises peuvent bénéficier d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), une procédure qui leur offre l’avantage de pouvoir négocier une sanction financière sans avoir à reconnaître leur culpabilité. Pour l’affaire de corruption au Togo, le groupe Bolloré a négocié une amende de 12 millions d’euros, ce qui correspond au double des profits estimés sur la durée de la concession.
Mais la CJIP ne règle pas la responsabilité des personnes physiques, en l’occurrence Vincent Bolloré, le numéro 2 du groupe Gilles Alix et le directeur international de Havas, Jean-Philippe Dorent.
Comme l’a indiqué à l’audience le patron du PNF, Jean-François Bohnert, il a été convenu de « régler en même temps le cas de la personne morale et des trois personnes physiques », dans le cadre de négociations certes « serrées », mais dans l’esprit « consensuel » propre au plaider-coupable.
Finalement, alors que la corruption et l’abus de confiance sont punis respectivement d’un maximum de 5 et 3 ans de prison, le PNF a accepté que Vincent Bolloré et ses deux collaborateurs soient sanctionnés d’une amende de 375 000 euros chacun (le maximum légal), qui ne sera même pas inscrite à leur casier judiciaire. Une somme indolore pour Vincent Bolloré, dont la fortune est estimée à 5,7 milliards d’euros par Challenges.
Il s’agit d’un accord « gagnant-gagnant », a indiqué Jean-François Bohnert à la barre. C’est pourtant très en retrait, par exemple, des quatre ans de prison, dont deux ferme, récemment requis par le PNF contre Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bismuth.
Dans le cas de Bolloré, le premier vice-procureur, Aurélien Létocart, a justifié l’absence de « peine de prison, fût-elle avec sursis », par l’ancienneté des faits et le fait que le dossier a fait l’objet d’un compromis d’ensemble incluant le groupe Bolloré.
La présidente de la chambre, Isabelle Prévost-Desprez, a d’abord validé la CJIP du groupe Bolloré. Puis elle a appelé Vincent Bolloré à la barre, pour lui demander s’il reconnaît toujours sa culpabilité pour « corruption » et « complicité d’abus de confiance ». « Oui, Madame la présidente », a-t-il répondu.
Son bras droit Gilles Alix a ensuite plaidé coupable pour « corruption » et « abus de confiance », et le dirigeant de Havas Jean-Philippe Dorent pour « complicité d’abus de confiance ».
Puis est venu le coup de théâtre : Isabelle Prévost-Desprez a refusé de valider le plaider-coupable des trois hommes. Concernant Vincent Bolloré, elle a jugé « que la peine […] est inadaptée au regard des circonstances de l’infraction », vu la gravité des faits (la corruption d’un président étranger) et la personnalité de Vincent Bolloré, patron d’une très grande entreprise qui « représente la France à l’étranger ».
La présidente a estimé « nécessaire » que l’affaire soit jugée lors d’un procès public. Cette décision appartient désormais aux juges d’instruction qui ont mené l’enquête, seuls à même de prononcer un renvoi devant le tribunal correctionnel.
La pilule est amère pour Vincent Bolloré, qui vient donc de reconnaître publiquement sa culpabilité sans bénéficier du compromis négocié avec le PNF. Cet aveu est d’autant plus significatif que le milliardaire breton est d’ordinaire très chatouilleux au sujet de son honneur. Il a multiplié les procédures judiciaires « bâillons » contre les journalistes qui osent enquêter sur ses activités africaines, dont ceux de Mediapart, au point d’avoir été condamné pour une procédure abusive intentée contre un journaliste de Radio France.
Après avoir nié toute responsabilité lors de l’enquête judiciaire, il a finalement accepté de l’« assumer ». Probablement parce que l’enquête judiciaire, dont le contenu a été révélé par Le Monde, apparaît comme solide.
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Fabrice Arfi et Yann Philippin – Médiapart – Titre original : « Corruption: la justice refuse un plaider-coupable trop clément pour Bolloré ». Source (Bref extrait)
Pris les mains dans la boue les corrupteurs continuent leurs activités et Bolloré continuera à nous servir des leçons de moral via ses organes de presse.
Quelle belle société qui ruine encore plus les pauvres et préserve les requins du fric.
A part Médiapart, qui en parle ?