La novlangue des plateformes

De la formation d’un mot utilitaire a son utilisation dévoyée…

Depuis les chroniques intitulées « Parlez-vous binaire?» et « Do you speak « Informatik »? », des lecteurs m’envoient d’autres spécimens linguistiques qui montrent bien comment l’intrusion du vocabulaire informatique dans le Langage courant aboutit à une pensée informatisée, donc uniformisée.

Le mot « plateforme » est un bon exemple de destruction de pratiques consécutive à la prolifération de « La terminologie informatique ».

Ce terme est issu des techniques routières, militaires ou industrielles (une plateforme pétrolière). Le sens concret d’une surface plane comme l’estrade où se font les discours électoraux a ensuite donné à « plateforme » la signification d’un ensemble d’idées pour présenter un programme électoral.

« La plateforme électorale d’un parti » est attestée en 1967.

Le terme est ensuite passé dans le vocabulaire informatique : une plateforme numérique est un ensemble de contenus et de services en ligne.

C’est à partir de cet usage que ce mot s’est introduit dans La plupart des métiers, en les modifiant rapidement. Par exemple dans le champ de la santé.

Les agences régionales de santé (ARS) ne jurent plus que par des plateformes. Quand une ARS ne veut plus financer un établissement de soins, elle le remplace par une plateforme. Par exemple : les centres médico-psychopédagogiques (CMPP), ces établissements qui depuis les années 1960 reçoivent beaucoup d’enfants et de parents mal en point, sont en voie de « transformation en plateformes», comme dit l’ARS Nouvelle-Aquitaine.

En fait de transformation, il s’agit de la destruction de pratiques de proximité qui ont fait leurs preuves.

Le ministère veut à tout prix faire croire qu’il s’occupe des autistes (nous en sommes au quatrième « plan autisme » en quinze ans), alors il détourne les moyens alloués aux CMPP. Sur te site des ARS, la description des futures « PCO-TND » (c’est-à-dire « Plateforme de Coordination et d’Orientation pour les Troubles Neuro-Développementaux») ressemble à une parodie de jargon.

Quand on s’accroche, on comprend qu’il s’agit d’organiser un accueil téléphonique ou numérique, avec bien peu de praticiens en chair et en os, qui devront se coordonner pour diagnostiquer (comment? on ne sait pas) et orienter les enfants autistes (où ça? on ne sait pas); tout cela au détriment des patients tout-venant qui étaient reçus jusqu’ici dans les CMPP. Alors qu’il faudrait de vrais moyens pour tes uns comme pour les autres.

« Connectez-vous au réseau autisme », me dit un cadre de l’ARS : le gars me parle comme un développeur de sites Internet. D’ailleurs la logique des plateformes va très bien avec La grande mode du télétravail.

Pardon, on ne dit plus « je suis en télétravail », on dit « je suis en home office » (terrible agglutination; on dirait un nom de logiciel).

Une autre pépite de notre petite novlangue informatisée quotidienne : l’expression « programmer une connexion », qui était réservée aux informaticiens il y a encore quelques mois, est -aujourd’hui tombée dans le langage courant. Monsieur rentre à la maison et lance à madame : « J’ai programmé une connexion pour une visio à 19h 30, tu peux gérer les enfants? » Nous sommes tellement identifiés à nos petites machines que nous adoptons leur vocabulaire sans nous en rendre compte.

La vraie vie est trop difficile, alors, c’est décidé, demain je me mets en home office pour faire des séances de thérapie en visio sur la nouvelle plateforme, et je demande à être payé en chèques-psy.


Yann Diener – Charlie Hebdo – 17/02/2021


Dépassé par cette « novlangue »… Ce n’est pas pour vous rassurer, mais en réalité c’est fait exprès.

Attribuer une nouvelle dénomination à un emploi, une structure, permet de faire croire à une majorité de personne mal informée, que le service public (et le service au public) est toujours en activité alors que vous êtes redirigé vers des organismes privés… qu’il vous faudra souvent rémunérer personnellement.

La novlangue ne sert qu’à diffuser un brouillard pour cacher la réalité.

Vous n’êtes pas d’accord avec son utilisation abusive, vous avez certainement des raisons de vous plaindre, alors exprimez-le dans les isoloirs, lors des prochains appels à voter, ça tombe bien vous avez les perspectives des élections territoriales (ex-élections départementales), les régionales en 2021… oui cette année… ah bon ! … tiens personne n’en parle…

Et en 2022 la présidentielle et en suivant des législatives…

Bah oui quoi, pendant les deux ans qui viennent nous serons d’élections… c’est bête un ; cela va faire plein de moment ou nous les électeurs, pourrons exprimer nos souhaits pour un programme… Et surtout pas pour la bobine de l’une ou de l’autre… (dans l’ordre que vous voulez !).

MC

4 réflexions sur “La novlangue des plateformes

  1. Patrick Blanchon 19/02/2021 / 4h39

    une vaste foutaise, derrière ce jargon on retrouve l’appât du gain et toutes les embrouilles qui vont bien avec. Y a de moins en moins de soins et de plus en plus de diagnostics ! Merci aux lobbies qui peu à peu grignotent tout ce qui s’est construit dans les CMPP notamment, parfois même dans des municipalités de gauche ( c’est dire à quel point tout cela leur échappe) , sans doute un problème d’audition lié directement à cette « novlangue »…? Le Slogan par exemple de l’OVE c’est « l’audace d’agir » on pourrait se demander si agir n’est pas désormais un synonyme d’entuber ou d’enfumer…

    • Libres jugements 19/02/2021 / 14h03

      Parfaitement d’accord Patrick avec ce commentaire.
      Cordialement,
      Michel

  2. jjbey 19/02/2021 / 12h02

    Moi qui suit de la langue de Voltaire je respire en rappelant Platon que je cite à l’envie:  » La perversité de la nation passe par la fraude des mots ». Ce n’est donc pas nouveau. La perversité et la fraude sont bien d’actualité pour faire croire au chaland qu’il n’y a pas de société possible en dehors du capitalisme (vous dites société libérale?) et que le partage équitable des richesses produites reviendrait à vous empêcher de vivre correctement car vous ne bénéficieriez plus du ruissellement.

  3. Danielle ROLLAT 19/02/2021 / 21h46

    « T’es plus dans l’coup Papy ou Mamie »… C’est certain pour ce qui me concerne.
    J’espère quand même que cette génération gavée à la « novlangue des plateformes » qui ne peut vivre sans téléphone à portée de main, prendra le temps d’ouvrir un livre de poésie ou un bon roman, de le feuilleter, d’y revenir, et en donnera l’envie à ses enfants, comme le font et le feront toujours les gavés « du ruissellement ».

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