L’avenir des villes
L’affaire semble entendue : loin de déboucher sur un quelconque « monde d’après », le Covid-19 a approfondi celui d’avant en renforçant des tendances déjà existantes. Recours au commerce en ligne, poids des géants du numérique, de la limitation des libertés publiques … à la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur la santé (1)…
Cependant […] la pandémie paraît avoir renversé la table de la toute-puissance des métropoles et leur domination sur les autres territoires. Avant l’explosion de la pandémie, les grandes villes de la planète affichaient leur prospérité. Elles captaient les richesses, concentraient les emplois, focalisaient les flux migratoires.
[…] L’âge d’or a subitement pris fin et les commentateurs s’alarment désormais d’une « crise des métropoles », avec un exode des habitants aisés, des faillites d’entreprise en cascade, un effondrement immobilier, des recettes municipales en chute libre et, finalement, un appauvrissement durable (2).
[…] Faute de clients et fragilisés par les confinements à répétition, nombre de commerces ont dû tirer le rideau et, de Montréal à Paris, de Londres à Madrid, les panneaux « à vendre » prolifèrent sur les devantures installées dans les quartiers touristiques ou de bureaux. Les effets commencent à se faire sentir sur le marché immobilier.
Après deux décennies de croissance vertigineuse, les prix dans les grandes métropoles stagnent, la demande diminue tandis que le marché flambe dans certaines périphéries pavillonnaires, campagnes ou petites villes : + 11,5 % en 2020 pour les maisons de Seine-Saint-Denis, + 17 % pour celles du Val-de-Marne. Idem en Normandie (+ 6 %), en Centre – Val de Loire (+ 8,5 %), dans les Hauts-de-France (+ 8,9 %), dans les Pays de la Loire ou en Bretagne (+ 10 %) (3).
Nul ne peut prédire ce que réserve la pandémie ni assurer que la « revanche des campagnes » célébrée dans les médias aura bien lieu. La situation enseigne toutefois que les équilibres géographiques ne sont jamais figés. Les villes qui l’emportent un jour peuvent devenir les perdantes du lendemain.
Doit-on se résoudre à ce système de vases communicants géographique, où le bonheur des uns découle du malheur des autres, où la fortune des territoires se fait et se défait selon les desiderata des classes supérieures et des dirigeants d’entreprise ?
L’aménagement du territoire n’a pas toujours été livré ainsi à la seule loi de l’offre et de la demande. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’affaire était même prise très au sérieux par le gouvernement, qui en confia la supervision à Eugène Claudius-Petit, résistant puis ministre de la reconstruction et de l’urbanisme de 1948 à 1953. Publiée en 1950, sa brochure « Pour un plan national d’aménagement du territoire » affiche l’ambition : la « recherche, dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques ». Et pour cela, tous les moyens sont envisagés : « La déconcentration, l’industrialisation sur un plan décentralisé, la rénovation de l’agriculture, l’équipement touristique, l’organisation culturelle » (4).
Claudius-Petit quitta son poste avant de mettre en œuvre ses projets. Mais l’idée d’une « géographie volontaire, collectivement assumée », selon les mots d’Olivier Guichard, l’un de ses successeurs et un des barons du gaullisme, a perduré.
Le nouveau ministre, Pierre Courant, planifie, en 1953, l’édification annuelle de 240 000 logements grâce, notamment, à l’argent des entreprises privées de plus de dix salariés, qui doivent contribuer à hauteur de 1 % de leur masse salariale à la politique de construction publique. FNAT, SCIC, ZUP, ZAC, DATAR (5)… : derrière ces acronymes rebutants, l’État crée les outils pour se donner les moyens d’exproprier quand il le faut, de maîtriser l’implantation des entreprises, de faciliter la construction de grands ensembles. Bref, d’aménager le pays en respectant l’impératif (inscrit dans la Constitution) d’égalité entre les différents territoires qui le composent, un objectif aujourd’hui dissous dans la notion floue et moins contraignante de « cohésion des territoires ». De 1945 à 1975, plus de 600 000 emplois industriels furent ainsi décentralisés de la région parisienne vers la province, et 9 millions de logements sociaux édifiés.
[…]
Benoît Bréville & Jean-Michel Dumay – Le monde Diplomatique – titre original : « Pour une géographie volontaire ». Source (Extrait). https://www.monde-diplomatique.fr/mav/175/BREVILLE/62742
- Lire Laurent Cordonnier, « En avant vers le monde d’avant », Le Monde diplomatique, janvier 2021.
- Cf. Matthew Haag, « Manhattan faces a reckoning if working from home becomes the norm », The New York Times, 12 mai 2020.
- Le Monde, 5 janvier 2021.
- Benoît Pouvreau, « La politique d’aménagement du territoire d’Eugène Claudius-Petit », Vingtième Siècle, vol. 79, n° 3, Paris, juillet-septembre 2003.
- Respectivement : Fonds national d’aménagement du territoire, Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, zone à urbaniser en priorité, zone d’aménagement concerté, Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.
Toujours à la pointe du social le patronat a réussi à faire du 1% un petit 0,43%.
Magique non?
Ainsi moins de constructions sociales, maintien la crise du logement et c’est la spéculation qui l’emporte.
Qui gagne sur les deux tableaux?