On ne décrète pas la liberté

Dans l’Histoire, toute situation d’exception génère, mécaniquement, des restrictions aux libertés publiques.

En 2021 la question essentielle n’est pas là. Elle concerne le passé proche et l’avenir (encore) lointain. Le passé proche est celui de 2020: une situation de crise sanitaire majeure a rappelé aux démocraties libérales leur fragilité. Après tout, d’un point de vue démographique, elles ne représentent jamais qu’une minorité à la surface de la Terre. La plupart des êtres humains vivent en régime de démocratie autoritaire ou de démocratie totalitaire. Comme dans les années 30 (1930, pas encore 2030) la manière dont Pékin a utilisé successivement (au début de la pandémie) la censure puis la propagande a paru montrer l’efficacité (sur le court terme) de la mobilisation dictatoriale, face aux incertitudes consubstantielles aux régimes libéraux. Mais le plus problématique n’est pas encore là. Il est dans l’avenir.

Posons deux prémisses : premièrement, dans l’histoire de l’humanité, il n’y a pas de causes, rien que des effets; deuxièmement, l’effet suprême, celui qui rend compte du reste (un reste qui s’appelle ici économie, là culture), est l’effet politique. On ne décrète pas la liberté. C’est affaire de conjoncture, dans l’espace et dans le temps. Et le problème principal, ici, est dans le temps. Si la présente prophétie écologiste est vérifiée, avec son mélange d’anxiété sanitaire et d’angoisse climatique, tout se ramènera, comme dans toutes les sociétés, à une course de vitesse entre les facteurs d’intégration et les facteurs de désintégration. L’hypothèse la plus probable, à ce stade, est que l’ampleur du danger (c’est-à-dire de sa perception), au lieu de conduire les sociétés humaines vers toujours plus d’autonomie et de « participatif », justifiera l’instauration de régimes autoritaires. Et c’est là qu’intervient la variable géographique, autrement dit la culture nationale : le chemin à parcourir sera sans doute un peu plus long pour les Islandais que pour les Nord-Coréens. Notre avenir lointain rejoindrait alors notre passé proche : l’humanité irait « globalement » vers des formes variées de dictature, mais dans l’ordre dispersé des expériences nationales.

Cette hypothèse aura pour beaucoup de lecteurs quelque chose d’attristant. Mais où est-il écrit que le monde aille, de soi-même, vers plus de liberté ? Dans la définition de la démocratie, la souveraineté populaire est suffisante; la liberté n’est pas nécessaire. Bref, comme le disait Renan : « Il se pourrait que la vérité fût triste ».

Évidemment, on le voit, il parlait au conditionnel…


Pascal Ory, Historien – Propos recueillis par Gilles Heuré

2 réflexions sur “On ne décrète pas la liberté

  1. christinenovalarue 19/01/2021 / 7h30

    Hélas, tellement d’accord, nous courrons lentement vers plus de restrictions…
    Pour notre bien, bien entendu !

  2. jjbey 19/01/2021 / 16h55

    Liberté, liberté chérie j’écris ton nom…
    C’est souvent dans le sang qu’elle fut conquise et en la plaçant en tête de notre devise républicaine les révolutionnaires savaient ce qu’ils faisaient.
    A nous de lui conserver cette place.

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