Les qualifiés de « grands hommes » (et même les autres) gagnent toujours une « certaine immunité » à leur décès.
Les diam’s de Giscard
Bangui, 20 septembre 1979.
Débarqués en pleine nuit par des avions et des hélicoptères français, 680 parachutistes d’infanterie de marine déboulent dans la capitale centrafricaine. C’est la double opération Caban et Barracuda, décidée par le président Giscard d’Estaing pour détrôner son « cher parent » le sanglant et grotesque empereur Bokassa Ier.
L’Elysée, qui avait financé, en 1977, la mascarade du sacre impérial, a fini par trouver le dictateur infréquentable, après qu’un massacre d’écoliers a été perpétré par le régime. Les militaires, cependant, ont une autre mission très spéciale à remplir…
Un détachement est chargé de s’emparer des archives de Bokassa et de les mettre en lieu sûr. Les paras les chargent à la hâte dans un hélico et les convoient jusqu’à l’ambassade de France.
Sauf que le ménage a été mal fait.
Une partie des documents se sont égarés dans la nature. Pas perdus pour tout le monde… Le 10 octobre, le Palmipède publie une première lettre de Bokassa datant de 1973, qui lui a été remise par Maurice Espinasse, un haut fonctionnaire français, ex-membre du cabinet de l’« empereur ».
Ce courrier ordonne au Comptoir national du diamant de préparer « une plaquette de 30 carats environ destinée à M. Giscard d’Estaing », alors ministre des Finances. Ce document sera authentifié par Mme Dimitri, l’ancienne secrétaire de Bokassa, interrogée par « Le Point ».
D’autres documents permettent d’attester que deux cousins de Giscard, deux de ses ministres et son conseiller Afrique ont eu droit, eux aussi, à leur lot de carats, sans doute de moindre valeur. Pour toute réponse, l’Elysée publie un communiqué d’ordre général sur les cadeaux officiels, et les interrogations demeurent.
Le 17 octobre 1979, nouvelles révélations du « Canard » : Giscard a également reçu des diamants en 1970 (lors d’un safari privé), puis en 1972 et, enfin, en 1975, à l’occasion de sa première visite officielle comme président de la République
Cette fois, la réponse tarde davantage : le 27 novembre, devant trois journalistes, le Président ne nie pas avoir reçu des diamants mais ergote sur leur valeur en lâchant son fameux et chuintant « J’oppose un démenti catégorique et, j’ajoute, méprisant ».
Pour prouver sa bonne foi, VGE claironne qu’il a remis de « nombreux cadeaux (…) à des oeuvres de bienfaisance [et] à des musées ». Vérification faite, Giscard a bien offert… un vieux tam-tam aux bons pères des Missions africaines, que « Le Canard » rachète alors pour 1.000 francs (150 euros). Mais aucune trace des diams…
Le 11 décembre, le président de la République finit par affirmer à la presse que « les lettres publiées sont des faux ». Dégainé après deux mois de valse-hésitation et d’explications vaseuses, l’argument fait pschitt !
D’autant que Giscard ne conteste toujours pas avoir reçu des diamants. Son explication en toc n’en sera pas moins resservie (des années plus tard, et comme s’il s’agissait d’un fait avéré) par des politiques et des journalistes, qui iront jusqu’à évoquer « un coup monté »…
L’affaire ne cessera plus de coller aux semelles du sortant.
Dès le début de la campagne de 1981, ses affiches électorales sont décorées de gros diamants en papier collés à la place des yeux ! L’initiative en revient à Charles Pasqua et à ses amis du Service d’action civique (SAC).
Bientôt, des militants de gauche lesimiteront, constellant les panneaux du président-candidat d’innombrables petits brillants.
L’effet sera ravageur.
Empêtré dans ses démentis, l’intéressé lance une ultime contre-offensive, à deux mois du scrutin présidentiel.
Le 10 mars, sur TF1, il annonce que les diamants ont été vendus. L’argent récolté, ajoute-t-il, a été remis, « pour l’essentiel », à la Croix-Rouge centrafricaine et, « pour le surplus », à trois bonnes oeuvres.
Dans la foulée, l’Elysée indique que la vente des pierres a rapporté 111.547 francs (soit 48.872 euros, inflation comprise). Ce chiffre est d’autant plus invérifiable que le ratio diamants vendus/diamants reçus reste un mystère, et que la valeur des pierres peut varier, en fonction de leur qualité, d’un facteur 1 à 10…
Pour couronner le tout, le 17 mars, la présidente de la Croix-Rouge centrafricaine certifie par écrit n’avoir bénéficié d’aucun don de l’Elysée !
Le 19 mars, David Dacko, le successeur de Bokassa, vole lourdement au secours de son homologue français : il déclare au « Monde » « avoir reçu [au début de février 1981] du président Giscard d’Estaing un chèque de 2 millions de francs CFA » pour soutenir la Croix-Rouge, soit 40.000 francs français de l’époque (environ 20.000 euros en valeur 2020). Au passage, il admet avoir oublié de transmettre le chèque à son légitime destinataire, mais il assure que celui-ci « reste à sa disposition ».
Fin de partie le 28 mars : le gouvernement Dacko décrète la dissolution de la Croix-Rouge centrafricaine !
Le fameux chèque a dû lui aussi être dissous, car il n’a jamais été retrouvé.
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Grand seigneur, Giscard avait annoncé, en entrant à l’Elysée, qu’il ne poursuivrait pas les journaux qui le critiqueraient. La promesse n’a valu que pour lui.
Après les premières révélations sur les diamants, ses cousins François et Jacques Giscard d’Estaing, épaulés par le bien nommé avocat Angelo Boccara, ont assigné « Le Canard » au tribunal (avec la bénédiction de Élysée).
Le duo a tout d’abord démenti avoir reçu le moindre carat de Bokassa puis a seulement reproché au palmipède d’avoir laissé entendre qu’il s’agissait de remerciements pour services rendus.
Après quelques péripéties judiciaires, les deux cousins ont obtenu, le 23 décembre 1980, 1 franc symbolique de dommages-intérêts chacun.
Même pas le prix d’un très, très petit diamant.
Article non signé. Le Canard enchaîné. 09/12/2020
Merci pour ce rafraichissement de mémoire, car à écouter l’actualité on jurerait avoir rêvé ou vécu dans un autre monde à cette époque. Ce qui ferait douter du bien fondé de nos colères passées.
Broutilles que tout cela à coté de la financiarisation de l’économie qui a coûté des milliards aux entreprises françaises et aux finances de l’état.