Et si …

…Si , le Trumpisme (Républicain) rendait la tache de Joe Biden – Kamala Haris (Parti Démocrate), pratiquement impossible de changer quoi ce soit dans la gestion américaine (ou tellement à la marge) du fait de la présence de sénatrices-sénateurs, majoritairement républicaine dans les diverses assemblées …

La plupart des militants démocrates ont été fort dépités, le 3 novembre 2020, au soir d’un scrutin présidentiel que leur candidat avait pourtant remporté. Pour eux, presque rien ne s’est passé comme prévu. Certes, M. Donald Trump a perdu, mais de justesse, puisque quelques dizaines de milliers de suffrages supplémentaires dans une poignée d’États (la Géorgie, le Wisconsin, l’Arizona, la Pennsylvanie) auraient suffi pour que l’actuel occupant de la Maison Blanche y reste quatre ans de plus.

Ce résultat serré l’encourage à hurler à la fraude pendant que ses partisans les plus exaltés s’en prennent à des machines à voter […] .

Plus inquiétant et plus sérieux pour M. Joseph Biden : 77 % des républicains jugent que son élection n’est pas légitime (1). Le 20 janvier prochain, le président élu devra affronter cette défiance alors que son parti ne sera pas majoritaire au Sénat, qu’il a perdu une dizaine de sièges à la Chambre des représentants et qu’il stagne dans les assemblées des États.

Autant dire que ce mandat démocrate ne bénéficiera d’aucune lune de miel. Et qu’il commence bien plus mal que celui, il y a douze ans, de M. Barack Obama, dont il ne restera pas grand-chose, hormis des discours magnifiques et des Mémoires en deux volumes.  […]

Paradoxalement, c’est donc dans le camp des perdants que l’avenir paraît le plus prometteur. Les adversaires de M. Trump ont imaginé que sa victoire il y a quatre ans était le résultat d’une incroyable martingale électorale, qu’elle exprimait le dernier râle (ou le dernier sanglot) de l’homme blanc, et que sa coalition, où se juxtaposaient des segments déclinants de l’électorat (religieux, rural, âgé), était condamnée.

Inversement, selon eux, la carte démographique rendait irrésistible une revanche démocrate adossée, elle, à une majorité « diverse », jeune et multiethnique. Cet avenir-là n’est plus écrit. Conforté sur ses bases, conquérant sur ses marges, le républicanisme à la mode Trump n’a pas fini d’encombrer la scène.

Le président sortant a métamorphosé le parti dont il s’est emparé ; il est désormais le sien, ou celui de son clan, ou celui des héritiers qu’il aura adoubés.

Pour les démocrates, la déception est immense. Une forme d’abattement et de démobilisation pourrait bien suivre.

 […]

L’existence de deux pays qui s’ignorent ou qui s’affrontent n’est pas une nouveauté aux États-Unis. Et, au temps de la guerre de Sécession, la fracture faisait déjà fi des catégories économiques et sociales. Plus récemment, en 1969, un conseiller du président Richard Nixon, Kevin Phillips, recommanda au Parti républicain, cartes et graphiques à l’appui, de profiter de la « révolte populiste des masses américaines qui, ayant accédé à la prospérité des classes moyennes, sont devenues plus conservatrices. Elles se soulèvent contre la caste, les politiques et la fiscalité des mandarins de gauche de l’establishment (5) ».

À cette analyse qui associait l’hostilité aux impôts de ceux dont le pécule s’arrondit et leur animosité contre une ingénierie sociale dont ils imputent la faute à des intellectuels progressistes, peu respectueux selon eux des préceptes religieux, Phillips ajouta la touche du ressentiment racial. En un mot, les « petits Blancs » du Sud, traditionnellement démocrates, en avaient assez de l’émancipation des Noirs. Et il y avait là, selon lui, un levier que les républicains pourraient activer pour conquérir un électorat populaire.

Celui-ci était a priori hostile aux politiques économiques de la droite, mais « les animosités ethniques et culturelles l’emportent sur toute autre considération quand il s’agit d’expliquer le choix du parti ». Dans une large mesure, la stratégie politique de Phillips a expliqué les réélections de Nixon, de Ronald Reagan et de M. George W. Bush. Elle a également éclairé la présidence de M. Trump.

Toutefois, un discours qui prend pour cibles les experts, la méritocratie, les migrants et les minorités devient électoralement périlleux dans un pays où la proportion d’étudiants augmente et où celle des Blancs se réduit.

Les démocrates ont donc parié que le temps jouait pour eux. En additionnant la quasi-totalité du vote noir, une large majorité des électeurs hispaniques, un petit avantage chez les femmes et des progrès réguliers auprès des diplômés du supérieur, la victoire ne pouvait pas leur échapper.

L’élection de 2020 a eu au moins pour mérite de remettre en cause ce catéchisme identitaire, cette assignation de toute une population à des cases démographiques distinctes, ethniques et politiques à la fois. Car une comparaison des résultats indique que c’est principalement auprès de l’électorat blanc que M. Biden a progressé par rapport au score de Mme Hillary Clinton il y a quatre ans. Et qu’une majorité de ceux qui viennent de voter pour M. Trump a été constituée des suffrages additionnés des femmes et des minorités.

En proportion, on est loin du tremblement de terre d’une élection à l’autre : quelques points par-ci, quelques points par-là. Les républicains triomphent toujours auprès des hommes blancs, surtout quand ils ne sont pas diplômés ; les démocrates, auprès des Noirs et des Hispaniques  […]

 […]

La crise de confiance des États-Unis dans leur système politique aura peut-être au moins l’avantage de les dissuader de l’imposer par la force au monde entier. Quant à la gauche américaine, qui ne sort pas renforcée de ce scrutin (même si son issue l’a rassurée), il ne lui reste plus qu’à mettre en garde le nouveau président contre une politique trop prudente, semblable à celle des démocrates, M. Biden compris, qui ont permis l’élection de M. Trump.


Serge Halimi – Le Monde diplomatique. Titre original : « Amère victoire démocrate ». Source (Extrait)


  1. Sondage du Monmouth University Polling Institute, 18 novembre 2020.
  2. Dana Milbank, « This is not a drill. The Reichstag is burning », The Washington Post, 25 septembre 2020.
  3. Matt Taibbi, Hate Inc. : Why Today’s Media Make Us Despise One Another, OR Books, New York, 2019.
  4. Étude du Pew Research Center, octobre-novembre 2019. Les proportions pour NPR (la télévision publique), CNN et MSNBC sont aussi déséquilibrées en faveur des démocrates ; ABC, CBS et NBC les favorisent aussi, mais moins.
  5. Kevin Phillips, The Emerging Republican Majority, Arlington House, New York, 1969.
  6. Elizabeth Findell, « Latinos on border shifted to GOP », The Wall Street Journal, 9 novembre 2020.

2 réflexions sur “Et si …

  1. jjbey 04/12/2020 / 17h15

    On semble découvrir le bipartisme US, rien de nouveau sous le soleil. A chaque élection il y a un perdant et un gagnant mais à tous les coups le grand vainqueur reste le système capitaliste et ce n’est pas près de changer.

  2. bernarddominik 04/12/2020 / 17h47

    La victoire de Biden pose question sur l’adhésion réelle des américains à son programme: perte de sièges à la chambre des représentants, minorité au sénat , malgré des gains en états et voix. Certains américains auraient ils voté pour Biden mais pour un représentant ou sénateur républicain ? Cela signifierait un refus de Trump mais aussi un refus du programme démocrate.

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