Splendide glissade vers le pire
Il y a deux manières de tenter, littéralement, de reprendre ses esprits, c’est-à-dire de se remettre à penser, après des atrocités comme le meurtre de Samuel Paty ou l’attentat de Nice.
Le faisceau des causes.
En veillant d’abord à ne pas oublier la cause de premier rang :
- Une force théologico-politique violente, stratégique, déterminée à poursuivre un agenda conquérant (peut-être même pourrait-on dire impérialiste) imbibe des désaxés de rencontre, ou arme des fanatiques prêts à tout. Mais en prenant tout autant garde de ne pas nous en tenir à ça, et de nous demander également quelle part nous avons, ou plutôt nos gouvernants ont, de longue date, prise à la fabrication de notre malheur.
- La seconde reprise d’esprit tâche de réfléchir ce que nous sommes en train de faire sous le coup de ces abominations. Et dans quoi, croyant y répondre, nous sommes en train de nous jeter.
Nous étions déjà bien engagés dans le sas, mais le choc terroriste semble nous y précipiter irrésistiblement. Le sas vers quoi ? Le sas vers le fascisme. Nous n’y sommes pas encore, mais tout nous y pousse, à commencer par ceux qui ont été mis là supposément pour nous en prémunir — c’était l’époque du barrage.
L’ennui cependant, avec le « fascisme », c’est d’abord que, comme par une sorte de loi de Gresham, les mauvais usages ont chassé les bons.
Voir venir – mais quoi ?
[…] on n’y est pas encore mais on en prend le chemin. […] Françoise Giroud […] avait vu le risque : « Ainsi commence le fascisme, il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez on dit : c’est lui ? vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on se le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser ». Avec le fascisme, le problème du diagnostic formel c’est qu’avant l’heure c’est pas l’heure, et qu’après… ça ne l’est plus (en tout cas ça n’est plus celle de faire quelque chose pour l’éviter : « dans la gueule »). […]
Orwell avertissait […] qu’il ne faudrait pas se laisser avoir car, quand un fascisme reviendrait, il pourrait fort bien porter chapeau melon et parapluie roulé sous le bras. C’était la version britannique. À la place du chapeau melon et du parapluie roulé, la version française, actuellement en pleine créativité, est en train de mettre ses attributs à elle, tout aussi trompeurs : la « laïcité » et la « république ».
L’« État Français », celui de Pétain, nous avait au moins fait la grâce de la clarté : il avait suspendu la république, de sorte que les choses étaient restées bien en ordre : d’un côté il y avait le fascisme français, de l’autre son contraire — la république. Contre le fascisme, on pouvait invoquer la république. L’exercice présent de vigilance se trouve singulièrement compliqué de ce qu’il a à guetter un fascisme paradoxal : un fascisme revenant dans la guise de son contraire historique. Un fascisme « républicain ».
L’historiographie aura bientôt à documenter cette impressionnante glissade du signifiant « république », passé en quelques années de marqueur incontestable de la gauche à point de ralliement des droites -droites extrêmes, extrême droite, extrême droite de gauche (Valls, le Printemps républicain), toutes les droites.
Le Rassemblement national (RN) peut désormais sans hésiter protester de son parfait républicanisme, faire même de « l’assimilation républicaine la condition indispensable à la cohésion de la nation », et toutes ces choses lui sont accordées avec de moins en moins de réserve — on prendra vraiment la mesure de la glissade historique le jour où le « front républicain », d’abord destiné à contenir le FN-RN, pivotera pour se retourner, RN inclus, et « faire barrage » à Mélenchon.
La République en marche (LR-EM), quant à elle, n’aura pas eu besoin de plus d’un an pour devenir La République Éborgne et Mutile, ni le préfet Lallement, de plus de quelques jours pour renouer avec une belle tradition française, celle de Papon, […] mais n’était finalement … pas si antirépublicaine que ça … en 1961, alors en 2019…
Atmosphère
Mais il y a aussi tout le reste, tout le supplément d’ambiance, car le fascisme commence comme une atmosphère, […] qui se respire et qui s’exhale.
Avouons qu’à lui seul l’état d’urgence sanitaire indéfini, ses privations de liberté sans précédent, sa nouvelle forme d’exercice du pouvoir, qui confine à l’article 16 mais sans même la procédure, fait déjà son petit effet. Ou plutôt ses petits effets, parmi lesquels le pire : la création d’une habitude. Dans laquelle tout le reste vient se couler comme naturellement.
Par exemple Castex, qui n’en peut plus qu’on interroge l’histoire ou qu’on regrette la colonisation. […]
Blanquer également, qui n’en peut davantage et pense fondé de menacer, sans doute bientôt de pourchasser, les pensées qui lui déplaisent — au motif délirant, mais appelé à devenir universel, qu’elles « arment les terroristes ».
[…]
La particularité de Blanquer, toutefois, par rapport à Castex, est qu’il est supposément le ministre du savoir. Malheureusement le ministre du savoir déteste les savoirs, en tout cas ceux qui font savoir des choses que lui ne veut pas voir […]
Darmanin confirme son républicanisme d’époque : après celui du sarkozysme, celui du macronisme — qui ne le voit parfaitement à sa place dans un gouvernement Le Pen ? En tout cas il est indiscutablement l’homme de la situation. De quelle situation ? De la situation […] à savoir : quand ce qui ne peut plus être tenu par le consentement doit l’être par la coercition. Dans un régime qui demande tout à la police — sa survie —, il est logique qu’on accorde tout à la police. On lui accordera donc ce droit à la tranquillité qu’elle réclame à cors et à cris depuis si longtemps, droit de violenter comme elle veut, sans l’angoisse de ces reproches absurdes qu’on vient lui faire régulièrement.
Illiberté, inégalité, infraternité
[…]
En tout cas nous distinguons plus clairement ce qu’il reste de la devise de la république défendue par ces républicains. Liberté ? Les libertés les plus fondamentales sont fermées les unes après les autres ou en voie de fermeture : liberté de manifester sinon au péril de sa vie ou de son intégrité physique, liberté intellectuelle de l’université gravement menacée, liberté d’informer amputée des images d’exactions policières. C’est-à-dire finalement libertés d’expression — du dissentiment politique, de la pensée, et de l’information — écrasées, comme il se doit, au nom de la-liberté-d’expression. […]
Républiques du pire
[…] on ne voit que […] la république qui conduit à la non-république, à la manière de Les Républicains appelant au démantèlement du droit républicain, et des Républicains En Marche vers la démolition, pièce par pièce, de la république. Un régime prend sa place dans l’histoire avec et par des images.
Le macronisme occupe d’ores et déjà la sienne avec un lot exceptionnel d’images effarantes. Pas seulement celles des yeux crevés et des bras en lambeaux, mais aussi celles des lycéens de Mantes agenouillés, ou de journalistes mis en joue par des LBD, et, depuis ce matin, celle des carnets de correspondance contrôlés par des policiers en armes.
Et tous ces braves gens se croient bien certains de pouvoir tenir le haut du pavé moral. Ils parlent comme l’extrême droite, vont faire connaître leurs pensées dans des hebdomadaires d’extrême droite, ou sur des chaînes d’information continue d’extrême droite. Et c’est cela qui, non seulement prétend s’appeler « la république », mais voudrait faire baisser la tête à tous les autres.
Que nous n’y soyons pas encore [dans un fascisme dictatorial] n’empêche pas que nous voyions assez bien vers quoi ces « républicains » nous emmènent. Et toutes leurs éructations, toutes leurs saturations de l’espace médiatique, n’empêcheront pas non plus de redresser en conséquence les distributions de la honte. La honte, deux fois la honte, pour ceux qui liquident la république au nom de la république.
Frédéric Lordon. Le blog du monde diplomatique. Titre original : « Cap au pire ». Source (Extrait -Très court) Nous vous invitons à prendre connaissance de l’intégralité de cet excellent article détaillant précisément le processus qui nous emmène vers le fascisme ou à devoir changer de constitution. MC
- Notable exception faite, tout de même, pour les « antifa » qui se tapaient (c’est le cas de le dire) le bruit de fond des Identitaires dans la rue…
- M. Darmanin lors d’un congrès du syndicat policier Unsa-Police, le 10 septembre 2020.
- Lire François Bonnet, « Apologie du terrorisme : les familles d’Albertville disent leur stupéfaction », Médiapart, 9 novembre 2020.
C’est vrai que c’est très inquiétant de voir une escalade qui se réalise subrepticement en se servant de la peur qu’ils distillent au rythme du virus et du terrorisme: à petites doses mois après mois. Et bien sûr que nous sommes responsables, collectivement, pour avoir cracher sur nos droits, sur le vote, sur les droits syndicaux…pour avoir systématiquement refuser le débat sincère et fait obstruction à toute réforme sous prétexte juste de manifester, sans idées, sans réflexion profonde, refuser tout consensus. 68 était légitime mais il a donné l’impression qu’il suffisait de jeter des pavés pour se faire entendre. Et lorsqu’il n’y a plus qu’une seule voie, voix…difficile d’obliquer sur des sentiers que les gens ne voient pas…
Pour nous helvètes qui voyons ça « d’à côté », quelle sidération d’assister impuissant/es à cette dérive mortifère !
Bonjour Jeanne et merci pour vos commentaires venus de Suisse.
Nos quelques amis suisses résidents dans les cantons de Vaud, Valais, Genève, ou Berne, auraient-ils omis de nous parler des problèmes rencontrés dans les cantons proches du nord de l’Italie ou de l’Autriche ?
Bien évidemment à aucun moment ne nous deviendrait l’idée d’une quelconque réprobation envers nos amis helvètes. d’autant que nous avons fort à faire déjà de notre côté dans notre pays la France.
En toute cordialité
Michel
Questions de cantons frontaliers… covid ou non il y a des frictions entre l’europe et cette ile grise qu’est l’helvetie
Cordialement
Dernier recours du système capitaliste la dictature en est aussi le fruit. Non? Qui a financé Hitler? L’anticommunisme est son crédo et les français suivent largement se défendant des idées de classe, ignorants des réalités générées par ce système pour maintenir la loi du fric au pouvoir.