Transmettre l’esprit critique, la liberté de s’exprimer et de débattre, des valeurs communes qui forgeront les citoyens de demain : la mission confiée à l’école est primordiale encore faut-il ne pas les laisser les profs seuls .
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L’assassinat de Samuel Paty, le professeur décapité à Conflans-Sainte-Honorine, a touché les enseignants en plein cœur. C’est l’un des leurs qui est tombé.
De retour en classe, ils vont devoir accueillir les réactions des élèves et mettre des mots sur ce terrible drame. Débattre, encore et toujours. « J’espère ne pas avoir affaire à des élèves qui diront que Samuel Paty n’aurait pas dû montrer des caricatures de Mahomet et que sa mort est méritée », anticipe Clémentine.
Appréhension renforcée par les attentes politiques qui pèsent sur un monde de l’éducation déjà sous pression : « J’ai reçu une vague de mails de l’inspection, de la rectrice, de Jean-Michel Blanquer , témoigne Julien, professeur d’histoire-géo. Ça disait en gros qu’un de nos frères était tombé parce qu’il défendait les valeurs de la République et que nous étions les nouveaux hussards noirs. »
Voilà les enseignants sommés de défendre la liberté d’expression bafouée, d’aborder le fait religieux sans tabou, de porter haut le principe de laïcité. De garantir rien de moins que la capacité des futurs citoyens à vivre ensemble.
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Comment transmettre la liberté d’expression, promouvoir l’esprit critique et la capacité de débattre après la tragédie de Conflans-Sainte-Honorine sans exacerber les tensions ?
Un des réflexes à chaud consiste à recourir à des actions coups de poing, pour ne rien céder au djihadisme, comme afficher les caricatures de Mahomet. Mais « si nous exhibons ces caricatures dans toutes les classes le 2 novembre, je crains que ça entraîne une fuite de certains élèves vers l’enseignement hors contrat privé confessionnel », avance un bon connaisseur du système qui préfère rester anonyme.
En même temps, trop de précautions tue l’action.
« On est dans un régime émotionnel individuel qui paralyse les relations sociales. On a tellement peur de blesser l’autre que les choses se figent. C’est à l’école de se débrouiller avec ça… eh bien, bon courage ! » lance Christophe Prochasson, ancien recteur de l’Académie de Caen.
C’est donc un exercice d’équilibriste qui est aujourd’hui confié à des enseignants dont la formation pratique reste le maillon faible.
Comment s’y prendre, concrètement, dans une salle de classe ? « La première des choses, quand on aborde avec eux la liberté d’expression, c’est… de les laisser s’exprimer ! Il faut entendre ce qu’ils ont à dire pour, si nécessaire, les placer face à leurs contradictions, insiste Marie, professeure de philosophie dans un lycée de Lorraine. Sans dialogue, l’exercice est vain. » Il est perçu comme une sorte de catéchisme républicain, abstrait, détaché d’eux-mêmes. C’est la langue de l’autorité.
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Ne pas heurter les convictions religieuses des élèves ?
Ce n’est pas l’assurance que dans l’intimité des familles le propos tenu en classe ne soit déformé, comme l’illustre tragiquement le drame de Conflans-Sainte-Honorine. Et on sait à quel point la relation entre l’enseignant et les parents de ses élèves a évolué, à mesure que la place du premier dans la société perdait en prestige. […]
Un motif d’amertume récurrent du corps enseignant : ne pas se sentir soutenu par sa hiérarchie
Et quand la situation s’envenime ? C’est arrivé à Juliette, une professeure de français dans un collège des Yvelines qui, à sa plus grande surprise, a reçu une volée de mails incendiaires. « De façon totalement infondée, une mère voilée m’y accusait d’être intolérante et menaçait de créer un groupe de parents pour se plaindre de moi au rectorat. J’ai eu peur qu’elle m’affiche sur les réseaux sociaux !
J’en ai fait part à ma principale, qui m’a dit “Madame, dans notre métier il faut savoir avaler son chapeau.” J’ai insisté, elle a fini par nous réunir dans son bureau – triste coïncidence, le matin même de l’assassinat de Samuel Paty. Mais à aucun moment, ma principale n’a fait mention des menaces que j’avais reçues. Il y a parfois des raisons d’être découragé… »
C’est un motif d’amertume récurrent du corps enseignant que de ne pas se sentir soutenu par sa hiérarchie lorsque des élèves ou leurs parents basculent dans une logique d’affrontement. Il serait temps que l’institution épaule vraiment, voire protège, ses enseignants…
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Marion Rousset et Marc Belpois Télérama. Titre original : « Après l’assassinat de Samuel Paty, les profs meurtris s’arment de dialogue ». Source (Extrait)
Ce n’est pas avoir du courage que d’enseigner la République, c’est le travail des enseignants. Le courage c’est celui de ne pas renoncer à le faire devant les menaces et de dénoncer celles-ci pour ce qu’elles ont: des manœuvres fascistes. Exiger que les propagateurs de ces menaces soient sanctionnés est la moindre des choses et relève des pouvoirs régaliens de l’ETAT. La moindre des choses est que les enseignants soient formés et que l’article I de notre constitution soit l’instrument premier de leur éducation pour qu’il le devienne de leurs élèves. On n’exigera pas du par cœur mais de l’explication de texte autour du nécessaire débat qui fera appel à l’intelligence fasse à l’obscurantisme. On opposera la démocratie au fascisme, la solidarité et l’amour à la haine.