Qu’est-ce qui nous pousse à nous occuper des autres ?

Selon un sondage CSA, 58 % des Français ont déjà eu une activité bénévole. Ils citent de nombreuses motivations : se sentir utile pour la société, améliorer les choses, faire des rencontres… Et si les raisons d’adhérer à une association étaient plus profondes, plus inconscientes ?

  • Par tradition familiale

Chez certains, l’engagement fait partie de leur ADN.

Anne, 47 ans, qui fut sapeur-pompier volontaire pendant trois ans, avant de passer le concours de sapeur-pompier professionnel, établit explicitement le lien avec sa mère : « Infirmière, elle a toujours été aux petits soins pour nous. C’est sûrement cela qui m’a donné envie de soigner les gens, de leur porter assistance ».

Pour le psychiatre et psychanalyste Thierry Delcourt, « l’inscription dans la tradition familiale est rassurante. Suivre une voie toute tracée évite de se poser des questions sur ses « vraies » aspirations, assure l’auteur de Quand la crise devient une chance (Eyrolles). En épousant les valeurs de nos parents, on leur reste loyal : on ne remet pas en cause leur éducation. Aucun risque, ainsi, de les décevoir. »

  • Une puissante gratification narcissique

Lêtre humain « existe » à travers sa vie sociale. « Venir en aide à d’autres comble ce besoin psychologique fondamental d’utilité, d’appartenance au groupe et de reconnaissance », explique Rébecca Shankland, psychologue clinicienne, spécialiste des compétences socio-émotionnelles et auteure, avec Christophe André, de Ces liens qui nous font vivre (Odile Jacob).

Michèle, 58 ans, le reconnaît : « Toute ma vie, je me suis sentie complexée vis-à-vis de mon mari médecin. Mère au foyer, j’ai fini par douter de moi-même. Quand j’ai entendu parler des Blouses roses, cela a fait tilt. Avec le recul, j’ai réalisé que raconter des histoires aux enfants hospitalisés me permettait de mettre un pied à l’hôpital et d’avoir moi aussi des choses à raconter le soir sur la vie d’un service, d’utiliser les bons mots pour décrire une maladie… J’ai d’ailleurs cessé cette activité peu de temps après notre divorce. »

  • Pour canaliser ses angoisses

« Je vivais en colocation avec d’autres jeunes de mon âge, qui me ressemblaient : ils étaient hyperactifs, avec un métier intéressant. Mais il me manquait l’essentiel, se souvient Aliénor, 28 ans, responsable de communication. C’est pour répondre à cette quête de sens que je me suis mise à accompagner des jeunes porteurs de handicap au sein de l’association A bras ouverts ou à distribuer des cafés aux sans-abris avec Macadam Café. Je me sentais toujours frustrée avec une envie de vivre la relation à un autre niveau. Alors, j’ai contacté l’association Lazare, qui développe des colocations, partagées à parts égales par des jeunes actifs et d’anciennes personnes sans domicile fixe. Depuis, je me sens plus en paix, moins « fragmentée ». »

Une confidence qui ne surprend guère le psychiatre : « Aller vers les autres permet d’échapper à soi-même. Cela calme notre « intranquillité » existentielle face à la béance du « vide » : qui suis-je ? Où vais-je ? La promesse de vivre des relations authentiques est un antidote contre la peur de vieillir, de mourir, mais aussi contre la crainte de vivre une vie routinière. »

Rébecca Shankland y voit même un moyen efficace de prévenir la dépression : « De nombreuses études ont montré le caractère essentiel du sentiment de maîtrise dans son quotidien. En s’engageant dans ce qu’il voudrait changer, le bénévole a le sentiment d’avoir un peu prise sur le monde qui l’entoure, au lieu d’éprouver la triste impression de subir. »

  • Notre sentiment de culpabilité est atténué

De nombreuses études en psychologie ont aussi établi un lien entre le sentiment de culpabilité et la recherche de réparation à travers des comportements altruistes. « Certaines personnes décident inconsciemment de porter un fardeau qui ne leur appartient pas, observe le Dr Thierry Delcourt : elles sont convaincues, à tort, d’être responsables d’un comportement qui a porté préjudice à autrui ou prennent sur elle la « faute » d’un ancêtre, comme un inceste ou la collaboration. En s’occupant des autres, elles cherchent ainsi à alléger le poids de ce fardeau. »

Alexandra, 51 ans, s’est engagée auprès de l’association Valentin Haüy comme « donneuse de voix » lorsque sa grand-mère de 90 ans, qui dévorait les livres, a perdu la vue. Elle se sentait inconsciemment coupable de cette perte, qu’elle n’avait pas vue venir. « Pour restaurer une image plus positive d’elle-même, la personne peut chercher à venir en aide à d’autres, eux aussi victimes de souffrances ou d’injustices », note Rébecca Shankland.

  • Après le traumatisme, la reconstruction

Pauline, 30 ans, ex-professeure de tennis, amputée de la jambe gauche après avoir été fauchée par un chauffard, se persuade que son accident doit avoir une utilité. « A cause d’un nonagénaire, qui n’était plus apte à conduire, trois vies ont été brisées, la mienne mais aussi celle de deux autres piétons, ne décolère pas la jeune femme. C’est aussi pour eux que je me bats aux côtés de la Sécurité routière. Moi qui ne me suis jamais intéressée à la politique, je multiplie les réunions à l’Assemblée nationale pour que soit mis en place un test d’aptitude tous les deux, cinq ou dix ans, pour tous les conducteurs ».


Valérie Josselin- hors-série hebdo – le Dauphiné Libéré. 01/11/2020