Pourquoi cette occultation ?

Pourquoi tant de gêne à parler de la Sexualité des seniors ? Mais non … la vie, dans le sens le plus large du terme, n’est pas finie avec la prise de retraite, contrairement à bien des idées toutes faites et véhiculées par certains médias jusqu’au gouvernement en ces temps de pandémie … Ces vieux qui « encombrent » les lits de réa ou que l’on a oublié dans les Ehpad … Ils existent et entendent vivre pleinement la vie !

Abstinents, les seniors ? Pas tous ! La sexualité du troisième âge reste pourtant tabou. De plus en plus d’Ehpad et d’hôpitaux s’emparent peu à peu du sujet pour permettre aux aînés de vivre leurs amours dans la dignité.

Veste bleu nuit sur chemise lavande « à col italien », cheveux gris savamment plaqués sur le côté, Louis est du genre à se mettre sur son trente et un en toute circonstance, y compris pour honorer ses rendez-vous sur Skype. Ce logiciel, il ne l’a pas découvert pendant le confinement du printemps — « l’un de mes petits-fils m’y a initié il y a trois ans, en même temps que Facebook et Meetic ». Depuis, le retraité a étendu le champ de ses explorations numériques… et amoureuses, avec des applications de rencontre dédiées aux gens de son âge : DisonsDemain, ou Élite Rencontre Senior.

Car Louis a 78 ans, et ce qu’il appelle des « envies de jeune homme » : « J’ai perdu mon épouse à l’âge de 69 ans, j’ai longtemps porté le deuil, j’aimerais profiter un peu du temps qu’il me reste pour faire des rencontres. Voire plus, si affinités. Et il y en a, parfois. Bref, je m’amuse ! »

« Fermer boutique en bas », comme l’actrice Jane Fonda décida de le faire à l’aube de ses 80 ans ? Le septuagénaire parisien, qui n’a pas de compagne attitrée mais plusieurs partenaires occasionnelles, n’y songe pas un instant. Et il n’est pas le seul !

Publiée dans la revue américaine Archives of Sexual Behavior et réalisée par l’Université de Manchester sur plus de sept mille sujets de Sa Majesté âgés de plus de 70 ans, une étude de 2015 établissait que 54 % des hommes et 31 % des femmes interrogés revendiquaient une sexualité encore active.

Si les chiffres étonnent, c’est qu’ils témoignent d’une réalité que l’on ne montre jamais (et donc qu’on ne voit pas), y compris dans le domaine culturel ; rares sont, par exemple, les films, séries ou romans mettant en scène la passion charnelle d’octogénaires.

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Passé l’âge de la procréation (jusqu’à leur quarantième année pour les femmes, jusqu’à 55 ans pour les hommes, fixe Platon dans La République), il convenait, des siècles durant, de s’abstenir en Occident.

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Au XXIe siècle, le fossé entre les deux sexes est loin d’avoir disparu… « Les soucis exprimés par mes patients ne sont pas les mêmes : les femmes craignent de ne plus être désirables, tandis que les hommes s’inquiètent surtout de n’être plus performants », résume Caroline Baclet-Roussel.

La psychiatre Véronique Lefebvre des Noëttes exerce au sein de l’unité de gériatrie de l’hôpital Émile-Roux de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), tout en délivrant, depuis une vingtaine d’années, des formations sur le thème de la sexualité du grand âge.

À destination du personnel hospitalier, mais aussi d’adhérents de mutuelles ou d’associations de retraités. « Je laisse des boîtes à questions anonymes, parce que les gens ont généralement honte de prendre la parole spontanément. La préoccupation numéro un des hommes, c’est de pouvoir avoir des érections. Et j’en trouve toujours un ou deux dans l’assemblée pour reprocher à leurs compagnes de ne plus les exciter assez. Les besoins des femmes continuent de passer au second plan. »

La pharmacopée destinée à pallier les pannes de désir en dit long sur la question. Commercialisé en France en 1998, le Viagra (puis ses formes génériques) a soigné les dysfonctions érectiles de centaines de milliers d’hommes.

Mais en 2020, on attend toujours l’autorisation de mise sur le marché hexagonal de la flibansérine et de la bremelanotide, deux molécules qui, aux États-Unis, sont prescrites pour doper la libido des femmes… « Pourtant, le sexe, c’est le plus vieil anxiolytique du monde ! Et ça dure jusqu’au bout de la vie, au moins en fantasme ! » assure Véronique Lefebvre des Noëttes. 

En milieu hospitalier, elle observe que « ce surgissement pulsionnel de la vie, quand il se manifeste, a longtemps été perçu comme un trouble du comportement, voire une déviance, par les personnels soignants » : « Ce n’est pas le cas, mais il faut trouver des moyens pour que ces envies puissent s’exprimer dans le respect de la dignité de chacun. […]

Les Ehpad sont confrontés aux mêmes enjeux. Psychologue, Marie Rolland exerce depuis une douzaine d’années dans une maison de retraite en Gironde. « Il n’y a pas si longtemps, dans beaucoup d’établissements, quand des couples se liaient, on cherchait à tout prix à les séparer. Parce que les soignants et la direction ne voulaient pas devoir rendre des comptes aux familles, qui s’en mêlaient inévitablement, mais aussi parce que les équipes étaient gênées, voire dégoûtées, d’avoir accès, malgré elles, à l’intimité d’autrui. » De fait, rappelle le philosophe Bertrand Quentin, « on n’a pas envie de se représenter ce que pourrait être la sexualité de ses parents ou de ses grands-parents ».

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Pour Marie Rolland, un autre défi de taille attend les Ehpad, avec l’allongement de la vie et l’explosion des troubles cognitifs : la question du consentement. « Certaines pathologies neurodégénératives désinhibent les malades : il faut toujours s’assurer que leurs partenaires consentent à leurs gestes et marques d’intérêt. »

Quand on leur demande leur avis sur les assistants sexuels, ces bénévoles formés pour assouvir les besoins charnels des personnes âgées dépendantes, et qui opèrent légalement dans plusieurs pays européens (Suisse, Belgique, Pays-Bas…), la moitié de nos interlocuteurs bottent en touche, et les autres n’y sont pas franchement hostiles. En France, la pratique reste assimilée à de la prostitution, et la mise en relation par un tiers, à du proxénétisme. Officiellement, donc, ça n’existe pas. Officiellement… Car dans les faits, il arrive qu’on les sollicite. […]


Émilie Gravoille. Télérama. Titre original : « Sexualité des seniors : pourquoi tant de gêne ? » – Source (Extrait)


2 réflexions sur “Pourquoi cette occultation ?

  1. fanfan la rêveuse 11/10/2020 / 12h05

    Bonjour Michel,
    Effectivement un tabou. Cela me fait penser aux enfants qui s’imaginent que les parents après leurs naissances dorment tranquillement. Notre société serait elle infantine ?
    Sur ce sujet il y a encore beaucoup de travail afin de rendre « normal » la possibilité pour nos aînés d’en parler librement 😉
    J’ai vu cette émission sur les assistants sexuels, il n’y a pas longtemps. Dans un premier temps j’ai été surprise mais après tout.

    A partir du moment que chaque personne est consentante, il est ou le problème !

    Bon dimanche Michel

    • jjbey 12/10/2020 / 14h20

      L’âge ne ternit en rien les envies et pourquoi ne pas les vivre dans le respect de l’autre qui veut les partager? L’amour, lui, n’a pas d’âge et le faire fait partie des libertés intouchables.

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