Attention : rabattage à ciel ouvert.

Des gamines seraient entre cinq et huit mille adolescentes, parfois très jeunes, à se prostituer en France. La journaliste Clarisse Verrier démonte la mécanique d’un fléau ravageur.

Des gamines seraient entre cinq et huit mille adolescentes, parfois très jeunes, à se prostituer en France. La journaliste Clarisse Verrier démonte la mécanique d’un fléau ravageur.

Fléau invisible mais ravageur, la prostitution des adolescentes connaît ces dernières années une préoccupante envolée, en témoigne le nombre croissant de dossiers dont sont saisis police et tribunaux. En France, en quatre ans, les affaires de proxénétisme sur mineurs ont été multipliées par six ; pour la seule ville de Paris, on comptait soixante-dix procès en 2018, contre dix en 2013. Longtemps considéré comme marginal, le sujet est désormais jugé assez préoccupant pour que le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, lance un groupe de travail sur le sujet.

[Différentes enquêtes dont celle] de Zone interdite – [27/09/2020 -M6] éclaire opportunément le phénomène, mettant en lumière ses engrenages et sa mécanique insidieuse, dans le sillage d’adolescentes paumées et de parents désarmés.

Pendant un an, Clarisse Verrier a approché, questionné et écouté quelques-unes de ces toutes jeunes filles, certaines à peine sorties de l’enfance, prises au piège, en même temps qu’au jeu, d’une prostitution dont elles refusent le mot, lui préférant l’emballage plus glamour d’ « escort ». Patiemment, au gré des errances chaotiques des adolescentes, et en essuyant de nombreux lapins, elle a cueilli leurs témoignages « à chaud », attrapé la parole à la volée. Pour tenter de comprendre « ce qui se passe dans la tête et dans le corps de ces gamines qui sont le plus souvent dans le déni ».

« Ces adolescentes refusent de se voir comme des victimes, et revendiquent le droit de faire ce qu’elles veulent avec leur corps, observe la journaliste. Elles sont dans une illusion de liberté et d’émancipation, souvent entraînées par des copines et prises dans des phénomènes de bande, où les garçons sont des proxénètes en même temps que des copains, voire des petits copains. Tout est poreux entre eux, ce qui rajoute à l’ambiguïté, les filles devenant parfois à leur tour rabatteuses. II faut malheureusement qu’il y ait des violences, parfois des séquestrations, pour qu’elles sortent du déni et acceptent de porter plainte. »

Elle-même mère de trois ados, Clarisse Verrier raconte avoir pris la mesure, au fil d’échanges avec les magistrats et responsables d’associations, de ce « phénomène sociétal où se mêlent l’influence d’Instagram, de Snapchat et de YouPorn, l’impact de la télé-réalité, les fantasmes d’argent facile, et une nouvelle forme de criminalité née dans les cités et prospérant grâce au numérique. C’est une prostitution dont on a changé le marketing, en la maquillant sous le terme d’ « escort » mais dont les tenants et les aboutissants restent les mêmes: une fille, un client, un proxénète.»

Les observateurs pointent le rôle majeur des réseaux sociaux et des sites de petites annonces tarifées dans cette nouvelle marchandisation de corps juvéniles. « Ils ont rendu très facile le passage à l’acte, et permettent aux proxénètes de recruter et d’agir de manière extrêmement mobile, éphémère, sans laisser de traces », explique Me Margaux Bourbier, qui a eu à défendre récemment plusieurs adolescentes.

L’avocate souligne également « la banalisation du sexe pour cette génération YouPorn, désacralisé au point de considérer qu’une fellation dans les toilettes du collège ou du lycée n’est pas un acte sexuel ».

Un cocktail désinhibant auquel s’ajoute aussi l’effet Zahia, « escort girl » devenue célèbre après avoir vendu ses charmes à des footballeurs. « Par sa trajectoire et sa notoriété, elle a contribué à une glamourisation de la prostitution, en même temps qu’elle alimente les fantasmes de célébrité», observe Arthur Melon, secrétaire général de l’association ACPE (Agir contre la prostitution des enfants).

Comme le souligne un rapport de l’Observatoire des violences faites aux femmes, publié en 2019, le phénomène s’épanouit la plupart du temps sur un terreau de souffrances et de fragilités individuelles : sur les cinq mille à huit mille mineures qui se prostitueraient en France (dont un tiers ont moins de 15 ans), 89 % auraient été victimes de violences au sein de leur foyer. « Certes, il y a souvent un contexte d’instabilité familiale, de précarité sociale, mais parmi les derniers dossiers que j’ai eu à défendre, il y avait des jeunes filles qui avaient grandi dans un milieu stable et plutôt aisé, sans difficultés particulières », nuance Margaux Bourbier.

« On parle beaucoup de proxénétisme des cités, comme s’il s’agissait uniquement d’un problème de pauvres et de quartiers sensibles, mais c’est faux. Nous voyons des familles de toutes les classes sociales confrontées à ce problème », souligne de son côté Arthur Melon.

Face à un fléau en expansion, la prévention reste l’arme essentielle, alerte le responsable de PACPE.

« Une fois que les adolescentes sont tombées dans l’engrenage, c’est très difficile de les en sortir ». Et de rappeler que, depuis 2001, la loi prévoit pour chaque classe d’âge, dans les écoles, les collèges et les lycées, au moins trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle. « Des interventions qui doivent apprendre aux enfants à dire non, à savoir prendre soin de leur corps, à respecter celui des autres, mais aussi, par exemple, à démonter les stéréotypes de la pornographie, rappelle Arthur Melon. Malheureusement, faute de moyens et de personnes formées, cette action de prévention n’est que très faiblement menée… »


Virginie Félix – Télérama – N°3689


7 réflexions sur “Attention : rabattage à ciel ouvert.

  1. laurent domergue 29/09/2020 / 12h57

    Où et qui devrait on frapper …?!!!

  2. jjbey 29/09/2020 / 21h45

    On devrait frapper là où ça fait mal, c’est à dire armer les jeunes pour qu’ils refusent cette gangrène sociétale. Former des éducateurs en nombre suffisant pour que la raison dépasse les exactions sexuelles. Des moyens il y en a et il faut les utiliser.

  3. Swannaëlle 29/09/2020 / 23h42

    Qu’elle tristesse ! 😢

  4. EB 30/09/2020 / 6h54

    Tout à fait vrai et j’ai été confronté à ce phénomène lorsque j’ai géré un hotel sur le nord de Paris . Les weekends ces jeunes filles arrivaient avec la complaisance de certains employés pour « arrondir leur fin de mois » selon elles … et lorsque confrontées à des questions de notre part, ou de la Police également, elles se disaient libres de l’utilisation de leur corps …. j’en garde un triste souvenir …

    • Libres jugements 30/09/2020 / 16h10

      Bonjour et merci pour cet apport contribuant à la réflexion …
      J’ai le souvenir de ce que racontait quelquefois (rarement au demeurant) notre père professeur de dessin dans les lycées-collèges voilà plus d’une trentaine d’années déjà d’avoir signalé l’absence pendant plusieurs semaines de quelques adolescentes de son cours de dessin … et de les voir revenir quelque temps après habiller comme des princesses mais entourées par des assistantes sociales … aux dires du père elles étaient fières de leurs exploits devant toute la classe étalant l’argent qu’elles avaient gagné en si peu de temps.
      Les semble que cette forme de prostitution a malheureusement trouvé un certain développement de nos jours.
      En vous souhaitant une bonne journée
      cordialement
      Michel

  5. fanfan la rêveuse 30/09/2020 / 8h36

    Bonjour Michel,
    Quel triste constat ! Moi aussi j’ai regardé ce documentaire. 12-13-14 ans, voila le début de cette dérive.
    Mais pourquoi ses jeunes vivent elles cela ? Internet et le manque de surveillance des parents est l’erreur.
    Combien de parents j’entends dire « je fais confiance à mon ado » belle erreur messieurs dames !! Il ne faut jamais cesser de veiller, de les mettre en éveil face aux risques du web, leur expliquer « la vie ».
    Combien de parents expliquent l’amour à leurs enfants, des dires d’une gynéco à ma fille, surprise qu’elle était « éduquée », plus de parents ne font cela, pensant que ceci est de la découverte de leurs enfants… 2020, vous vous rendez compte, quelle régression !
    Bonne journée Michel

    • Libres jugements 30/09/2020 / 16h02

      Bonjour Françoise,
      Il y a certainement mille et une explications à cette dérive de la jeunesse concernant cette prostitution qui ne dit pas son nom mais qui est belle et bien à dénommer comme telle; comme il y a autant d’explications à la dérive de l’utilisation des différents stupéfiants (drogue, alcool), tout autant que la vulgarisation de la pornographie au plus jeune âge, de l’extorsion de fonds, aux vols caractérisés … une jeunesse à la dérive …
      Oui il y a certainement mille une explication à cette dérive … et quelque part, comme père, j’ai contribué à cette dérive qui s’est poursuivie avec mes enfants devenus parents …
      tout le monde dira que c’est l’évolution normale de la société … nous avons donné à nos enfants ce que nous n’avons pas eu … sauf que nous leur avons appris à vivre avec la marchandisation, l’individualisme, l’envie des vitrines supers achalandées, des possibilités de gagner en ne respectant pas la loi, des sommes que leurs parents peinent à récolter en une année …
      Oui je sais ce n’est pas le cas tout le monde … et fort heureusement d’ailleurs … mais combien de parents se sentent responsables de cet état de fait ?

      Comme tous les parents c’est un sujet qui tient à cœur … de là à avoir la solution …
      Avec toute mon amitié
      Michel

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