La commune proclamée

… Mais non … fausse joie peut-être … juste un instant de lecture ! MC

Vingt-huit mars. Quatre heures. Je suis au beau milieu de mon article. Je n’ignore pas qu’au même instant, la place de l’Hôtel de Ville est en fête. On proclame officiellement la Commune. Mais l’article I Il faut rester…

Boum… Un coup de canon… Je dresse l’oreille… Faut-il reprendre le porte-plume…

Vite ! Vite à la place de Grève.

C’est en courant que je descends la rue Montmartre. Rue de Rivoli, aussi loin que porte le regard, ce ne sont qu’uniformes, drapeaux qui flottent, baïonnettes qui scintillent.

Les musiques jouent à plein cuivre.

Dix, vingt, cent bataillons sont là, défilant, disparaissant dans la mer multicolore qui déferle sur la place de l’Hôtel de Ville.

Les beaux bataillons ! Les mêmes que nous avons vus revenir jadis, pendant le Siège, couverts de boue, harassés, sentant la défaite.

Comme ils sont pimpants aujourd’hui, astiqués et remis à neuf !

Les tambours luisent et résonnent. Ce n’est plus la générale, lugubre et voilée, de la nuit de l’entrée des Prussiens, mais un roulement clair, sonnant aux oreilles comme un cri de victoire. Les cuivres éclatent en notes stridentes. Et ces bouches grandes ouvertes, hurlant La Marseillaise 1 Ces drapeaux rouges frangés d’or, et, au bout des fusils, comme des gerbes de fleurs, des cocardes de rubans rouges !

Les trottoirs sont envahis. En habits de fête comme en un jour de Pâques ou de 15 Août (on n’a pas encore inventé le 14 Juillet) le bourgeois, qui deviendra féroce plus tard, est lui-même entamé. Bras dessus, bras dessous, il marche avec le populo, dans un de ces irrésistibles élans d’enthousiasme que le soleil n’a point éclairés depuis la grande Fédération.

Regardez-le bien, ce brave homme, au teint fleuri, qui se fera dans deux mois dénonciateur, comme il rayonne ! Il abandonnerait, comme ses aïeux de jadis, ses privilèges, et déchirerait peut-être ses titres de rente pour en bourrer son fusil. La contagion l’a saisi, et il exulte. Sur la place de l’Hôtel de Ville, quand il sera en face de cette Commune, coiffée d’un bonnet phrygien et ceinte de l’écharpe rouge, il l’embrasserait, la gueuse, s’il l’osait !

Nous approchons à tout petits pas. Nous voici à l’avenue Victoria.

La veille encore, je suis allé à l’Hôtel de Ville. Il paraît transfiguré.

Hier, des barricades, des canons, des sentinelles qui vous interrogent avec défiance. Pour traverser la place, il faut suivre un à un, à travers une étroite trouée ménagée dans les pavés, le sentier que veillent jalousement les gardes, le fusil chargé. Une rangée de mitrailleuses défend la façade. Aux fenêtres, des groupes de fédérés. L’Hôtel de Ville a l’aspect d’une forteresse.

Tout est changé aujourd’hui. Plus de grands airs belliqueux. Plus de barricades, plus de sentinelles. Couvrant la grande porte du milieu, cachant le Henri IV de bronze (celui-là même qu’a recueilli le musée Carnavalet) une large draperie rouge, sur laquelle se détache un buste de la Commune. Au-dessous, une estrade vêtue de pourpre et d’or. Des drapeaux à toutes les fenêtres, des groupes suspendus à tous les balcons, et, là-haut, immobile, voilant le soleil qui le traverse de flèches brillantes, le drapeau rouge, arboré dès le lendemain de la victoire de Montmartre. Les toits sont couverts de curieux. De hardis gamins ont escaladé les corniches et enfourché sans vergogne les épaules des statues. Les réverbères ressemblent à des grappes humaines.

Dans le lointain s’agitent les étendards des bataillons, la hampe coiffée du bonnet rouge. Drapeaux rouges et tricolores. Cette journée est celle de la réconciliation. Cent mille hommes sont là, ennemis hier, alliés aujourd’hui, dont les cœurs battent à l’unisson.

La foule crie, chante, hurle, mugit. Que chante-t-elle ? La Marseillaise ! Que crie-t-elle ? Vive la Commune ! Elle hurle comme la tempête et rugit comme la mer. Dans ses éclairs de silence, on entend les notes des cuivres qui éclatent, vibrantes, les tambours qui battent, les ordres jetés d’une voix sonore.


Extrait de « Mes Cahiers Rouges ». Auteur: Maxime Vuillaume. Édition « La Découverte ». 730 p. 15,50 €.


2 réflexions sur “La commune proclamée

  1. bernarddominik 20/09/2020 / 12h08

    Un des rares témoignages sur la commune de Paris. L’anti Thiers et Mac Mahon, pris pour origines de la république par Macron, le but de Thiers et Mac Mahon n’était pas une république mais la restauration de la royauté, que finalement De Gaulle a fait avec la cinquième république,qui n’est qu’une royauté élective. La commune portait les vrais valeurs de la république. Une république des citoyens, non confiscable par une minuscule minorité, les hauts fonctionnaires, téléguidée par quelques grandes fortunes, ceux qui n’en ont jamais assez.

  2. EB 20/09/2020 / 12h59

    Eh oui … l’histoire se répète comme à l’accoutumée et nous pouvons entendre un murmure de révolte qui se dessine doucement parmi les différentes strates de notre société … Semblerait-il que le grondement est en marche ?

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