Naitre pauvre …

En France, 3 millions de mineurs vivent dans une famille pauvre.

Ces enfants ne peuvent pas s’habiller correctement, manger bio, s’acheter des livres ou avoir un vélo. Exposés quotidiennement à la pub, aux fringues de marque et aux belles vacances des jeunes de leur âge, la honte les submerge et la colère les ronge.

Or, comme récrit l’économiste Denis Clerc, « la plupart du temps, naître dans une famille pauvre implique par la suite de grandir dans une famille pauvre »(1)

Les amis de l’OCDE se sont posé une question rigolote : combien de temps faut-il à un enfant pauvre pour rejoindre le niveau de vie médian, c’est-à-dire 1.700 euros par mois? Dix ans? Vingt ans? Une vie? Perdu! Près de deux siècles.

En moyenne, il faut six générations pour que les enfants pauvres rejoignent la toute petite classe moyenne, celle qui tire le diable par la queue (2).

Au pays des droits de l’homme, lorsque vous croisez une personne pauvre, il y ‘a une chance sur deux pour qu’elle ait moins de 30 ans, et seulement une sur dix pour qu’elle ait plus de 60 ans (3). Tous les mois, de jeunes travailleurs versent un loyer à de vieux rentiers, qui pensent être «des retraités ordinaires, sans plus», mais qui, avec leurs 3.000 ou 4.000 euros de revenus et leur absence de charges – pas de gosses à la maison, pas de loyer à payer, pas de frais liés au travail, habits, transport… -, sont parmi les plus aisés.

Le phénomène « OK boomer» l’a bien identifié : la génération née autour de 1945, aujourd’hui âgée de 75 ans, a connu un gain de qualité de vie incomparable par rapport à la génération précédente : logements confortables, journées passées au bureau et plus dans les champs ou à l’usine, soins médicaux, voyages à l’étranger, bagnole, ciné, etc. Cette période, qui n’avait jamais eu d’équivalent auparavant, ne se reproduira pas, en raison des limites physiques de la planète. Pour les «jeunes» de 18 à 35 ou 40 ans, l’avenir est bouché : logement cher, chômage de masse, dégradation des relations de travail. Impossibilité de construire sa vie, de fonder une famille.

En sciences sociales, c’est ce que l’on appelle un «effet de génération » : les vieux ne sont pas riches parce qu’ils sont vieux, mais parce qu’ils ont eu le gros coup de bol de naître à la bonne époque. Les jeunes de maintenant savent qu’ils ne pourront atteindre le niveau de vie de leurs parents lorsqu’ils auront leur âge, ce qui alimente de légères tensions autour du gigot du dimanche. Cet écart béant entre les trois ou quatre générations qui se côtoient actuellement conduit certains à penser que la «lutte des âges» aurait remplacé la «lutte des classes ». Mais la ficelle est un peu grosse : il y a bien plus en commun entre Bernard Arnault et ses fistons chéris qu’entre ces derniers et la femme de ménage de leur âge qui astique leur domicile. Les jeunes, comme les vieux, ne sont pas un groupe social – au contraire des riches.

La solution est connue : partager les immenses richesses de notre pays, et donner du boulot à tous par la transition écologique. Choses plus qu’aisées en raison de l’épargne surabondante chez nous et de la capacité qu’a l’État d’emprunter sans verser d’intérêts. Mais la France est dirigée par des hommes – Macron, Philippe, Le Maire – incapables d’imaginer un avenir, ni même d’ailleurs un présent, pour tous les moins de 40 ans.


Jacques Littauer. Charlie hebdo. 01/07/2020


  1. « Le drame de la pauvreté des enfants» (Alternatives économiques, décembre 2017).
  2. « Ascenseur social en France : l’OCDE sonne l’alarme» (La Tribune, 15 juin 2018).
  3. « Comment la France met sa jeunesse en jachère» (Les Echos, 9 avril 2019).

5 réflexions sur “Naitre pauvre …

  1. gerardleplessis 05/07/2020 / 14h44

    Bonjour Michel,
    Cet article est intéressant. Il est effectivement très difficile de passer d’un niveau social au niveau supérieur.
    Par contre, il me semble qu’on constate un net tassement qui fait que le niveau moyen tend vers les niveaux inférieurs et que, dans le même temps, les plus riches sont de plus en plus riches.
    Bonne journée
    Gérard

    • bernarddominik 05/07/2020 / 19h46

      Oui je suis tout à fait d’accord avec ce commentaire, la part de valeur ajoutée donnée aux salariés a baissé alors que celle donnée aux actionnaire a augmenté. Les députés pourraient voter une loi qui impose une répartition plus juste de la valeur ajoutée. Là est un des problèmes, pas les retraités qui ont cotisé et épargné. D’ailleurs reprocher aux retraités d’avoir investi dans l’immobilier alors que l’état n’a jamais cessé d’y offrir des avantages fiscaux est absurde, reprochez à l’état son incohérence, pas aux retraités d’avoir été prévoyants . Les journalistes relaient le discours anti retraités de Macron. Discours qui lui coûtera peut-être sa réélection.

  2. bernarddominik 05/07/2020 / 16h50

    Mon grand-père était bûcheron, mon père a abandonné ma mère avant ma naissance, j’ai été élevé dans une HLM. J’ai fait mes études, non pas en fonction de mes goûts, mais des possibilités de travail et de revenu associé. J’ai travaillé 44 ans dans le privé, jamais été chômeur, je n’ai eu ni héritage ni aide de ma famille ou de quiconque. J’ai travaillé parfois 60 heures dans la semaine, si je compte ce que j’ai payé en taxes impôts cotisations, ma retraite n’est rien.
    Certes j’ai placé mes économies, quand certains allaient au club Med. Et aujourd’hui, ou effectivement j’ai une retraite correcte et loue une maison, on veut me faire la leçon, j’exploiterais les jeunes!
    Mes enfants gagnent mieux leur vie que moi, et j’en suis très heureux, et ils payent taxes impôts cotisations comme moi en mon temps, pour financer les aides sociales et leurs futures retraites.. Dire que l’ascenseur social ne marche plus est idiot.
    Je connais pleins de jeunes de l’âge de mes enfants, de même milieu social, qui effectivement galèrent, mais ils ont choisi la voie facile: faire des études qui ne débouchent sur rien, ou même ne pas en faire, rechercher un travail tranquille, et râler de ne pas gagner assez. Il n’y a pas de travail tranquille bien payé, à part la fonction publique.
    A vouloir culpabiliser ceux qui en leur temps ont financé la politique sociale de ce pays, en même temps que leur retraite est idiot et scandaleux.
    Cela encourage la destruction de notre système social, car s’il n’y a que des allocataires, ça ne peut pas marcher. Le vrai problème est ailleurs, c’est l’incapacité (ou le refus) de l’état à calculer les bénéfices réels, ce qui bloquerait l’évasion fiscale

  3. bernarddominik 05/07/2020 / 16h52

    L’effet génération n’existe pas

  4. jjbey 06/07/2020 / 11h28

    Même dans la fonction publique on travaille Bernard, et souvent plus qu’ailleurs mais je ne veux pas rentrer dans ces conneries qui ne servent qu’à diviser les travailleurs en laissant croire qu’il suffit de lever le doigt pour y entrer.

    Le vrai problème c’est que tout le monde ne s’appelle pas Fillon et des emplois à rien faire à 5.000€ par mois personnellement je ne connais pas.

    Les richesse créées sont accaparées par une minorité qui ne règne que par la division de ceux qui les créent.
    Prolétaire de tous pays unissez vous……..

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