Frédéric Bizard (*) – Covid, mon analyse

Préambule : amis lectrices lecteurs nous vous rappelons que l’article, son analyse, appartient à l’auteur et à lui seul. Comme d’habitude il est diffusé dans le sens où il faut reconnaître tous les tenants, aboutissants, analysent, afin d’avoir le maximum d’éléments pour se faire une idée personnelle. MC

Avec près de 29.000 décès à fin mai [2020], officiellement recensés victimes du Covid-19, la France se positionne en 5e position mondiale en termes de densité de décès par million d’habitants (440). Seuls la Belgique, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie font pires que nous. Nous pourrions avoir un piètre bilan sanitaire pour avoir fait des choix priorisant la vie économique et sociale, mais ce n’est pas le cas.

Avec deux mois de confinement strict sur tout le territoire et un déconfinement très progressif, le bilan économique et social risque lui aussi d’être parmi les plus mauvais des pays développés. Les indicateurs du premier trimestre font de la France le pays le plus impacté avec une baisse de 5,3 % du PIB contre une moyenne de – 3,8 % dans l’Union européenne au premier trimestre. Le deuxième trimestre montrera un recul du PIB jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Quelques atouts malgré ce bilan négatif

La France dispose d’une médecine de haut niveau qui a été à l’origine de nombreuses premières médicales en chirurgie, en cardiologie et dans bien d’autres domaines. Cette excellence médicale fait de la France un des pays qui disposent d’une des meilleures qualités de soignants médicaux et paramédicaux au monde. Globalement, cette qualité se retrouve dans toutes les spécialités, même si elle est beaucoup plus développée en médecine curative que préventive.

Malgré la crise sociale larvée depuis plusieurs mois, la couverture hospitalière du pays reste assez dense et plus de 95 % des Français ont un service d’urgence à moins de 30 min. La crise a montré une sous-utilisation de la capacité médicale des territoires due à une gestion administrative irrationnelle plutôt qu’à un véritable déficit d’offre médicale.

Enfin, la plupart des Français en vie aujourd’hui ont grandi avec une Sécurité sociale qui les a protégés face à tout risque de paupérisation en cas de dépenses coûteuses de santé. Cette base solidaire forte du financement de la santé en France a été précieuse pendant la crise. Aucun citoyen n’a eu de problème d’accès financier aux soins engendrés par le Covid-19. Ceux-ci peuvent se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers d’euros lors de longs séjours en réanimation, entièrement remboursés par l’Assurance maladie.

Un dogmatisme étatique doublé d’une incurie bureaucratique

La gestion des masques de protection résume à elle seule l’incurie administrative dans la gestion courante des activités de santé (par exemple, le stock stratégique composé de produits majoritairement périmés), d’une part, et son incapacité à réagir à la hauteur des enjeux, d’autre part. Comme on l’a constaté régulièrement au cours des précé­dentes crises sanitaires (H1N1, Mediator…), la faiblesse de l’organisation administrative sanitaire rend le pouvoir politique très fébrile en santé en France.

La comparaison avec l’Allemagne pour la gestion de cette crise sanitaire a révélé une France centralisée, bureaucratique, lente, inadaptée à la situation et une Allemagne décentralisée, réactive, pragmatique et adaptée. Par exem­ple, alors que les compétences en virologie sont proches des deux côtés du Rhin, la France a tant tardé à labéliser les tests PCR que la stratégie basée sur un dépistage massif des personnes, un traçage rigoureux des contacts et un isolement strict des cas a été impossible à instaurer.

L’État  français a pensé procédure, exclusivité pour le secteur public, notoriété universitaire plutôt qu’efficacité. Le résultat est sans appel : l’Allemagne à fin mai déplore 4 fois moins de décès par million d’habitants (102) malgré une population plus âgée que la population française. En plus, l’Allemagne n’a pas eu à confiner aussi strictement et longtemps que la France, ce qui lui permettra d’être moins impactée économiquement et socialement.

L’État et ses fonctionnaires raisonnent d’abord secteur public, laboratoire public et hôpital public. Dans le Grand Est, certains malades graves ont été transférés dans d’autres régions, voire en Allemagne alors que des établissements privés de Strasbourg, Nancy pouvaient les accueillir.

Une défaillance systémique de l’organisation de la santé en france

Outre l’inadaptation de l’appareil étatique, qui n’est pas exclusive à la santé, notre système sanitaire n’a pas été conçu pour répondre aux principaux enjeux démogra­phiques, épidémiologiques et technologiques auxquels font face tous les pays développés. La France a construit un système de soins mais pas un système de santé. Les ressources sont à 98 % orientées vers la prise en charge de la personne malade, mais ne se préoccupent pas de la bonne gestion du capital santé des 78 % de Français qui ne souffrent pas d’affections de longue durée.

La France ne considère la santé que comme un centre de coûts et pas de bénéfices pour la société. L’offre de soins est donc gérée comme un centre de coûts dont il faut raboter les dépenses chaque année pour respecter le fameux ONDAM voté annuellement par le Parlement. La France n’a ni stratégie ni réelle politique de santé, c’est-à-dire une réflexion politique et sociétale sur l’organisa­tion des activités visant à promouvoir, réparer et entretenir la santé des Français.

Cette crise a montré toutes les limites d’un système porté par une logique curative quasi exclusive. La raison principale du confinement collectif en France, comme en Espagne et en Italie, est liée à l’incapacité des systèmes à organiser une stratégie de maîtrise de la contamination d’un individu à l’autre. C’est bien l’incapacité de protéger les populations bien portantes par défaut d’une organisation fiable de santé publique qui a conduit à ce moyen médiéval du confinement pour protéger l’appareil hospitalier curatif.

Une réponse politique, « le Ségur », qui ne vise que l’apaisement social de court terme

Plutôt que de rebondir de cette crise sanitaire par un inventaire exhaustif des failles révélées par la crise, le gouvernement a installé dans la précipitation des négociations salariales à l’hôpital public pour répondre aux reven­dications des soignants. Si la revalorisation salariale est une des solutions pour redynamiser l’attractivité des hôpitaux publics, qui a été largement dégradée depuis 20 ans, elle ne suffira pas tant le management, l’organisation du travail et les propositions de carrière ne répondent pas aux aspirations des nouvelles générations.

Au mieux ce Ségur, qui se limite à l’hôpital public, apaisera pour quelques mois le climat social dans ce seul secteur. Mais rien n’est moins certain tant le rapport de force est déséquilibré, et le gouvernement s’y prend mal sur la forme comme sur le fond. Quel que soit le résultat, les leçons à tirer de la crise Covid illustrent que c’est une réforme systémique dont la France a besoin pour reconstruire un système de santé performant et à la hauteur de nos ambitions et de nos capacités.

La crise a été un révélateur de l’état réel de notre système de santé. L’Institut Santé, créé en 2018 pour réfléchir à la reconstruction de notre système de santé, a mis en évidence les principaux axes de refondation (1). Outre la crise économique et sociale qui va succéder à la crise sanitaire, la France doit sortir de cette crise par le haut pour les générations futures en réarmant le pays de politiques publiques fortes dans plusieurs secteurs dont la santé et la transition écologique.

La crise serait alors un accélérateur de l’histoire et redonnerait une chance à la France et à l’Europe pour être à la hauteur des attentes des peuples. Certaines initiatives comme le Ségur de la santé ne conduisent pas à l’optimisme alors que d’autres, comme le plan de relance de l’Union européenne, vont dans le bon sens.

C’est aussi aux citoyens de se mobiliser dans les prochaines semaines pour proposer des solutions d’avenir et mettre la pression sur les pouvoirs publics pour agir.

2022, c’est demain !


Article lu « dans la revue de la MTRL » n° 106 – Juin 2020


(*) Frédéric Bizard économiste, spécialiste de la protection sociale et de la santé

  1. « Et alors ! La réforme globale de la santé, c’est pour quand ? », Ouvrage collectif de l’Institut Santé, Fauves Éditions (sortie nov. 2020).

3 réflexions sur “Frédéric Bizard (*) – Covid, mon analyse

  1. bernarddominik 04/07/2020 / 17h32

    Il faut lire le livre du professeur Perronne « il y a t il une erreur qu’ils n ‘ont pas commise  » c’est sidérant. Ça repose clairement la question de la corruption dans Santé publique France dans le conseil scientifique et dans les ministères

  2. jjbey 04/07/2020 / 18h18

    100.000 lits supprimés avec les postes qui vont avec et on se retrouve en difficultés pour recevoir les patients atteints du Covid19. Mais c’est normal, il fallait faire des économies!
    Tellement d’ailleurs que les stocks de masques n’ont pas été renouvelés! Mais c’est normal puisque ça ne sert à rien de se protéger avec un masque! Non ? obligatoire aujourd’hui?
    Bon alors si vous le dite …

  3. tatchou92 04/07/2020 / 19h00

    Le chiffre de décès à domicile, dus au Covid 19 n’est toujours pas publié à ce jour, que craint-on ?

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