L’homme qui pérore

Dans ses allocutions solennelles à la télévision, souvent Macron a fait long, trop long.

Cette fois, pour sa quatrième prestation d’affilée depuis le début de la pandémie, c’est le contraire qu’on peut lui reprocher. Pas d’avoir veillé en 19 minutes à un discours moins long, mais d’avoir été un peu court sur le fond.

Dessin de Lefred Thouron – Le Canard Enchainé – 17/06/2020

Après cette « première victoire contre le virus », moins de style général en chef mais plus de généralités ! Plus de vert, d’« indépendance », de «solidarité », pour passer à la suite, et cette « nouvelle étape » nécessitera du «ressort ». Il en faudra, dans le monde d’après-déconfinement, pour prendre le « nouveau chemin », dont le tracé est encore loin de la précision d’une carte d’état-major. On sait seulement qu’il est censé mener à une « reconstruction » qui sera garantie « souveraine, écologique, solidaire et sociale »… Veiller à ne pas fâcher qui que ce soit, et, pour les précisions, prière d’attendre juillet et la prochaine intervention !

Quant aux déjà-fâchés, comme les policiers avant de s’être finalement vu restituer l’usage de la « prise d’étranglement » jusqu’à la rentrée, ils ont eu droit, en guise de première consolation, « au soutien de la puissance publique et à la reconnaissance de la nation ». Les intéressés n’en voudront pas non plus à Macron de s’être, à propos du racisme, contre lequel il sera «intraitable », prudemment gardé de faire la moindre mention des écarts reprochés à la police en matière de discriminations.

Les manifs à ce sujet ont même semblé, dans la foulée, être réduites au « séparatisme » et au « communautarisme », autres dérives racialistes, à l’heure où il faut de l’« unité autour de la République ». Et pas seulement dans nos contrées !

Il se veut aussi l’artisan d’« une Europe qui dit « nous », qui n’est plus une addition de « je » ». Même si le Macron qui dit : « Nous avons bien fait » a beaucoup l’air de penser « je » pour s’en féliciter. Pour être le porteur de bonnes nouvelles dans un déconfinement qui, en matière de popularité, a jusque-là plus profité à Matignon qu’à l’Élysée.

D’où le ton pas seulement patriotique, mais aussi teinté d’optimisme appuyé. « Nous allons donc pouvoir retrouver le plaisir d’être ensemble. » Mais aussi celui de « reprendre pleinement le travail ». « Pleinement » est peut-être un rien exagéré.

Vu les faillites, les plans sociaux et l’ampleur annoncée du fracas économique et social qui risque de succéder sans tarder à la crise sanitaire, on augure déjà par centaines de milliers ceux qui n’auront pas le plaisir de retrouver leur emploi. Ou ceux qui seront mis en demeure de « travailler davantage » et d’accepter de gagner moins pour le conserver.

Sur ce point aussi (même sur cette sarkozerie revisitée) Macron s’est attaché à ne pas dépasser le stade des généralités. A répéter que l’État veillera à sauver les entreprises et à aider les plus précaires. Et à se targuer de régler l’addition sans « augmenter les impôts » mais d’abord en demandant aussi de « produire davantage ». Il va, quant à lui, devoir sans tarder produire des arguments davantage détaillés pour expliquer comment il entend y arriver.

Ce sera pour sa prochaine prestation. Et, vu la quantité de précisions à apporter, nul ne lui en voudra de faire long.


Erik Emptaz. Le Canard enchaîné du 17/06/2020


2 réflexions sur “L’homme qui pérore

  1. jjbey 21/06/2020 / 21h24

    19 minutes pour ne rien dire, quand on est chef d’état c’est vraiment une performance qu’il renouvèlera certainement car ses amis ne cèderont rien, « les jours heureux » c’est pas pour maintenant, le fric est toujours maitre ……………….

  2. tatchou92 22/06/2020 / 15h51

    Il n’y a pas plus sourd que celui et ceux qui ne veulent pas entendre la colère des Hospitaliers, des Enseignants, des Personnels des Ehpad, des policiers, des Chômeurs, des Retraités, des Etudiants, des familles, des mal logés, de toutes les victimes professionnelles et familiales du Covid 19, des déçus de la « concertation de Ségur », de l’Environnement, des Français, qui n’attendent pas le grand soir, mais des actes concrets et immédiats..

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