Il vise la Lune.

Le boss de SpaceX et de Tesla, à la fois ramenard et rude, conduit ses affaires à la vitesse d’une fusée.

Elon Musk – Dessin de Kiro – Le Canard Enchainé – 10/06/2020

C’était il y a cinq ans, lors d’un congrès rassemblant le petit monde du spatial à Washington, en présence des pontes d’Arianespace, de la Nasa et de Boeing. Le voilà qui monte, très relax, à la tribune en jean-tee-shirt : « Salut à tous, je m’appelle Elon Musk, je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes tous morts. » Sourires, crispations dans la salle. Non mais c’est qui, ce gus?Ah oui, Musk. T’es mignon, le ticket d’entrée, ici, c’est des paquets de milliards et des décennies de boulot.

Cinq ans plus tard, SpaceX est la première société privée à envoyer, associée à la Nasa, deux astronautes dans l’espace. Il a révolutionné le marché du lancement des satellites de télécoms en proposant des prix bradés, fabrique les plus puissantes fusées du monde et se propose de transporter l’humanité sur Mars quand la guerre inévitable avec l’intelligence artificielle aura rendu la Terre invivable.

Après avoir bouleversé le monde des systèmes de paiement (PayPal), il bouscule celui du secteur automobile (Tesla), prétend connecter le cerveau des humains à ceux des ordinateurs, rendre le langage humain obsolète (Neuralink) et ringardiser à jamais le TGV (train Hyperloop).

La vie est un gigantesque Far West, et Elon Musk déambule au centre du saloon en faisant tourner ses colts. Qu’on ne vienne pas lui chercher des crosses. Défis, provocs en tout genre, il n’arrête jamais. La SEC, le gendarme de la Bourse américaine, l’accuse d’avoir diffusé des tweets trompeurs destinés à doper le cours de l’action Tesla et saisit la justice ? Il rigole, paie l’amende de 20 millions de dollars, récidive, explique tranquillou qu’il n’a « aucun respect pour la SEC ». Imposer des règles boursières, manquerait plus que ça.

  • Guerre des étoiles en Amazon

Les droits des salariés, c’est quoi cette bonne blague ? « Vous ne venez pas samedi ? Inutile de venir lundi !» peut-on lire à l’entrée de son usine SpaceX. On ne moufte pas, chez Elon Musk.

Un journaliste invité dans une usine Tesla en l’absence du boss se souvient de la quasi-terreur qu’inspirait aux troupes le bureau de Musk, pourtant vide. Sa fidèle assistante s’est fait virer à la vitesse du son pour avoir osé demander… une augmentation.

« C’est un type qui n’a même pas de numéro deux ! C’est sûr, Musk ne fait pas de prisonniers », rigole un chef d’entreprise de la French Tech. Les autorités californiennes, il s’en bat les rétrofusées.

En plein confinement, il décide la réouverture de son usine de Fremont, qualifie les mesures sanitaires de « fascistes », tweete : « Free America NOW ! » Des élus démocrates se braquent, il menace alors de délocaliser ses usines au Texas, obtient l’appui de Trump, avec lequel il avait pourtant pris quelques distances après la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris.

Jeff Bezos, devenu son concurrent pour la fabrication des alunisseurs pour la Nasa, fait désormais l’objet d’attaques en règle. Musk a tweeté la semaine dernière : « Il est temps de briser Amazon. » Son réseau de satellites est accusé par de nombreux chercheurs, dont Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), de pollution lumineuse rendant inutilisables de nombreux clichés, d’importants dégâts écologiques, de risques accrus de collisions spatiales. Il hausse les épaules. T’es qui, toi ?

  • A fond sur les fonds publics

Il se décrit comme « anarchiste », ne perd jamais une occasion de critiquer l’intervention publique. L’Etat, c’est le diable. En 2008, il est essoré : Tesla ne convainc pas, les fusées de SpaceX ne décollent pas, ses banques le lâchent. Et là, miracle, coup de fil de la Nasa lui proposant un contrat de 1 milliard de dollars de partenariat pour ses fusées. Le revoilà sur ses pieds. Merci qui ?

« C’est un libertarien autoproclamé, qui a su très bien profiter des largesses de l’État, pas seulement des fonds de la Nasa, mais aussi de généreuses subventions pour le solaire », rigole une pointure du spatial.

A la tête d’une fortune estimée à 40 milliards de dollars, entre deux soirées en boîte de nuit, il prend soin de son image. Un joint lors d’une émission de radio pour jouer les bad boys, une caricature dans « Les Simpson » pour montrer qu’il a le sens de l’humour, une amitié médiatisée avec Clooney pour faire comprendre qu’il n’est pas qu’un vilain trumpiste. Faut plaire à tous les investisseurs.

Profitant de la puissance de son énorme fusée, il a même balancé une Tesla dans l’espace. L’un de ses ex-collaborateurs, Kevin Brogan, balance : « Tout ce qu’il fait, il le fait vite. Il pisse vite, il est comme une pompe à incendie,- trois secondes et c’est fini. »

Oh, my God !


Anne-Sophie Mercier. Le Canard enchaîné. 10/06/2020