Curieuses manipulations

Le gouvernement l’avait annoncé, Bercy l’avait planifié : les dettes de la Sécu accumulées depuis des décennies devaient être totalement remboursées en 2024.

Raté ! Invoquant la facture du Covid, le gouvernement va de nouveau charger la barque : le 8 juin, l’Assemblée a commencé à examiner un projet de loi censé alourdir de 136 milliards (excusez du peu !) le montant des ardoises dévolues à la Cades.

Quèsaco ? Créée en 1996 par Juppé, la Caisse d’amortissement de la dette sociale est chargée, comme son nom l’indique, de combler le trou de la Sécu. Pour ce faire, elle ponctionne chaque année quelque 16 milliards de CSG et de CRDS sur tous les revenus.

A sa fondation, la dette à rembourser s’élevait à 45 milliards d’euros, et tout devait être réglé en 2009, année de sa disparition programmée. Las ! depuis, les gouvernements de droite comme de gauche y sont allés de bon coeur, et, au fil des ans, le fardeau de la Cades a atteint 260 milliards.

Le petit cadeau d’aujourd’hui l’alourdit de plus de moitié ! Depuis une loi organique votée en 2005, prolonger la durée de vie de la Caisse était pourtant interdit. Qu’à cela ne tienne : le gouvernement va en faire voter une nouvelle, annulant l’ancienne et repoussant l’échéance à 2033. Jusqu’à la prochaine rallonge ?

Le virus a bon dos : sur les 136 milliards transférés, plus du tiers (50 milliards) correspond à des ardoises n’ayant rien à voir avec le Covid : déficits antérieurs à l’épidémie et reprise du tiers de la dette des hôpitaux, décidée en novembre 2019. Ces 136 milliards risquent pourtant de se révéler insuffisants. Ils doivent aussi, en effet, éponger les déficits de la Sécu jusqu’en 2023, soit 92 milliards.

Comment cette prévision a-t-elle été établie ? Mystère : le projet de loi n’est accompagné d’aucune simulation chiffrée. Or, si l’on tient compte du déficit minimal déjà prévu par Bercy pour 2020, il ne restera que 40 milliards pour couvrir les déficits de la Sécu jusqu’en 2023. Espérons que la reprise sera rapide !

Bonjour la nouvelle taxe

Seule certitude : l’opération va se traduire, pour les contribuables, par un surcroît de taxes. D’abord, ils ne récupéreront pas, en 2014, la CSG et la CRDS attribuées à la Cades et devront les payer pendant neuf ans de plus. Ce n’est pas rien : cette ponction représente 20 % de l’impôt sur le revenu !

Ensuite, il va falloir financer la dépendance, la nouvelle « cinquième branche » de la Sécu. Elle coûtera, selon les prévisions, plus de 6 milliards en 2024, et plus de 9 en 2030. Les stratèges du gouvernement avaient trouvé une solution indolore : rediriger vers cette œuvre de solidarité la moitié des ressources de la Cades, laquelle aurait dû achever sa mission en 2024. Il va falloir trouver autre chose. C’est-à-dire une nouvelle taxe.

Conformément à la promesse gouvernementale, la sortie de crise est bien partie pour se faire sans augmentation d’impôt !


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. Titre original : « Le virus bricole les comptes sociaux ». 10/06/2020


Une réflexion sur “Curieuses manipulations

  1. jjbey 13/06/2020 / 23h13

    Les pillards sont toujours en poste et les recettes les mêmes ce seront encore une fois les plus modestes qui paieront.

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