Le feuilleton N. D. de Paris – 8

Reconstruction : avec quels sous ?

Presque 1 milliard d’euros !

Pour être précis, 922 millions. Le 15 octobre 2019, six mois après l’incendie de Notre-Dame, le ministre de la Culture, Franck Riester, livre à la presse le montant global de la souscription nationale pour la restauration de la cathédrale.

Un élan de générosité sans précédent dans l’histoire du mécénat français. L’essentiel de cette somme provient des « grands donateurs », c’est-à-dire les milliardaires français et autres boîtes du CAC 40.

C’est François-Henri Pinault, le président de la holding familiale et du groupe de luxe Kering, qui a dégainé le premier, avec un don de 100 millions d’euros.

Son rival, le PDG du groupe de luxe LVMH, Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, a suivi et a doublé la somme : 200 millions d’euros.

Le groupe L’Oréal et la famille Bettencourt, principale actionnaire de la marque de cosmétiques, ont aussi mis la main au portefeuille : 200 millions.

Total figure aussi dans le peloton de tête, avec 100 millions d’euros.

Réunis en urgence, « les membres du comité exécutif ont estimé que, compte tenu de la taille de [l’]entreprise, cette proposition était équilibrée », souligne Jacques-Emmanuel Saulnier, le directeur de la com’ du pétrolier. Marc Ladreit de Lacharrière, Olivier et Martin Bouygues, Decaux, Engie, les cinq principales banques françaises… et même les collectivités territoriales y sont allés de leur écot. Anne Hidalgo, la maire de Paris, candidate à sa succession, a promis 50 millions d’euros au nom des contribuables parisiens ; Valérie Pécresse, 10 millions au nom de la région Ile-de-France.

Ce n’est plus le loto du patrimoine mais le loto de Notre-Dame !

BOURDE.

Au lendemain de l’incendie, le débat a failli dégénérer. Certains ont dénoncé « tout ce fric » promis pour Notre-Dame, alors qu’il y a tant de pauvres !

D’autres se sont émus de la difficulté pour les petites églises de province à trouver des subsides pour leurs réparations. Même Notre-Dame ne faisait pas recette. « Malgré les nombreuses visites organisées dans les combles, le bedeau de la cathédrale n’avait pas réussi à ramasser plus de 60 millions d’euros pour la réfection de la toiture, constate un patron catholique. Il a fallu cette tragédie pour que les dons affluent. »

Las, le 16 avril 2019, les propos maladroits de Jean-Jacques Aillagon abîment l’image des philanthropes. Alors que la cathédrale est encore fumante, l’ex-ministre de la Culture de Chirac, devenu conseiller de François Pinault, évoque l’idée de réduire l’impôt de 60 à 90 % des dons versés.

Son objectif : mobiliser les fonds le plus rapidement possible. Une sacrée bourde.

Le public en déduit que Notre-Dame va devenir une niche fiscale pour ultra-riches ! La polémique est aussi dévastatrice que l’incendie lui-même… « Pas question de faire porter la charge au contribuable », rectifie aussitôt Pinault, histoire de couper court à la controverse provoquée par Aillagon.

Dans la foulée, le conseiller trop bavard est exfiltré d’Artémis, la holding familiale des Pinault. Une victime collatérale de l’incendie… Regrettant « la petitesse et la jalousie dans l’air », Arnault, de son côté, est obligé d’expliquer que son don de 200 millions d’euros ne sera pas défiscalisé pour des raisons légales.

La loi sur le mécénat prévoit une réduction d’impôt de 60 % du montant des dons au titre de l’impôt sur les sociétés, pouvant monter à 90 % pour les trésors nationaux. Le gouvernement a préféré ne pas appliquer cette exemption à Notre-Dame.

LVMH n’aurait de toute façon pas été bénéficiaire de cette mesure. La multinationale du luxe avait déjà atteint le plafond autorisé par la loi. En effet, la réduction d’impôt ne peut dépasser 0,5 % des bénéfices réalisés en France.

Les autres mécènes en ont donc été privés aussi.

SURPRISES.

Promettre est une chose, allonger l’argent en est une autre. Nommé par Emmanuel Macron à la tête de l’établissement public chargé de la reconstruction, le général Jean-Louis Georgelin est le seul, avec le ministère de la Culture, à tenir la comptabilité. Et, là, surprise !

Lors de son audition devant la commission de la Culture du Sénat, le 22 janvier 2020, le général annonce que « 180 millions d’euros » ont été encaissés. Soit un cinquième seulement des dons promis.

Explication : chaque grand donateur a signé une convention avec l’une des quatre institutions habilitées par l’Etat à prendre part à la souscription nationale, à savoir la Fondation Notre-Dame, la Fondation du patrimoine, la Fondation de France et le Centre des monuments nationaux.

Aux termes de ces conventions, les mécènes ont versé l’argent nécessaire aux travaux d’urgence de consolidation de la cathédrale. Mais le reste doit être payé au fur et à mesure de l’avancée des travaux, sur facture.

Deuxième surprise, plus dérangeante : une partie des promesses de dons est partie en fumée ! Alors que Franck Riester annonçait 922 millions d’euros le 15 octobre 2019, ses services ont constaté, le 31 décembre, que le montant n’atteignait plus que 864 millions d’euros.

Pourquoi cet écart ? Dans son audition au Sénat, en bon général, Georgelin a commencé à déminer le terrain. « La souscription nationale ne finance pas les travaux des abords de la cathédrale, a lâché le président de l’établissement public. La loi dit que les donateurs donnent pour la restauration de Notre-Dame, le monument. Ils ne donnent pas non plus pour les aménagements liturgiques à l’intérieur de la cathédrale. »

Voilà donc l’origine de l’évaporation des millions.

Anne Hidalgo a aussi revu ses ambitions. Plutôt que de donner 50 millions d’euros pour la restauration du monument, l’édile compte les affecter au réaménagement du parvis de Notre-Dame et du square Jean-XXIII. C’est son droit.

Après tout, la cathédrale est propriété de l’Etat, tandis que le parvis appartient à la Ville. « Anne Hidalgo réfléchit à supprimer le parking Vinci pour faire entrer les touristes par le sous-sol », en accord avec la politique de réduction du trafic automobile de la maire de Paris, explique l’un de ses proches collaborateurs. La promesse est ambitieuse mais très coûteuse.

ABSOLUTION.

Autre perte : le fonds de solidarité interdépartemental d’investissement (FS2i), créé en 2019 par les huit départements d’Ile-de-France, n’a pas pu débloquer les 20 millions d’euros promis. Le directeur de cabinet du président du conseil de Seine-Saint-Denis incrimine « les incertitudes que le gouvernement fait peser sur le fonctionnement de ce fonds ».

Enfin, la Fondation Notre-Dame a décidé de garder une partie des sommes collectées pour d’autres causes.

Le 15 mai 2019, l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, appelait ses ouailles à faire un don pour la restauration de l’édifice, mais aussi pour le programme Cathédrale. Lequel vise à restaurer ou à racheter le mobilier et les objets liturgiques pour partie détériorés ou détruits, comme l’autel fendu ou le reliquaire de la Couronne d’épines.

Ces dons doivent aussi servir à financer le rachat du matériel de retransmission des messes et à rétribuer l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour la mise à disposition de plusieurs pièces dans l’Hôtel-Dieu, proche de la cathédrale.

Le diocèse a en effet prévu d’y inaugurer une exposition destinée à accueillir les touristes pendant les cinq années de travaux. La Fondation Notre-Dame a également créé un fonds pour permettre aux fidèles de soutenir l’école de musique sacrée.

« Les programmes Cathédrale et Musique sacrée ont été mis sur pied en dehors de la souscription nationale, confirme Christophe Rousselot, le délégué général de la Fondation. J’en ai informé la Cour des comptes. Tout cela s’est fait en totale transparence. »

Début mars, ces deux programmes avaient rapporté moins de 1 million d’euros. Rien de dramatique. Mais le clergé n’avait pas dit que les grands donateurs qui avaient signé des conventions avec la Fondation Notre-Dame (Arnault, Pinault, Bouygues, Michelin) avaient accepté de consacrer jusqu’à 5 % de leurs dons, soit 18 millions d’euros, au rayonnement de l’église, donc aux objets liturgiques et à ses petits chanteurs.

Dans la religion catholique, ne rien dire, cela vaut absolution ?


Extraits des « Dossiers du Canard Enchainé » N°155 – Mai 2020


Voilà, Voilà … c’est tout pour le moment coté mécénats, subventions, dons … Beaucoup ont « fait » de la com’ à bon compte et les médias n’ont rien dévoilés des magouilles … ça reste entre nous surtout …. 

Oui nous sommes aussi au courant tant d’argent « trouvé » et pourtant il y a tant de pauvreté en France … qui va s’accentuer suite au confinement … tant d’entreprises font mettre la clé sous la porte et « produire » du chômage …

 Comment ça deux poids deux mesures …

Oui nous comprenons, pour beaucoup qu’importe Notre-Dame, les pauvres, le chômage … Bonne soirée et bonne nuitMC

2 réflexions sur “Le feuilleton N. D. de Paris – 8

  1. jjbey 05/06/2020 / 22h57

    Notre Dame mérite bien son nom c’est la NOTRE, propriété de l’état, c’est donc à nous. Généralement le syndic de copropriété demande l’avis de l’assemblée générale pour engager les gros travaux. On n’en a même pas posé la question au parlement. Faudra renvoyer le syndic lors de la prochaine AG…………….

  2. Walter PASCOLI 06/06/2020 / 4h54

    Les promesses c’est comme de l’eau chaude, ça s’évapore vite … 🙂

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