L’après-confinement a aiguisé les appétits.
D’un côté, il y a ceux qui prétendent que cette épidémie est le symptôme d’une société malade qui ne peut plus continuer ainsi.
De l’autre, il y a les fanatiques du libéralisme économique qui affirment que cette crise est un échec des services publics et qu’il faudra les ouvrir encore plus au marché.
Le combat est inégal, car notre monde actuel ne se réformera pas d’un trait de plume et les tenants du libéralisme ne céderont pas un pouce aux réformateurs. Une fois de plus, l’intérêt général passera derrière les vanités idéologiques.
Il faut dire que les ultra-libéraux sont aidés par leurs détracteurs. Car jusqu’à présent, les quelques revendications d’une nouvelle société ont été bien timides et surtout beaucoup plus poétiques que politiques. La litanie de veux pieux rédigée par Nicolas Hulot en est un exemple et ne pèsera pas lourd face à la machine de guerre libérale.
Pourtant, la pensée ultralibérale n’est pas très inventive et n’a pas beaucoup plus d’imagination que ceux qui la combattent. L’atout dont elle dispose est plus perfide. Elle fait illusion et est capable d’appâter le plus grand nombre avec des gadgets séduisants. Télétravail, 5G, bagnoles moins polluantes, tourisme pour tous… l’idéologie libérale sait hypnotiser et attirer le client comme l’ampoule dans La nuit les moucherons. En face, les adeptes d’un autre monde n’ont rien de mieux à vendre que leur rêve d’une société « meilleure », « plus juste », « plus égalitaire », « plus ceci ou cela ».
Mais ce ne sont que des mots, et leur poésie ne suffira pas pour lutter contre la séduction toxique des promesses d’une société exclusivement consumériste.
- D’un côté, on souhaite des circuits courts; de l’autre, on vous permet de faire vos courses sur le Net sans vous lever de votre siège.
- D’un côté, on suggère une redistribution des richesses; de l’autre, on vous promet un débit encore plus grand avec la 5G.
- D’un côté, on exige de réduire les émissions de CO2;
- De l’autre, on vous vend, après le confinement, des milliers de bagnoles en surplus à moins 40%.
Le combat est inégal.
La raison est toujours moins attirante que la folie. Une société raisonnable, qui produit et consomme à bon escient, ne parviendra jamais à devenir plus attractive qu’une société avec des soldes « folles » et des promos « dingues ».
Seules les promesses délirantes excitent les foules. Les discours raisonnables n’attirent que les gens raisonnables, c’est-à-dire une minorité.
Cette semaine, Eton Musk a promis que tout le monde aurait bientôt accès au haut débit grâce aux milliers de satellites qu’il envoie dans le ciel.
Et pour quoi faire? Eton Musk nous répond « Les clients pourront regarder des films en haute définition, jouer à des jeux vidéo et faire tout ce qu’ils veulent. » Juste pour ça.
Pour vendre sa camelote, ce petit marquis prétentieux va foutre en l’air l’espace en le polluant encore plus avec des milliers de satellites.
Autrefois, les seigneurs du Moyen Âge piétinaient les champs de blé de leurs paysans avec leurs chevaux pour aller chasser.
Aujourd’hui, c’est Eton Musk qui saccage avec ses satellites NOTRE ciel, propriété de toute l’humanité, et que nous regardons sans broncher, accaparés par nos bons maîtres du XXIe siècle. Et personne ne proteste, et personne ne se révolte. Sa folie de milliardaire mégalo est plus puissante que les opinions raisonnables des simples citoyens.
On est trop polis, on est trop gentils, on est trop respectueux avec ceux qui nous marchent dessus et nous méprisent. Il n’y aura rien de neuf après le Covid-19 si on se contente de faire des propositions qui seront aussitôt ridiculisées et dénigrées. Il faut arrêter d’être trop raisonnables et refuser que notre liberté soit emprisonnée par les délires de ceux qui nous asphyxient depuis des décennies avec leur vision si médiocre de la vie.
Il faut leur apprendre à craindre de voir notre folie devenir plus grande que la leur.
Riss. Charlie hebdo. 20/05/2020
J’aime. La course au progrès n’est souvent que course aux profits et pas des moindres mais s’avère être une course à notre propre destruction.