Masques et philosophie …

Nécessaire précaution parfois (notamment en matière sanitaire), le masque est souvent une façon de cacher ses sentiments, ses réactions, mais aussi parfois indique une appartenance ou dissimule. MC

Sortir, masqués. Dans la rue, le métro. Et maintenant, aussi au bureau ? […] Et là, malaise. Comment respirer? Comment se comporter face aux autres? Comment leur parler et les comprendre? Le sourire se voit-il?

L’objet passe mal.

D’abord parce qu’il contrevient aux fondements de notre culture républicaine : dans l’espace public, on sort à visage découvert. Sans remonter jusqu’aux philosophes des Lumières, qui, selon Frédéric Keck, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale au CNRS, désignaient le masque (utilisé par la noblesse pour ses frasques libertines) comme la quintessence de l’hypocrisie, rappelons les débats sur le voile. Et la loi du 11 octobre 2010 qui en a découlé pour interdire « le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab…), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet de dissimuler le visage ».

Pensons aussi à l’ultime mouture de la loi anticasseurs, le 11 avril 2019, en plein mouvement des Gilets jaunes (il y a un an à peine!) Son article 6 crée « un délit de dissimulation volontaire du visage puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende». [Comme quoi il faut toujours se méfier des lois acceptées dans l’urgence, aujourd’hui cette même loi devient obsolète de fait. MC]

L’objet passe d’autant plus mal qu’il cache et n’exprime rien.

En contradiction, cette fois, avec une certaine tradition qui, en France et dans le monde occidental, associe l’idée du masque à celle du carnaval. « Ce temps hors du temps où la norme est renversée, comme le décrit Anne Monjaret, anthropologue à l’École des hautes études en sciences sociales. Derrière le masque et le déguisement, on devient autre, on entre dans un double jeu (un double je) où ce qu’on donne à voir est un autre soi-même. Un fantasme. Une transgression. La face cachée de notre personnalité. » Mais, ce charivari où (presque) tout est permis reste néanmoins codifié, dans un temps donné, selon un rituel socialement défini. Le monde à l’envers ne dure pas. Le lendemain, tout rentre dans l’ordre et chacun dans ses pénates.

« Or, aujourd’hui, et pour une durée indéterminée, l’ordre, c’est le masque. Et carnaval tous les jours, c’est affreux ! » Surtout quand la « mascarade » du moment, où chacun doit respecter « les gestes barrières », prend des airs de triste pantomime dont les acteurs, masqués, gantés, distanciés et furtifs, s’efforcent… de faire les courses, de prendre le métro, de travailler, sans trop entrer en interaction avec les autres. Pas drôle. […]

Et voilà maintenant que, dans la guerre déclarée par notre président à l’insaisissable nouveau coronavirus, le masque (chirurgical, FFP2 ou taillé dans une chute de rideau) peut sauver des vies. À commencer par celles des autres. « Le masque est altruiste: il sert à ne pas transmettre la maladie dont nous sommes potentiellement porteurs, rappelle Main Epelboin, médecin psychiatre et anthropologue. Cependant, chez nous mais aussi en Afrique, où j’ai beaucoup travaillé, ce bandeau qui masque la bouche complique la communication. Dans nos rapports sociaux, l’oralité ne fait pas tout: les mimiques, les sourires, les grimaces en disent parfois plus qu’un long discours. »

 […]

Dans les rues, certains masqués ne manquent pas d’allure, ni de personnalité. « Si, comme tout l’indique, nous portons le masque jusqu’à l’automne, la mode va s’en emparer, remarque Marie Rebeyrolle, psychosociologue. Dans quelques mois, ça deviendra un accessoire, un signe extérieur, comme les lunettes ou le sac à main. »

Vivement cet été sur les plages l’avènement du duo masque-maillot…


Luc Le Chatelier. Télérama. 20/05/2020


  1. Cent millions par semaine, selon le Premier ministre, six cents millions par mois d’après le ministère de la Santé… Impossible d’avoir un décompte précis du nombre de masques nécessaires, d’autant qu’une part de ces masques grand public en tissu sont lavables et réutilisables, et que d’autres, comme les chirurgicaux et FFP2, doivent être jetés au bout de quelques heures d’utilisation.

8 réflexions sur “Masques et philosophie …

  1. Gloriosa 23/05/2020 / 20h46

    C’est l’ironie très bien masquée

  2. jjbey 23/05/2020 / 23h00

    Il faut se protéger et protéger les autres mais rappelons nous qu’au début de la pandémie le masque était inutile. Forcément on n’en avait pas, les stocks non renouvelés pour cause d’économie. Maintenant qu’ils sont vendus dix fois leur prix il faut encourager les profits et donc le masque devient obligatoire. En attendant on ferait bien de distribuer les masques gratuitement car ils sont utiles.

  3. fanfan la rêveuse 24/05/2020 / 9h36

    Bonjour Michel,
    Chacun voit midi à sa porte !

    Ayant deux infirmières dans ma famille, je peux vous dire que le masque n’est pas une mascarade et bien utile lorsqu’on l’utilise comme il se doit. Elles se sont battu pour en avoir et protéger leur santé et ceux de leur famille.

    Voici ma vision, je me protège mais aussi protège les autres. Il y aurai fallut avoir ces masques depuis bien longtemps, nos dirigeants ont fait une terrible erreur. A partir du moment ou je vais être en contact avec d’autres en magasin ou dans la rue, je le porte.
    Je travaille depuis plus d’un mois avec des masques chirurgicaux, on s’habitue, certe il y a un peu de buée sur les lunettes, certe il fait un peu chaud mais je tiens à ma santé 😉

    Oui ces masques sont un nouveau marché lucratif mais notre santé a quel prix ? Personnellement je ne vois pas en réanimation et encore moins dans le coma et puis ensuite devoir tout réapprendre…

    Qu’en à la gratuité, l’état ne peut tout financer, je sais que je vais certainement heurter mais ceci est ma pensée.

    Très bon dimanche Michel 🙂

    • Libres jugements 24/05/2020 / 12h48

      Bonjour Françoise et en grande partie d’accord avec votre commentaire…
      Bien évidemment le seul point qui me fait tiquer est celui qui consiste à faire du fric sur une nécessité sanitaire vitale…
      Je ne vais pas revenir continuellement sur le fait qu’il existait un stock qui a été détruit en son temps, je réaffirme que le gouvernement n’a pas fait ce qu’il fallait en son temps pour assurer la sécurité sanitaire des personnes résidents en France.
      Aussi la moindre des choses ne serait-elle pas « pour se faire pardonner cette énorme erreur », que nos gouvernants auraient dû réquisitionner toutes les importations individuelles d’entreprises et faire une distribution absolument gratuite pour toute la population résidant en France ( oui même les temporaires migrants) sans exception. La prorogation eut été moindre tout comme le nombre de personnes décédées.

      Quant à : « l’État ne peut tout financer » rapportons nous à ce qu’il est en train de mettre en place les milliards pour Renault … qui va fermer une grande parties de ses entreprises en France, laissant bon nombre de salariés s’inscrire à l’ ANPE, tout en délocalisant l’assemblage à l’étranger … Rappelons que l’État français est actionnaire de cette entreprise … alors oui, l’État peut tout … y compris renationaliser Renault comme en 45 … question de choix et de priorité … sauvée une entreprise qui délocalise et jette bon nombre de salariés à la rue ou sauver des humains … le choix a été fait … bien triste je vous l’accorde.
      Désolé d’avoir gâché par ma réponse, cette journée.
      Amitiés
      Michel

      • fanfan la rêveuse 25/05/2020 / 8h49

        Je suis en accord avec vous Michel, d’énormes erreurs ont été faite dans la gestion de cette crise sanitaire. La première la gestion des masques.
        Nous sommes dans une très très mauvaise posture financière (déjà avant le coronavirus), Ce n’est pas dit mais c’est une certitude. Les financements actuels vont peser très lourd et pour des décennies, à moins que la banque européenne ouvre son porte-monnaie.

  4. fanfan la rêveuse 25/05/2020 / 8h56

    J’ai fais un oubli, derrière un masque, nous ne sommes pas cachés, car les yeux parlent, je n’adhère donc nullement avec ceci « Derrière le masque et le déguisement, on devient autre, on entre dans un double jeu (un double je) où ce qu’on donne à voir est un autre soi-même. Un fantasme. Une transgression. La face cachée de notre personnalité. »

    Combien de fois j’entends depuis des semaines, alors que je porte un masque, vous êtes toujours souriante 😉
    Celui qui voudra rester lui, le restera et celui qui s’y cachera de toute façon, le faisait déjà avant. Enfin ceci n’engage que moi.

    • Libres jugements 25/05/2020 / 17h27

      Juste une précision Françoise …
      L’article est beaucoup plus long et comporte un certain nombre de parallèles avec entre autres, les masques ethniques ou les déguisements en vue de pratiques culturelles occultes comme également des obligations de tenue vestimentaire exigé par certaines religions, ou encore les masques pratiqués dans certaines formes de théâtre.
      Évidemment le fait d’avoir réalisé un extrait de cet article au demeurant fort long et complexe, réduit la compréhension et surtout l’accrochage avec une réflexion philosophique.
      Bien à vous
      Michel

      • fanfan la rêveuse 26/05/2020 / 7h56

        Par cette publication le masque est utilisé au plus large sens , moi je le ramène au plus simple de par cette crise mais le diagnostic est le même, avec crise ou pas, celui qui est « manipulateur, vicieux, malhonnête », l’est et le restera.
        Qu’en à la culture, religions cela est autre chose, à nous d’être ouvert à un autre fonctionnement, une autre vision des choses.
        Merci tout de même pour votre précision

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