Demain – L’urbanisme des villes.

Tandis que les humains des villes tournent depuis des semaines comme des lions en cage dans leurs appartements trop exigus, un petit peuple de plumes et de poils occupe rues et parcs en toute impunité.

Ainsi, dès l’aube, alors que l’Homo urbanicus peut enfin dormir la fenêtre ouverte (petite consolation dans ce grand désastre), le merle noir lance ses trilles à tue-tête. Comme d’habitude. Sauf que depuis quelques semaines, il continue, longtemps, insouciant. Même entre 7 et 9, aux heures de pointe, enfin qui l’étaient et ne le sont plus, et pendant lesquelles il se taisait (car rien ne sert de s’égosiller dans le vacarme, madame ne l’entend pas…) Le merle se fiche bien des études et des statistiques, mais il apprécie visiblement ce que les cartes de Bruitparif, l’organisme régional de suivi des émissions sonores, montrent avec éloquence : en virant du rouge au vert, elles témoignent qu’un silence inhabituel a envahi l’île-de-France et notamment sa zone urbaine dense. Même sur les grands axes, l’intensité du bruit a baissé de 50 à 80 %, tandis que dans les communes autour de l’aéroport d’Orly à l’arrêt, on goûte avec délectation aux joies de la grasse matinée… La qualité de l’air dans les grandes villes profite aussi de la baisse considérable du trafic routier et des activités industrielles. Même si, en ce printemps parfois frisquet, les émanations de nos chauffages individuels ainsi que les retombées saisonnières des épandages d’engrais et de pesticides agricoles pondèrent cette amélioration. « Pourvu que le jour d’après nous ne nous précipitions pas tous dans nos voitures (pour éviter la promiscuité potentiellement virulente des transports en commun), soupire Christophe Najdovski, adjoint aux mobilités à la Ville de Paris. Comme à Bogota ou à New York qui ont su, juste avant le confinement, mettre en place un réseau très efficace de pistes cyclables provisoires, il va falloir, dès la mi-mai, miser sur le vélo, mode idéal du déplacement urbain sachant garder la bonne distance. »

Des animaux dans la ville

Dans la ville arrêtée, le merle et sa merlette sont tout à leur affaire : au parc, ils peuvent passer la journée dans l’herbe à se gaver de limaces, vers de terre et petits insectes. Pas un enfant, pas un gardien, personne ne viendra les déranger… si ce n’est le chat, qui, lui, n’est pas confiné et profite de la situation. Mais, attention, d’autres prédateurs (fouines, martres, renards, beaucoup plus discrets en temps normal mais bien présents dans la ville) perturbent déjà le jeu, car eux aussi ont compris que le terrain était libre. « La nature a horreur du vide! Le vieil adage se confirme», s’enthousiasme Colin Fontaine, écologue au Muséum national d’histoire naturelle, qui trépigne de ne pas pouvoir observer in situ ces mutations soudaines du paysage urbain. Confiné chez lui (sans dérogation possible, même pour la science !), il évoque avec une pointe de jalousie les vidéos qui ont circulé dès les premiers jours sur les réseaux so­ciaux montrant ces dauphins joueurs qui occupent le port à l’arrêt de Cagliari, en Sardaigne.

Et chez nous ?

Verra-t-on demain, comme à Milan, Berlin ou Barcelone, des sangliers sur les boulevards ? Grégoire Loïs, naturaliste à l’Agence régionale de la biodiversité d’île-de-France, est bluffé par ce qu’il appelle « la plasticité rapide de la « nature ». Il explique : « Avec ce confinement généralisé des humains, de leurs chiens fouineurs et de leurs voitures écraseuses de hérissons, les animaux des villes et des périphéries ont vite élargi leur territoire et adapté leurs horaires. » Premiers concernés, les « anthropophiles » qui vivent volontiers à nos crochets : les rats, les pigeons, les corneilles, tous accros à nos restes de sandwichs et morceaux de pizzas abandonnés. « Plutôt que de farfouiller dans les poubelles désormais vides des parcs et des trottoirs, pigeons et corneilles s’offrent des bourgeons, des jeunes pousses, des escargots et d’autres aliments de meilleure qualité que nos reliefs de funk food. Les rats, qui avalent chacun près de 90 kilos de déchets par an, abandonnent sans doute un peu les égouts, désormais moins riches en balayures de trottoirs, pour s’aventurer en plein jour vers d’autres garde-manger… »

Nouvelle esthétique des jardins

Si les dératiseurs professionnels continuent donc plus que jamais leur activité, d’autres travailleurs, considérés comme « non essentiels », se retrouvent au chômage partiel. Parmi eux, les jardiniers de la Ville. Dans les espaces verts, les pelouses se couvrent de pâquerettes, de boutons d’or, de pissenlits, favorisant la prolifération des insectes pollinisateurs qui, par leur présence, attirent les oiseaux, au moment même où leurs petits, tout juste nés, ont grand appétit.

Auront-ils plus de chance de survie?

« À court terme, sûrement. Après ?… » s’interroge Audrey Muratet, coautrice d’un Manuel d’écologie urbaine (éd. Les Presses du réel, 15 €). «Ces quelque huit à neuf semaines de confinement, qui nous paraissent à nous humains interminablement longues, n’offriront pas le temps nécessaire à la transformation en profondeur des écosystèmes. Dès notre retour en ville, chacun, merle, rat, canard sauvage, retrouvera sa place. » Sauf si les gestionnaires tirent des leçons de cette étrange parenthèse, comme s’y engage Pénélope Komitès, adjointe sortante aux espaces verts de la Ville de Paris, toujours en fonction jusqu’au second tour des élections municipales.

« D’ores et déjà, nous nous interrogeons sur la pertinence de planter des fleurs annuelles, assez gourmandes en eau et en entretien, alors que les vivaces permettent d’obtenir à moindres frais des jardins aussi fleuris, mais plus naturels et accueillants pour la faune. Avant de tout rouvrir, nous dresserons un bilan de la biodiversité de ce printemps sous clé, en notant les plantes spontanées qui sont apparues et les sauvages qui s’y plaisent. Enfin, pour expliquer les effets de cette période sur nos parcs et jardins, nous organiserons des visites guidées pour le grand public…»

Pas sûr que ce dernier apprécie d’emblée.

Le Français, élevé depuis Le Nôtre dans la culture de la haie au carré, du gazon millimétré et des allées sans mauvaises herbes, a du mal avec cette esthétique dite à l’allemande, de friche doucement échevelée, néanmoins sous contrôle. Outre-Rhin, on ne bichonne pas tant les bords de routes, les ronds-points, les bas-côtés des voies ferrées et les lisières des parcs urbains, et tous apprécient. Question de culture. Chez nous, devant cette nature « pas entretenue et donc à personne », beaucoup en profitent pour y balancer leurs ordures…

Une ville plus désirable ?

Si les herbes sauvages gagnent allègrement du terrain, une autre nature moins spontanée a tout à craindre : ces végétaux en bacs, en pots, en suspensions qui, sans arrosage pendant des semaines, ne survivront sans doute pas. Voilà qui conforte le credo de Nicolas Bonnenfant, paysagiste de l’agence Coloco. Selon lui, la ville vraiment durable se doit d’être frugale, verdoyante, aérée, pour amortir les crises climatiques ou pandémiques, et offrir à ses habitants un cadre généreux et rassurant.

Autant de choses qu’il ne trouve pas dans « les jolis dessins vert fluo présentés ces dernières années dans les concours d’architecture type « Réinventer la métropole », « jeux Olympiques » et autres « Écoquartiers ». Cela se veut écolo, mais la plupart de ces jardins feront vite grise mine au premier couac tant ils sont gourmands en eau, engrais et autres soins. Dans ces projets de pur marketing, le vert n’est pas vert, et les murs végétaux, aussi artificiels que le bâti qui les porte. »

Assigné à résidence de longues semaines, chacun de nous peut s’interroger : quel habitat, quelle ville, quelle nature veut-on? Saurons-nous, le jour d’après, ne pas recommencer comme avant? Aurons-nous le courage ou la clairvoyance de repenser notre manière d’habiter la Terre, de faire société, de construire nos cités et nos maisons en bonne intelligence avec tout le reste ?

Carlos Moreno, ingénieur franco-colombien, spécialiste de la smart city, trouve dans ce confinement l’occasion d’affiner son concept de « ville du quart d’heure », c’est-à-dire celle des commodités accessibles à pied autour de chez soi : commerces, éducation, santé, services publics, culture… « Au moins cette crise nous aura appris (en moins de soixante-douze heures!) à télé-travailler. Voilà qui nous permettra à l’avenir d’envisager autrement nos mobilités, en privilégiant celles qui sont essentielles. Et pour le reste, d’accorder plus d’importance aux richesses d’un voisinage accueillant et d’une sociabilité de proximité qui nous fait tant défaut aujourd’hui : je rêve d’un café au bistrot du coin! »

Sans partager cet enthousiasme sur le travail à distance (« terriblement chronophage et mal pratique dans l’exercice du métier d’architecte »), Alexandre Chemetoff, 70 ans, seul dans son agence déserte à Gentilly (Val-de-Marne), se pose les mêmes questions sur la ville qu’il appelle de ses voeux. Accueillante pour la faune et la flore qui sont des marqueurs de bonne santé de l’environnement. Agréable aux humains qui la peuplent et se retrouvent actuellement confrontés à des logements trop petits, des rues étouffantes, un horizon bouché. « Première décision de l’après : ne plus construire de logements sans terrasse ni balcon. N’oublions pas non plus de percer de larges fenêtres à nos maisons: la lumière du jour est comme l’air que l’on respire. Cessons aussi de faire des économies sur les superficies: un T3 de 60 mètres carrés, c’est indigne. »

Son jeune confrère Nicola Delon, 43 ans, du collectif Encore Heureux, se montre plus corrosif encore : « Ce virus révèle les inégalités spatiales de nos conditions d’habitants. Non seulement ce qui est trop petit (les appartements des grandes villes et de leurs périphéries), mais aussi ce qui est trop grand (ces mêmes grandes villes). La situation ébranle tous les principes urbains largement majoritaires il y a encore quelques semaines: « densité », « attractivité », « infrastructures centralisées »… La notion même de métropole dévoile ses failles et faiblesses. Je pense là à ce Grand Paris, qui concentre près de 20% de la population française et se montre, face à la pandémie, totalement inopérant et mortifère. Deux autres échelles délaissées deviennent tout à coup centrales dans nos vies de confinés: celles du quartier et du territoire, les seules à même d’assurer notre subsistance alimentaire et sociale. »

En bon praticien de la réparation des quartiers délaissés, Alexandre Chemetoff plaide aussi pour cette double échelle de proximité entre la cité des hommes (à taille humaine) et sa campagne nourricière. La pandémie nous oblige à repenser radicalement notre modèle de développement. Pensons local, réhabilitons les villes moyennes, cultivons-les comme on cultive la terre, et préservons alentour la nature et l’agriculture sans lesquelles nous mourrons de faim. Arrêtons cette course au gigantisme, ces tours de « bureaux, ces grands projets dont l’inutilité citoyenne et vitale saute aux yeux. Tels la nouvelle gare du Nord que la SNCF veut transformer en centre commercial, ou ce grand Barnum des jeux Olympiques… »

Les points de vue d’Alexandre Chemetoff ou de Nicola Delon seront-ils partagés ?

Ou la tentation du gouvernement et des acteurs économiques d’une reprise « comme avant » pour combler au plus vite les effets dévastateurs de la crise sera-t-elle plus forte ? Un test démocratique grandeur nature devrait l’annoncer : le second tour des élections municipales (ou l’ensemble du processus électoral, si le Conseil constitutionnel remet les compteurs à zéro pour les communes où personne n’a été élu au premier tour). Les candidats, alors, tiendront-ils le même discours et défendront-ils le même programme qu’il y a huit semaines? C’est-à-dire un siècle…?


Luc Le Chatelier. Télérama. 06/05/2020


Note de l’administrateur : chacune chacun aura sa lecture de cet article. Pour notre part nous considérons que l’écologie contribuant à l’amélioration de la vie au quotidien est une bonne chose. Pour autant croire que l’écologie résoudre tous les problèmes de la société ne semblent être une grossière erreur. Mettre la ville au champ combien d’urbaniste architecte ont essayé de concevoir une nouvelle approche en matière de logement sans succès réel. MC